Ce qui suit n’est pas l’œuvre d’un Zola du XXIe siècle, mais le récit des conditions de travail bien réelles d’un salarié d’aujourd’hui. Toute ressemblance avec des personnes ou des faits n’est pas fortuite, mais voulue. Bonne lecture et bienvenue dans la « France d’après ».
J’avais rendez-vous avec Guy Blanchard et Patricia Pradel, deux salariés de la Connex Allier, une filiale de Véolia pour le transport interurbain, dans le but de les interviewer sur leurs conditions de travail. On m’avait dit que leur histoire valait une interview.
Nous nous sommes donc rencontrés à l’UL CGT de Moulins. Je pensais faire une interview, mais je n’ai eu à poser qu’une question : « Peux-tu me présenter ton entreprise ? », et Guy Blanchard m’a raconté son histoire pendant près d’une heure. On sentait un homme passionné par son rôle de délégué syndical. En me racontant tout ce qui lui était arrivé, on ressentait un certain détachement, comme s’il me racontait l’histoire d’un camarade à lui. Il ne considérait pas son histoire comme personnelle, mais plutôt comme l’exemple caricatural d’un système qui marche sur la tête.
En 1987, Guy est rentré chez SCETA transport, devenu Carianne (filiale de la SNCF). En 1992, il adhère à la CGT, et jusqu’en 2001 tout se passe relativement bien. Mais en 2001, Connex Auvergne rachète Carianne et deux autres transporteurs locaux. La Connex devient alors le plus important transporteur sur l’Allier, pour les cars. La Connex conserve alors les deux autres entités économiques et fait travailler les salariés des uns chez les autres, permettant ainsi d’accroître les bénéfices au détriment des conditions sociales.
C’est à ce moment là que Guy fut considéré comme gênant. Il avait bien compris le petit système de la Connex. En 2002-2003, la CGT voulut regrouper les 3 entités qui, légalement, étaient séparées, mais qui dans les faits ne faisaient qu’une, la direction étant la même. En 2002, un nouveau directeur arrive, formé à l’école Connex. Dès son arrivée, il « pond » de nouvelles règles pour augmenter le temps de travail des chauffeurs. Par exemple, il n’ont plus que 3 minutes pour faire 7 km. Malgré la saisie de l’inspecteur du travail, la règle devait s’appliquer. Mais après 11 jours de grève, avec pour mot d’ordre la sécurité des usagers et des salariés, ceux-ci obtiennent gain de cause.
Guy devenait de plus en plus gênant. La direction a d’abord essayé de l’acheter : « signe ça, mais ça ne s’appliquera pas à toi », ou « tiens, toi qui es passionné de vieilles motos, j’en connais une à vendre, et pas trop chère pour toi », etc. Mais comme cela ne marchait pas, la direction a opté pour la méthode dure : le harcèlement. Elle a tenté de l’énerver, de lui faire « péter un plomb ». Avec son air de motard en colère, elle pensait le pousser à réagir de manière sanguine. Mais rien n’y faisait.
Pendant ce temps, la direction continuait sa casse. Elle faisait partir les chauffeurs ayant des avantages trop importants à son goût, et embauchait des conducteurs en CDD à temps partiel, histoire de leur mettre encore plus de pression. Mais la principale « innovation » de la Connex est de réduire les temps où le chauffeur est payé sans conduire. Par exemple, les chauffeurs n’ont plus que 10 minutes pour préparer le car, avant le départ. Ainsi, ils ne peuvent plus assurer une vérification efficace des organes de sécurité des cars (et notamment des freins).
Guy était soumis à une pression insoutenable. La direction lui envoyait recommandé sur recommandé (jusqu’à 5 par semaine). Un huissier est même venu chez lui, à 20h30, pour lui signifier qu’il devait enlever une affiche CGT d’un endroit où il avait pourtant le droit d’afficher.
En deux mois, il a perdu 13 kilos, mais il a tenu. Il a saisi toutes les juridictions : le parquet pour entrave à l’activité syndicale et discrimination ; l’inspecteur du travail pour non-respect de la convention collective, non-respect de la législation des transports, etc. Mais personne n’a bougé : apparemment, Véolia impressionne !!
Guy m’a donné un exemple frappant de l’immobilisme de l’Etat. En septembre-octobre, les chauffeurs ont roulé avec une amplitude de 14 heures, sans dérogation. Dans le transport interurbain, les amplitudes sont de 13 heures maximum. Autrement dit, entre la prise de service et la fin, on ne doit pas dépasser 13 heures – sauf dérogation signée par l’inspecteur du travail (soit dit en passant, 13 heures d’amplitude ne veut pas dire 13 heures payées, car seules les heures de travail effectif sont payées).
Chez Connex, 50% des lignes ont une dérogation : la dérogation devient donc la règle ! Mais, à la rentrée 2007, l’inspecteur du travail n’avait pas voulu signer les dérogations, car elles n’étaient pas passées en CE, comme l’exige la loi. Ainsi, pendant deux mois, les chauffeurs ont conduit hors-la-loi. L’inspecteur du travail ne disait rien, ni le préfet – ni le Conseil Général de l’Allier (UMP à l’époque), principal client de la Connex, notamment pour le transport scolaire.
Guy et les autres membres de la CGT ont prévenu leurs collègues que c’est eux qui encouraient les sanctions, mais la peur est tellement présente qu’ils n’osaient pas refuser. Guy et la CGT se battent pour le respect et la sécurité du personnel, mais aussi des usagers. La Riposte s’associe pleinement à cette lutte.
La Riposte va même plus loin et réclame la nationalisation des réseaux de transport, sous le contrôle des salariés. Nous ne pouvons pas laisser les capitalistes faire de plus en plus de profits au détriment des salariés et de la sécurité des usagers, le tout avec la complicité de d’un Etat garant d’un système asservissant la grande majorité de l’humanité.
PS : Nous tenons à remercier Guy Blanchard et sa collègue Patricia Pradel pour le temps qu’ils nous ont consacrés. Ils ont notre soutien dans toute les démarches qu’ils effectueront pour, au moins, faire appliquer la législation.