En décembre 2019, 183 cheminots lyonnais ont déposé plainte contre la SNCF auprès du tribunal des Prud’hommes. Epaulés par la CGT, ils accusent l’entreprise de les avoir exposés sciemment à l’amiante présent sur l’ancien technicentre d’Oullins, en banlieue lyonnaise. Une « réunion de conciliation » s’est tenue fin septembre ; elle s’est achevée par le refus de la SNCF de se reconnaître quelque responsabilité que ce soit.
Empoisonnement
Construit en 1848, le site d’Oullins est aujourd’hui fermé. Durant une bonne partie de son activité, ses bâtiments étaient truffés d’amiante, sans que rien ne soit fait pour garantir la sécurité des travailleurs, y compris après l’interdiction de l’utilisation de l’amiante en 1997. Les plaignants ont tous passé des années, sur le site, sans qu’aucune information sur les risques encourus ne leur soit communiquée – et sans même que des équipements de protection ne leur soient fournis.
Nombre d’entre eux sont déjà tombés malades. 25 de ces cas ont déjà été reconnus comme maladie professionnelle, sans compter les 15 déjà décédés. Et ce décompte n’est malheureusement pas fini, puisque la plupart des maladies causées par l’amiante, comme le mésothéliome (une variété de cancer du poumon), mettent 30 ou 40 ans à se déclarer. Pour les travailleurs passés sur le site d’Oullins, l’amiante est donc une épée de Damoclès qui se rappelle à leur souvenir à la moindre toux. C’est aussi ce préjudice moral qu’ils voudraient voir reconnu et indemnisé.
Cynisme
En 2013, déjà, 162 cheminots avaient déposé plainte contre la SNCF, dans cette affaire. Après des années de procédure, la SNCF avait été condamnée, en 2017, à indemniser chaque plaignant à hauteur de 60 000 euros. Mais la SNCF avait fait appel et avait gagné en seconde instance, laissant ses anciens salariés face à leur maladie et leurs angoisses.
L’action en justice entamée l’an dernier vise à faire reconnaître pour de bon le préjudice subi, mais aussi la responsabilité de la direction de la SNCF. Celle-ci refuse tout accord amiable ; elle est prête à faire traîner l’affaire autant que possible. C’est qu’elle redoute plus que tout qu’une condamnation fasse jurisprudence, car alors elle risquerait d’être attaquée en justice par tous les autres salariés qui ont été exposés à l’amiante. Elle compte donc sur l’épuisement des plaignants, souvent retraités, et sur le délai de prescription. D’une façon assez abjecte, l’amiante travaille aussi pour elle, puisque chaque victime d’un mésothéliome est un plaignant de moins.
Loin des campagnes de publicité qui vantent le professionnalisme de l’entreprise, la SNCF se prépare à sa privatisation. Elle fait donc des économies sur tous les tableaux – y compris sur la sécurité des cheminots et du public – pour séduire les investisseurs privés. L’amiante n’est qu’un aspect du problème, comme l’ont montré le déraillement de Brétigny-sur-Orge, en 2013, et l’accident de Saint-Pierre-sur-Vence, en 2019.