La manifestation du 29 janvier dernier était une preuve irréfutable de la colère et de la combativité d’une masse grandissante de travailleurs. Pour chacun des 2,5 millions de manifestants, cinq à dix autres auraient voulu manifester – ou, au minimum, se sentaient directement concernés par la lutte engagée. Les sondages indiquaient que 70% de la population était solidaire du mouvement. La grève générale en Guadeloupe et en Martinique – cette magnifique démonstration de combativité ouvrière – témoigne, elle aussi, de l’accentuation de la lutte des classes provoquée par l’incapacité du système capitaliste à répondre aux besoins les plus élémentaires de la population.
La situation actuelle constitue une confirmation éclatante des perspectives élaborées par l’aile marxiste du PCF. Dans de nombreuses publications, au cours de ces dernières années, nous avons expliqué l’inéluctabilité d’une récession économique qui, aggravée par le déclin de la position mondiale du capitalisme français, pousserait la classe dirigeante à défendre ses profits au moyen d’une grande offensive contre les conditions de travail et de vie de la population, et à procéder à la destruction de tous les acquis sociaux gagnés par les luttes passées. C’est dans cette voie que les représentants du capitalisme français se sont résolument engagés.
La crise économique s’aggrave d’une semaine sur l’autre. L’industrie s’effondre. En 2008, le déficit du commerce extérieur a dépassé 55 milliards d’euros ! Le pouvoir d’achat des ménages ne cesse de baisser. Le chômage monte en flèche – de même que toutes les manifestations de la misère qui l’accompagnent.
Le capitalisme est un système dans lequel toute l’activité économique et les conditions de vie de la masse de la population sont soumises à l’avarice d’une minorité capitaliste. Le mécanisme infernal du capitalisme nous tire inexorablement vers le bas. Le logement, la santé, l’éducation, l’emploi, les salaires, les retraites : tout dégringole. Or, aucune forme de société ne peut se maintenir indéfiniment au détriment de la majorité de la population. Cela vaut pour le capitalisme de notre époque comme pour l’Ancien Régime du XVIIIe siècle.
Les travailleurs, comme les étudiants, sont exaspérés. Plusieurs millions d’entre eux sont convaincus que ni les capitalistes, ni le gouvernement n’apporteront de solution, et qu’ils ne peuvent s’en sortir que par la lutte. La journée du 29 janvier était une illustration de cet état d’esprit. Mais pour autant, l’action du 29 janvier n’a rien résolu, en elle-même. Elle ne peut contribuer positivement à la lutte qu’à condition d’être prolongée par des actions de grèves reconductibles. Nous savons tous que nous ne pouvons pas en rester là.
Le gouvernement et les capitalistes sont assis sur un volcan qui peut entrer en éruption à tout moment. Derrière la confiance de façade affichée par les ministres et autres porte-paroles du capitalisme, la panique s’installe. Face aux proportions quasi-insurrectionnelles que prend la lutte des travailleurs et des jeunes aux Antilles, ils craignent une « contagion » de la France métropolitaine. Ils sentent confusément le sol se dérober sous leurs pieds. Le déclenchement d’un mouvement généralisé de grèves illimitées mettrait le gouvernement et les capitalistes dans une situation très dangereuse. Elle pourrait même amorcer le développement d’une situation pré-révolutionnaire.
Certes, le succès d’un mouvement de grèves illimitées ne serait pas garanti d’avance. Mais en tout état de cause, seul un mouvement de ce type aurait une chance d’aboutir à des concessions significatives. Et quel que soit le résultat immédiat du mouvement, en termes de concessions matérielles, il mènerait à une transformation radicale du tempérament et de la psychologie des travailleurs et de la jeunesse, transformation qui mettrait sa marque sur tout le cours ultérieur des événements. Pour prévenir ce danger, le gouvernement doit absolument maintenir la fiction de « concertations » avec les organisations syndicales. Si cette « concertation » sur le nouveau train de « réformes » – en réalité des contre-réformes draconiennes – devait s’interrompre, les vannes seraient ouvertes, et plus rien ne pourrait empêcher l’explosion de la poudrière sociale, peut-être même à très court terme. Du point de vue du gouvernement, maintenir le fil des discussions avec les directions syndicales est un enjeu de la plus haute importance stratégique. Du point de vue des travailleurs, par contre, la stratégie de la « concertation », que les directions syndicales ont de plus en plus de mal à justifier, a mené et ne peut que mener d’échec en échec.
Dans la lutte des classes, comme dans une guerre, la qualité des dirigeants est un facteur décisif. Au lieu de chercher à exploiter immédiatement le succès phénoménal de la journée du 29 janvier, en portant la lutte à un niveau supérieur, les directions syndicales – y compris celle de la CGT – ont tout bonnement cédé l’initiative à l’adversaire. Elles n’ont proposé d’autre perspective que d’attendre… le prochain discours de Sarkozy ! Le jour venu, Sarkozy n’a rien proposé, en dehors de mesures au profit des capitalistes, comme par exemple la suppression de la taxe professionnelle. Ceci était tout à fait prévisible. Pensait-on sérieusement qu’il allait abandonner sa politique de régression sociale ? Loin de faire des concessions, Sarkozy a réaffirmé que le prochain paquet de « réformes » dirigé contre les travailleurs serait adopté quoi qu’il arrive. Quant au MEDEF, il a de nouveau demandé que le gouvernement facilite les procédures de licenciements ! Le message n’est-il pas suffisamment clair ? Et pourtant, quand Sarkozy a invité les dirigeants syndicaux à venir discuter des modalités de la mise en œuvre de sa politique, comme une araignée invite des mouches à se laisser prendre dans sa toile, les mouches ont accepté l’invitation !
Les dirigeants syndicaux n’auraient jamais dû accepter de marcher dans cette combine. Il s’agit d’une manœuvre cynique de la part du gouvernement. La seule conséquence tangible des « concertations » avec Sarkozy, c’est de prêter l’autorité des organisations syndicales aux mesures gouvernementales, qui seront ainsi annoncées comme ayant fait l’objet de discussions avec les « partenaires sociaux ». Le « sommet social », prévu pour le 18 février, ne règlera rien. On le sait d’avance. Comme Sarkozy le dit lui-même, sa politique de régression sociale n’est pas négociable. Et pour cause : elle répond aux impératifs incontournables d’un système en déclin. Plutôt que de suspendre l’action syndicale aux leurres et subterfuges des « consultations » gouvernementales, les directions syndicales devraient tout mettre en œuvre pour convaincre les travailleurs de la nécessité d’un mouvement de grèves illimitées paralysant les secteurs clés de l’économie nationale.
Nous ne sommes pas hostiles à toutes négociations, en toutes circonstances, avec le gouvernement. Mais des négociations qui ne sont appuyées que par des manifestations ponctuelles – aussi massives soient-elles – n’aboutiront à rien, si ce n’est à épuiser les détachements les plus combatifs du mouvement. Pour des dirigeants syndicaux de la « trempe » de Chérèque ou Mailly, des journées comme celle du 29 janvier, ou comme celle qui a été annoncée pour le 19 mars prochain, ne servent précisément qu’à cela. Chérèque et Mailly, qui se considèrent, de toute évidence, comme des conseillers stratégiques de Sarkozy, l’ont constamment mis en garde contre le « danger » qu’il courrait en mettant à l’ordre du jour plusieurs réformes en même temps. Ils l’ont prévenu que cela risquait de coaliser les oppositions et donner lieu à une généralisation des luttes contre le gouvernement. Ils lui conseillaient de traiter les problèmes « dossier par dossier ». Si, pour le 29 janvier, ces mêmes dirigeants ont finalement accepté l’organisation d’une mobilisation unitaire, c’était pour tenter de redonner du souffle à la mascarade de la « concertation ».
La direction de la CGT, réputée plus combative, a cependant adopté une démarche similaire, dans la pratique. Le 29 janvier, 2,5 millions de personnes descendent dans la rue contre Sarkozy. Ensuite, on leur dit d’attendre ce que Sarkozy dira le 5 février. Le jour venu, l’intervention télévisée du Président n’indique aucun infléchissement de sa politique, mais les syndicats acceptent tout de même d’entrer dans le jeu des consultations du 18 février. Pour faire pression sur les pourparlers en question, une nouvelle journée de manifestations est annoncée pour le 19 mars. Et après ? Faudra-t-il attendre un nouveau passage de Sarkozy à la télévision, suivi d’autres pourparlers, suivis d’autres journées d’action ? Combien de temps cette valse futile va-t-elle encore durer ?
Sarkozy joue la montre. Les lycéens ont mené une lutte en décembre 2008. Les étudiants et les chercheurs sont en lutte aujourd’hui. Dans les Territoires d’Outre-mer, une grève générale massive est en cours, pour la satisfaction de revendications qui sont plus que légitimes. Il ne faut pas perdre de temps. La CGT et l’ensemble du mouvement syndical devraient mettre tout leur poids dans la balance pour soutenir cette lutte. Il faut s’en inspirer pour déclencher un mouvement similaire, en France métropolitaine.
On nous dit souvent qu’une grève générale, ça « ne se décrète pas » – ça « se prépare ». Mais le problème, c’est qu’elle n’est actuellement ni décrétée, ni préparée. L’ampleur des actions à mener ne peut évidemment pas être dissociée du programme revendicatif et des méthodes de lutte employées. Plusieurs millions de salariés voudraient participer aux journées de mobilisation. Mais les conséquences d’une telle participation, en termes de représailles patronales, pèsent plus lourd que les résultats – en l’occurrence inexistants – d’actions aussi limitées. C’est particulièrement le cas dans le secteur privé.
Sous prétexte de ne pas politiser la lutte syndicale, la direction de la CGT refuse de poser la question – centrale, de notre point de vue – de la propriété des entreprises. Pour soulever l’enthousiasme de la masse des travailleurs et de la jeunesse, pour les convaincre de la nécessité et de l’intérêt de s’engager dans une lutte qui s’annonce particulièrement ardue, il faut un programme et des méthodes de lutte qui frappent le système capitaliste à la tête. Il faut expliquer la nécessité d’exproprier les capitalistes, de s’emparer des usines et des grandes entreprises en général. Il faut expliquer la nécessité de nationaliser les banques, les organismes de crédit et les assurances. Il faut également nationaliser les entreprises qui contrôlent la grande distribution. Ces nationalisations ne doivent pas se faire à la manière des nationalisations du passé, mais en plaçant le contrôle et la gestion des entreprises entre les mains des travailleurs.
A ce programme général, il faut des actes correspondants. Quand une entreprise est menacée de fermeture ou de délocalisation, la CGT devrait inciter les travailleurs à s’en emparer, et s’engager à mener campagne pour leur assurer un soutien moral et financier jusqu’à ce qu’on obtienne la nationalisation de l’entreprise pour conserver l’emploi et l’outil productif. De telles idées peuvent paraître « extrémistes » à certains. Mais les vrais extrémistes, ce sont les capitalistes et leurs représentants au gouvernement, dont le vandalisme social et économique est en train de détruire les vies et les espoirs de la masse de la population, dans le seul but de sauvegarder et accroître encore les énormes richesses qui sont concentrées entre les mains d’une minorité.
Extrêmes ou pas, les idées que défend de La Riposte – les idées du marxisme – reflètent la réalité, la vérité de la situation actuelle. Tant que la propriété capitaliste sera considérée comme sacro-sainte, tant que les capitalistes conserveront leur contrôle des banques, de l’industrie et de l’essentiel des ressources économiques, aucune issue favorable ne sera possible pour les travailleurs de ce pays.