En mars dernier, une vague de manifestations a secoué la Corse, en réaction à l’assassinat du nationaliste Yvan Colonna, dans la prison d’Arles, par un autre détenu. Colonna était devenu célèbre pour avoir été jugé coupable de l’assassinat du préfet Claude Erignac, en 1998. Après son arrestation en 2003, il est devenu l’un des symboles d’une vieille et juste revendication du mouvement nationaliste corse : le « rapprochement » des prisonniers corses.
Historiquement, les militants nationalistes corses arrêtés étaient détenus dans des prisons situées loin de leurs régions d’origine, comme c’est aussi le cas pour les militants nationalistes basques. Il leur était donc beaucoup plus difficile de recevoir des visites de leur famille et de leurs proches, par exemple.
Mais au-delà du sort des prisonniers et des mesures vexatoires qui les frappent, c’est aussi et surtout l’impasse économique et sociale dans laquelle se trouve l’île qui a provoqué les manifestations de mars dernier, dans lesquelles la jeunesse occupait une place centrale.
Sous-développement
Depuis son annexion par la France au XVIIIe siècle, la Corse est longtemps restée un territoire rural sous-développé, laissé à l’abandon par la classe dirigeante française. Depuis les années 1960, l’économie de l’île est largement dépendante du tourisme, qui génère des emplois précaires et saisonniers. En conséquence, l’île est aujourd’hui la région la moins industrialisée du pays, mais aussi l’avant-dernière région en termes de revenu médian (devant les Hauts-de-France). Le coût de la vie y est très élevé, notamment parce que la plupart des produits de consommation courante – nourriture, essence, etc. – doivent être importés du continent.
Dans les années 60 et 70, le mouvement nationaliste corse s’est développé en réaction au sous-développement historique de l’île. Ses premières actions, en 1975, visaient les inégalités sociales et la corruption. Face à la répression de l’Etat français, le mouvement nationaliste a adopté une stratégie terroriste. Jusqu’à la fin des années 2000, des centaines d’attentats ont été commis par les diverses fractions du mouvement nationaliste.
Dans le même temps, le mouvement s’est divisé en groupes rivaux qui s’affrontaient parfois de façon sanglante. Une partie de ces groupes ont même fusionné avec le grand banditisme. A partir du début des années 2000, une série d’« accords » furent signés entre le gouvernement français et le mouvement nationaliste. Ils prévoyaient, entre autres, la possibilité d’apprendre la langue corse, à l’école, et la création d’une Assemblée régionale dotée de pouvoirs étendus. Mais ils ne réglaient aucun des problèmes économiques et sociaux de l’île.
Historiquement, le développement du nationalisme corse s’explique aussi par l’attitude des dirigeants du mouvement ouvrier français, qui sont restés passifs, voire hostiles, à l’égard des revendications démocratiques du peuple corse. Après la Seconde Guerre mondiale, le PCF était le plus puissant parti politique, en Corse. Mais il s’est discrédité du fait de son réformisme, de ses alliances avec les partis bourgeois et de son opposition déclarée à toutes les revendications nationales du peuple corse.
Par exemple, lors de la vague de répression de 1975, qui a vu une partie de la jeunesse corse affronter les CRS, la direction du PCF, sur l’île, a publié un tract intitulé « Vive la France ! », dans lequel les rôles de l’Etat et de la bourgeoisie étaient certes dénoncés, mais dans lequel les nationalistes étaient qualifiés de « bandes » plus ou moins « fascistes ». Dans le même temps, le PCF n’avançait aucune mesure économique concrète. Cette position a contribué à pousser vers le nationalisme une partie significative de la jeunesse et des travailleurs corses.
Quel avenir ?
Les marxistes s’opposent à toute forme d’oppression nationale. Ils défendent le droit, pour le peuple corse, de développer sa culture et de décider librement de son avenir. Ceci dit, les problèmes fondamentaux de la jeunesse et des travailleurs, sur l’île, sont le fruit du capitalisme, qu’il soit corse ou « continental ». Loin de chercher à améliorer la situation des travailleurs corses, les actuels dirigeants nationalistes défendent surtout les intérêts du patronat local, qui fait fortune dans le BTP ou le tourisme. S’ils ont démonstrativement appuyé les mobilisations de mars dernier, c’est pour faire oublier leur faillite politique.
Après des décennies de terrorisme, les dirigeants nationalistes ont troqué les cagoules et les conférences de presse « clandestines », dans des bergeries, contre des costumes-cravates et les fauteuils confortables de l’Assemblée régionale. Ce faisant, ils ont amélioré leur propre situation et se sont intégrés à l’appareil de l’Etat bourgeois français. Mais rien n’a vraiment changé en ce qui concerne le sous-développement de l’île. Pire : une partie du mouvement nationaliste rejette la responsabilité du chômage, en Corse, sur les travailleurs immigrés qui y vivent souvent dans une très grande pauvreté. Le slogan raciste « Arabi fora ! » (« les Arabes dehors ! ») a été scandé et tagué dans les manifestations qui ont suivi la mort de Colonna.
Les nationalistes bourgeois et les réformistes ne régleront pas les problèmes économiques, sociaux et culturels de la Corse. La solution ne peut venir que d’une lutte unitaire – contre le capitalisme – des travailleurs corses, continentaux et immigrés.