La SEMERAP, où je travaille, est une Société d’Economie Mixte (SEM) qui gère l’adduction et l’assainissement de l’eau dans le Puy-de-Dôme et l’Allier. De droit privé, elle a des actionnaires publics et privés. En l’occurrence, 80% du capital de la SEMERAP est détenu par des collectivités publiques (communes, syndicats intercommunaux, etc.), et son président est le député socialiste de Riom, Jean Michel. Elle travaille pour les collectivités territoriales sous forme d’affermage, de DSP (Délégation de Service Public) ou de marché à bon de commande.
Le 26 mars dernier, les salariés de la SEMERAP se sont mis en grève sur des revendications liées aux salaires et à l’organisation du travail. Les salaires sont très bas. Un agent technique (souvent à BAC+2) ne gagne guère plus de 1000 euros par mois. En outre, les augmentations sont surtout faites de façon individuelle. Mais le déclenchement de ce mouvement fut la volonté de la direction de mettre en place une nouvelle organisation du travail, qui avait pour conséquence d’augmenter le nombre d’astreintes pour certains et d’en supprimer pour d’autres.
Les « astreintes » mettent les salariés à la disponibilité de l’employeur, jour et nuit, pendant une semaine. Elles sont contraignantes et fatigantes. Les salariés doivent rester chez eux dès la sortie du travail pour pouvoir répondre au téléphone en cas d’urgence. Lors de ces astreintes, ils cumulent plus de 20 heures supplémentaires. Mais d’un autre côté, étant donné le bas niveau des salaires, cela représente une contrepartie financière non-négligeable pour les salariés. Le projet de réorganisation des astreintes a suscité l’hostilité des salariés qui ne voulaient pas en faire davantage – car cela empiète sur leur vie de famille –, mais aussi de ceux qui refusent de perdre 10% de leur revenu annuel.
Le mouvement a entraîné 90% des agents de terrain, soit environ 43% de l’ensemble des salariés. Le premier jour de grève fut très décontracté : les salariés des différents dépôts se sont réunis pour discuter de ce qu’ils voulaient et ne voulaient pas. La direction n’a même pas daigné s’enquérir de leurs revendications et considérait que c’était aux grévistes de l’appeler.
Le lendemain, face à la mauvaise volonté de la direction, les grévistes ont décidé de bloquer les dépôts. Blocage gentillet : c’était plutôt un filtrage. Mais la direction a réagi violemment en assignant en justice des « bloqueurs » choisis au hasard : les délégués syndicaux et quelques « grandes gueules ».
Les discussions avec la direction ont quand même été engagées. Mais cette dernière a répondu à nos revendications par le mépris, en expliquant qu’elle ne voyait pas pourquoi nous étions en grève, puisque personne ne vivait sous le seuil de pauvreté, à la SEMERAP. Elle a ajouté que cette grève risquait d’entraîner la perte de marchés, ce qui était une forme dissimulée de chantage à l’emploi.
Les 1er et 2 avril, nous sommes arrivés à un accord, certes pas mirobolant, mais qui a débouché sur une augmentation générale des salaires et la remise à plat de la nouvelle organisation. Ceci dit, le plus important fut la prise de conscience des salariés en grève, qui n’ont pas faibli pendant 8 jours. Même le week-end, les salariés, avec leur famille, ont tenu les piquets devant les dépôts.
Les salariés ont compris que leur unité permet des avancées sociales. Ils ont également pu constater que la SEMERAP était gérée comme n’importe quelle autre société privée (Lyonnaise des eaux ou Véolia). Sa direction – y compris le député « socialiste » – agit comme n’importe quel patron soucieux de la rentabilité de son affaire. La seule différence est qu’elle s’abrite derrière les exigences de service public.
C’était le premier mouvement de grève en 20 ans, à la SEMERAP. Un événement qui passe généralement inaperçu, comme par exemple une réorganisation du travail, a entraîné un mouvement dur. Le ras-le-bol est tel qu’une simple étincelle peut mettre le feu aux poudres. Seule la nationalisation des services des eaux pourra mettre un terme à la concurrence entre salariés, qui les maintient sous la botte du système. Mais il faut aussi un contrôle des salariés sur l’entreprise, car sans cela la direction d’une entreprise « publique » devient aussi terrible qu’un patron du privé.