En meeting le 31 janvier dernier, la CGT a donné la parole aux candidats de gauche à l’élection présidentielle. Dans son discours, Bernard Thibault a ciblé la politique de Sarkozy et déclaré que « peu d’entre nous vont l’aider à rempiler cinq ans ». Quant « aux députés en place, nous saurons rafraîchir la mémoire des salariés électeurs ». Ces propos du secrétaire général de la CGT reflètent le sentiment général à la base de la confédération. Pendant cinq ans, les militants ont organisé la résistance à la régression sociale imposée par la droite au pouvoir.
Ces propos de Bernard Thibault ont suscité de nombreuses réactions. Xavier Bertrand, ministre du Travail, a parlé d’une atteinte à la « tradition de neutralité syndicale ». Etant donné le bilan de son gouvernement, il préfèrerait que les syndicats ne s’intéressent pas à la campagne électorale. Mais des dirigeants syndicaux lui ont emboîté le pas. Jean-Claude Mailly (FO) a déclaré que Thibault avait dépassé la « ligne jaune » : « vous ne m’entendrez jamais dire […] qu’il ne faut pas voter pour X ou voter pour Y ». François Chérèque (CFDT) a estimé que la CGT « a rompu avec la tradition de non-partisianisme ». Ces critiques sont-elles justifiées ?
Indépendance et neutralité
François Chérèque et Jean-Claude Mailly confondent délibérément deux choses : l’indépendance et la neutralité. Un syndicat ouvrier doit être « indépendant » dans le sens où il doit être sous le contrôle démocratique de ses militants. Mais cette indépendance organisationnelle ne signifie pas la neutralité politique. Celle-ci n’existe pas, d’ailleurs. Ne pas prendre position sur des questions politiques qui, par définition, touchent aux intérêts des travailleurs, ce n’est pas être neutre ; c’est abandonner le terrain politique à la classe dirigeante, ses politiciens de droite, ses journalistes ou aux réformistes. Dans les faits, cette pseudo-neutralité facilite le travail de nos adversaires. Voilà pourquoi Xavier Bertrand tient tant à cette « tradition » !
Est-il permis de douter qu’un deuxième mandat de Sarkozy ouvrirait une nouvelle série d’attaques majeures contre nos droits et nos conditions de travail ? Les dirigeants de la CFDT et de FO ne savent-ils pas que le programme de l’UMP est une déclaration de guerre contre les jeunes et les salariés ? Mais s’ils n’appellent pas à chasser la droite du pouvoir, c’est qu’ils ne veulent pas reconnaître cette réalité. Ils veulent limiter la contestation sociale aux frontières de l’entreprise, sans remettre en cause les fondements de l’exploitation capitaliste. Ceci n’a rien de « neutre », car cela renforce la position de la classe capitaliste.
Le programme de la CGT
S’il est naturel d’appeler à rejeter le programme de Sarkozy, il serait tout aussi naturel que les programmes présentés par les candidats de gauche soient débattus dans le syndicat. Il n’y a pas de différence fondamentale entre le programme de François Hollande et celui de la droite. Le candidat socialiste se prépare à mener une politique d’austérité draconienne pour répondre aux exigences des marchés. Son élection ne règlerait aucun de nos problèmes fondamentaux. Les dirigeants de la CGT doivent l’expliquer très clairement aux travailleurs. L’alternative à François Hollande, à gauche, c’est le Front de Gauche, dont le programme est nettement plus offensif que celui du PS. Les dirigeants de la CGT doivent le dire et faire campagne pour le Front de Gauche. Ceci, bien sûr, ne devrait pas empêcher la CGT de critiquer le programme du Front de Gauche, d’en souligner les limites ou les carences. Ce serait même très positif. Mais il ne suffit pas de dire : « chasser la droite ». Il faut aider les travailleurs à distinguer et évaluer les différents programmes des partis de gauche.
Il ne faut pas élever de barrière artificielle entre syndicat et politique. Un programme politique doit prolonger les revendications « économiques » des salariés. Les militants veulent des explications sur les processus en cours, les perspectives politiques pour sortir de l’impasse. D’ailleurs, la gravité de la crise économique a poussé la direction de la CGT à proposer un programme politique, les « 10 exigences pour sortir de la crise », parmi lesquelles des mesures contre les licenciements, pour l’augmentation des salaires, le développement des services publics et une fiscalité qui taxe davantage les riches et le capital. Ce programme devrait être complété par des mesures visant à briser le contrôle des capitalistes sur l’économie. Autrement dit, la CGT devrait défendre la nécessité d’une transformation socialiste de la société.
En photo : Bernard Thibault et, au second plan, Mailly et Chérèque.