Le 7 mai dernier, dans une lettre adressée aux salariés d’Airbus, le PDG d’Airbus Tom Enders annonçait la décision d’annuler la vente des sites de Méaulte et de Saint-Nazaire au groupe Latécoère. Pour les salariés d’Airbus qui se sont massivement mobilisés dans toute la France, les 24 et 29 avril, c’est un succès immédiat. Après l’échec de la vente des sites d’Airbus en Allemagne, qui n’ont pas trouvé preneur, c’est bien évidemment un échec cuisant pour les dirigeants d’Airbus.
Mais les salariés d’Airbus – et notamment ceux de Méaulte, qui ont fait deux jours de grève, les 24 et 25 – comprennent bien que la bataille n’est pas terminée, et que la direction ne compte pas en rester là. Tom Enders est parfaitement clair à ce sujet. En conclusion de son courrier à tous les salariés, il écrit : « des efforts conséquents seront sollicités afin […] d’assurer les économies exigées par Power 8 ».
Les sites allemands et français sont externalisés vers une filiale du groupe EADS créée spécialement pour l’occasion – en attendant d’être vendus. Enders et Gallois (le PDG d’EADS) ne le cachent pas : « c’est une phase transitoire qui devrait mener à terme à la vente des sites à un ou plusieurs partenaires financiers ».
Ainsi, toutes ces usines connaîtraient le même sort que la SOGERMA, à Bordeaux, qui était une filiale 100% EADS, et qui a été vendue à TAT – avec, à la clé, de sévères reculs pour les salariés : 500 emplois supprimés, 39 heures travaillées payées 35, suppression de 7 jours de RTT chez les cadres. A Tarbes, la SOCATA – autre filiale EADS – est elle aussi sur le point d’être vendue.
Dépeçage d’une industrie en plein essor
Pourtant, Airbus réalise de gros bénéfices. Les carnets de commandes sont pleins pour les 7 années à venir. EADS possède une trésorerie nette de plus de 8 milliards d’euros, en augmentation d’environ 70% par rapport à 2006. Depuis la privatisation, en 1999, les actions ont rapporté chaque année, en moyenne, plus de 18% de bénéfices aux gros actionnaires. La direction nous explique qu’Airbus doit se concentrer sur son « cœur de métier », en externalisant toujours plus son activité. Mais au final, on voit bien que le « cœur » de toute l’affaire se réduit à la rentabilité maximale pour les actionnaires. Quand le PDG Louis Gallois parle de la « nécessité » d’un plan d’économie, il se place uniquement du point de vue des actionnaires, qui ne veulent pas attendre 5, 10 ou 15 ans avant que leur « investissement » soit amorti. Non, ils veulent l’argent tout de suite, quitte à menacer la pérennité de l’industrie aéronautique. Quitte, aussi, à faire payer l’addition à l’ensemble des salariés.
Les retards sur l’A380 ont été un prétexte pour mettre en place Power 8, qui a été présenté aux salariés comme une nécessité incontournable, sans laquelle Airbus se ferait « décrocher » par son concurrent américain, Boeing. Les dirigeants argumentent systématiquement sur la faiblesse du dollar par rapport à l’euro. D’autre part, il faudrait trouver de quoi financer les nouveaux projets. Aussi Gallois nous explique-t-il qu’il faut économiser 2 milliards d’euros par an.
Comme le rappelle à juste titre la Fédération CGT de la Métallurgie, la cession de sites ne peut qu’aggraver les problèmes persistants sur l’A400M, comme ceux qui commencent à se multiplier sur l’A350 (choix des matériaux, choix des solutions techniques, choix des partenaires, etc.), ou encore les retards de l’A380. Et les dirigeants de Boeing viennent eux-mêmes de remettre en cause le modèle qu’Airbus s’entête à copier. Face aux difficultés qu’ils rencontrent sur l’industrialisation du futur B787, ils annoncent une reprise en main de la fabrication de leurs aérostructures, alors qu’Airbus cherche à s’en séparer.
Relents de chauvinisme
La crise qui secoue Airbus vient rappeler la réalité brutale du capitalisme européen. Les classes dirigeantes des différents pays suivent leurs propres intérêts nationaux, qui entrent en contradiction les uns avec les autres. Tous sont en compétition pour des marchés et des sphères d’influence. Le capitalisme français, en déclin à l’échelle internationale, est aussi en perte de vitesse par rapport à l’Allemagne dans la compétition sur le marché européen. Le poids de plus en plus important du capitalisme allemand, en Europe, renforce la position allemande au sein d’EADS, ce qui n’est pas sans conséquence sur les choix industriels.
Aujourd’hui, certains dirigeants politiques et syndicaux français accusent les Allemands d’être responsables de la crise qui secoue Airbus, et tentent de semer la confusion, dans l’esprit des salariés, par une propagande nationaliste. Objectivement, il y a une tentative de rallier le salariat à la cause nationale du patronat français et de ses capitaines d’industrie, qui ont montré leur grande incompétence industrielle. Notre devoir de militants est de mobiliser les salariés et l’opinion publique – en France, comme en Allemagne – pour briser l’ornière du nationalisme. Les salariés français et allemands font face aux mêmes ennemis : le système de la course au profit et tous ceux dont il fait la fortune, des deux côtés de la frontière.
Nous devons rejeter fermement toute tentative, d’où qu’elle vienne, de dresser les salariés d’un pays contre ceux d’un autre. La division des travailleurs ne peut que profiter aux partisans du plan Power 8.
« Recapitalisation » ou propriété publique ?
La question principale à laquelle nous sommes confrontés, c’est la nécessité d’un projet alternatif à Power 8 – d’un projet qui soit viable pour l’avenir des salariés et qui assure la pérennité de l’industrie aéronautique.
Pour la droite et Sarkozy, les choses sont simples : juste après les élections, le 18 mai, le président Sarkozy déclarait accorder toute sa confiance au PDG Gallois pour appliquer le plan Power 8 et organiser les 10 000 suppressions de postes. La vente des sites, notamment celui de Méaulte, était selon lui incontournable. On n’en attendait pas moins des princes de ce monde.
La direction du Parti Socialiste, elle, propose que l’Etat augmente sa participation au capital de l’entreprise. Ces apports de capitaux s’accompagneraient d’aides publiques et d’investissements privés. Les présidents socialistes des régions concernées par le plan social d’Airbus ont également souhaité participer au capital de l’entreprise. Le 19 mai, le maire de Toulouse, le président de la région Midi-Pyrénées et celui du Conseil Général de la Haute-Garonne ont demandé au Premier Ministre de prendre des dispositions pour aider les sous-traitants – comme Latécoère et Daher – à trouver des solutions financières.
Alors que le PCF s’était d’abord prononcé pour une aéronautique « 100%
publique », le député européen PCF Jacky Hénin a proposé, le 28 avril, que les Etats Allemand, Espagnol et Français forment un fond souverain qui serait l’actionnaire majoritaire d’Airbus et d’EADS.
Toutes ces propositions passent complètement à côté du problème. Elles reviennent à renflouer les caisses d’une entreprise privée à partir du budget de l’Etat ou des régions, c’est-à-dire à dépenser de l’argent public pour satisfaire la rapacité des actionnaires. On nationalise les pertes et on privatise les profits !
Aujourd’hui, de plus en plus de salariés et de militants syndicaux défendent l’idée d’une re-nationalisation complète d’Airbus-EADS. C’est dans cette direction qu’il faut avancer : vers la transformation d’Airbus-EADS en une entreprise publique, en France et à l’échelle européenne. Cependant, il ne s’agit pas d’en revenir à ce qu’était l’Aérospatiale avant sa privatisation, en 1999 : le développement et les objectifs de cette industrie devront être fixés démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, dont les représentants élus devront occuper une place dominante dans la gestion de l’entreprise, à tous les niveaux.