L’Union Locale (UL) des syndicats CGT de Roissy, en région parisienne, a récemment réuni son congrès. 150 délégués y représentaient les 5 000 adhérents que compte la confédération à Roissy, ce qui en fait, de loin, la plus importante organisation syndicale de l’aéroport et la plus importante UL du pays. La situation économique et politique a occupé une grande place dans les débats. Les délégués ont rapporté le constat qui est fait à la base, dans les entreprises : les salaires permettent de moins en moins d’accéder à une vie digne ; les conditions de travail sont de plus en plus pénibles ; la précarité s’accroît, tout comme la répression de l’action syndicale.
La crise économique accélère les externalisations d’activités, le recours à la sous-traitance – et donc l’émiettement des salariés et la remise en cause de leurs acquis. Dans le même temps, les compagnies aériennes à bas coûts se sont considérablement développées. La flexibilité, les bas salaires et l’éclatement entre filiales et sous-filiales sont au cœur de la stratégie patronale.
Nationalisation d’Air France et d’ADP !
Dans ce contexte, l’idée de revendiquer sur une base offensive, et non seulement défensive, peut paraître hors de portée. Mais ce n’était pas l’état d’esprit de ce congrès très combatif. Du fait de la crise, les capitalistes, le gouvernement et la presse bourgeoise font pression pour inciter les syndicats à la retenue, à « faire des efforts ». En d’autres termes, les salariés devraient renoncer aux luttes et rallier les intérêts de leurs employeurs !
Mais la lutte des classes est une réalité à laquelle nous nous frottons chaque jour. Nous devons organiser les salariés autour de revendications qui correspondent à leurs besoins. Le congrès a par exemple décidé de revendiquer des augmentations de salaires, la retraite à 60 ans, des droits conventionnels en termes de formation, des droits au transfert des contrats de travail entre prestataires en cas de perte de marchés, etc. Les délégués se sont également prononcés contre les externalisations et la sous-traitance, qui sont des armes contre les intérêts des salariés. En dernière analyse, elles servent à diminuer les salaires. Il faut mener une lutte pour l’arrêt des externalisations et la réintégration des salariés de la sous-traitance chez les donneurs d’ordre.
Mais au-delà, le congrès a discuté des revendications qui s’attaquent directement au contrôle des capitalistes sur l’économie. La nationalisation des grandes entreprises de l’aéroport, à commencer par Air France et Aéroport de Paris, sous le contrôle des salariés, a été largement soutenue. L’intervenant qui introduisait cette session a expliqué que les capitalistes vivent sous perfusion d’argent public : « pour les riches, c’est déjà le socialisme ! ». Il a ajouté : « Nous voulons le véritable socialisme, qui profite au plus grand nombre, et non à une minorité de parasites qui nous exploitent et qui ne produisent rien ! » Il a été chaudement applaudi par la salle, ce qui témoigne des attentes des militants syndicaux en termes d’idées et de programme politiques.
La question des nationalisations a d’ailleurs fait l’unanimité des intervenants. Un salarié de La Poste a défendu la renationalisation de son entreprise. Un délégué retraité a ajouté : « Il faut même nationaliser, au-delà de l’aéroport, toutes les grandes entreprises ! ». Le représentant de la CGT au Conseil d’Administration d’Air France a déclaré : « la privatisation d’Air France s’est traduite par des filialisations, l’accroissement de la sous-traitance et la suppression de 5 000 emplois ces dernières années. Je suis contre la privatisation ! ». Le représentant de la Fédération CGT des Transports est allé dans le même sens : « Au nom de ma Fédération, je suis pour l’arrêt de la sous-traitance et la réintégration des salariés chez les donneurs d’ordre. Et je suis pour qu’on nationalise ces entreprises ». Le congrès de la CGT d’Air France, qui s’est tenu peu après celui de l’Union Locale de Roissy, s’est également prononcé pour la renationalisation de l’entreprise.
Quelle stratégie syndicale ?
Ces prises de position sont excellentes. Il faut maintenant passer de la parole aux actes. Un bon programme revendicatif n’est rien sans une stratégie pour permettre aux salariés de le transformer en victoires. Ceci suppose de construire des liens entre tous les salariés de l’aéroport. Les luttes interprofessionnelles constituent le fondement du syndicalisme à la CGT.
La question stratégique s’est une nouvelle fois posée à Roissy, cet été, dans le groupe Air France. Les grèves des mécaniciens, des services commerciaux et des agents d’escale n’ont pas été coordonnées. Dispersés, les salariés ne parviennent pas à faire reculer la direction. Cette dispersion doit cesser. La journée nationale de grève contre l’austérité, le 11 octobre prochain, doit être un point d’appui pour coordonner les grèves, les étendre et généraliser les luttes.
Bernard Thibault était présent lors d’une session du congrès. Ce fut l’occasion d’un débat sur le mouvement de l’automne 2010 contre la casse des retraites. Deux points de vue se sont opposés. Pour certains, l’unité de l’intersyndicale doit primer sur tout le reste, dans la construction et la conduite de la lutte. En d’autres termes, si l’intersyndicale n’était pas d’avis qu’il fallait étendre et généraliser la grève, la CGT ne pouvait pas y parvenir à elle seule.
Mais beaucoup de voix se sont élevées, pendant la discussion, pour faire remarquer que nous étions des millions engagés dans le combat, avec un appui de masse dans la population, et que les travailleurs étaient en très bonne position pour faire reculer le gouvernement, mi-octobre, lorsque le pays était au bord de la paralysie en raison du blocage des ports et des dépôts de carburants. Des camarades ont exprimé leur amertume face à cet échec, estimant – à juste titre – que le rapport de force se développait en notre faveur au cours des journées d’octobre. Un salarié d’Air France s’est emporté et a pointé Thibault du doigt : « On est des conquérants, mais on peut rien conquérir avec cette direction là ! ». A la tribune, on lui a répondu en évoquant l’intersyndicale (une fois de plus) et un manque de dynamique, dans les entreprises, pour étendre le mouvement. Dans la salle, l’argument n’a pas vraiment convaincu. Tout le monde a bien vu que la CGT constituait le gros des cortèges dans les rues. Beaucoup pensent qu’elle avait les moyens d’étendre et de généraliser les grèves, en mobilisant clairement dans ce sens. Elle aurait d’ailleurs entraîné dans le mouvement de très nombreuses structures des autres syndicats.
Le congrès a discuté de bien d’autres aspects de la vie syndicale, et notamment de la formation des camarades. Beaucoup ont fait remarquer qu’il faut la renforcer et qu’il faut en revenir à une explication claire des rapports de classe pour armer nos représentants dans les entreprises. Il a aussi été question de la vie démocratique interne et du contrôle des élus et mandatés. Tout ceci reflète la vitalité de la CGT à Roissy. Il ne s’agit pas d’obtenir des élus et des postes, mais avant tout d’organiser les travailleurs, de les former et de les préparer à mener des batailles.
Le niveau de discussion du congrès était excellent. Les revendications votées sont une illustration des très fortes attentes des salariés. Ils veulent un programme politique et un plan de bataille pour conduire nos luttes. Comme l’a répété un intervenant : « Sans les salariés, pas un avion ne décolle de Roissy ! » La formule a été reprise dans le document final du congrès et exprime assez justement le sentiment qui gagne les militants CGT. Nous avons les moyens de mener de grandes luttes. Nous en avons la détermination. Il nous faut maintenant une stratégie collective pour frapper tous ensemble !