A l’heure où nous bouclons ce journal (le 2 janvier), la grève des cheminots se poursuit. A l’origine de la colère et de la détermination des travailleurs du rail, il n’y a pas seulement la réforme des retraites. Depuis de nombreuses années, la politique de l’entreprise et ses différentes restructurations ont dégradé les conditions de travail des cheminots et la qualité de ce service public.
En 2018, après trois mois de « grève perlée » (et isolée), le gouvernement est passé en force : son « nouveau pacte ferroviaire » a ouvert le secteur à la concurrence (pour le privatiser) et a arrêté le recrutement de cheminots « au statut » à partir du 1er janvier 2020. Résultat : dans cette nouvelle entreprise, les cheminots ne se reconnaissent plus.
Signes avant-coureurs
Mi-octobre 2019, à la suite d’un accident entre un TER et un convoi routier sur un passage à niveau, les conducteurs et contrôleurs ont fait valoir leur droit de retrait. Ils pointaient du doigt les gros problèmes de sécurité que pose la nouvelle organisation de l’entreprise : elle permet la circulation de trains sans contrôleur (agent en charge de la sécurité), si bien qu’en cas de problème le conducteur se retrouve seul à gérer la situation.
Deux semaines plus tard, ce sont les travailleurs de plusieurs « technicentres » (maintenance du matériel), dont ceux de Châtillon et du Landy, qui ont débrayé. La direction prévoyait de supprimer les douze jours de repos supplémentaires par an qui viennent compenser le travail de nuit et de week-end de ces agents, qui par ailleurs touchent de très bas salaires (proches du SMIC).
Dès le lendemain du débrayage, la direction a reculé sur la suppression des jours de repos. Mais cela n’a pas eu l’effet escompté : la grève s’est poursuivie pendant dix jours et a obtenu davantage. La direction de la SNCF a dû annoncer, sur les cinq technicentres TGV, le recrutement de 300 agents en 2020 (contre 150 en 2019) et le remplacement de chaque démission. Une grève défensive, au départ, est passée à l’offensive. Précieuse leçon !
La grève reconductible
Depuis le 5 décembre, beaucoup de cheminots sont engagés dans la grève reconductible. Très régulièrement, des AG réunissent les travailleurs en lutte pour faire le point sur la mobilisation et les initiatives à prendre. Fin décembre, ces AG reconduisaient la grève systématiquement (et souvent à l’unanimité) puisque, de son côté, le gouvernement ne bougeait pas. Les cheminots sont déterminés à faire plier le gouvernement et la direction de la SNCF – sur la réforme des retraites et sur différentes questions internes à l’entreprise.
Pour faire face à la mobilisation et organiser une circulation minimale de trains, la direction de la SNCF réquisitionne des agents. Elle menace aussi les grévistes de retenues de salaire sur les jours de repos (en plus des jours de grève). En vain.
De son côté, le gouvernement a ressorti sa vieille rengaine sur les cheminots privilégiés qui partent à la retraite avec 3000 euros de pension – et sur les travailleurs de la RATP qui sont mieux lotis que le conducteur de bus en province, etc. Mais cette vieille propagande est un échec. La grève des transports est soutenue par une large majorité de la population.
Après neuf jours de grève, un communiqué de la direction de l’entreprise appelait les salariés à faire une « trêve » pendant les fêtes de fin d’année. Jean-Pierre Farendou, le tout nouveau président de la SNCF, demandait aux cheminots d’être « solidaires » et « compréhensifs ». Pour une fois, la direction de la SNCF mettait les « missions de service public » au premier plan de ses préoccupations !
Après tous ces sacrifices et face à l’attitude inflexible du gouvernement, il faudrait faire une trêve ? Les cheminots en grève ont vu dans ce discours une nouvelle marque de mépris. Ils étaient aussi très remontés contre les déclarations de certains dirigeants syndicaux, qui allaient dans le même sens que le gouvernement sur la question d’une « trêve ».
Les grévistes ont également rejeté les soi-disant « concessions » du gouvernement, qui consistent à opposer et diviser les générations de cheminots – en proposant que seules les générations 1980 (pour les agents sédentaires) et 1985 (pour les agents roulants) soient impactées par la réforme.
Ceci dit, on voit bien que le gouvernement joue la carte de l’usure et de l’isolement des cheminots. Après un mois de décembre sans salaire, la « fatigue » commence à se faire sentir, d’autant qu’on manque de perspectives. Lorsque, le 19 décembre, Philippe Martinez (CGT) annonçait une nouvelle grève interprofessionnelle pour le 9 janvier, nous avons été nombreux à juger que cette date était beaucoup trop tardive. Elle sonnait même comme un appel implicite à la « trêve ».
Les cheminots ne pourront pas tenir indéfiniment. Il faut vite une extension de la grève reconductible à d’autres secteurs décisifs de l’économie.