Le 49ème congrès confédéral de la CGT s’est réuni à Nantes du 7 au 11 décembre derniers. Le rapport d’activité des trois dernières années et le texte d’orientation pour les trois prochaines ont été approuvés à une très large majorité des délégués. Bernard Thibault, le Secrétaire Général, a été facilement reconduit dans ses fonctions. Toutes les propositions visant à doter la CGT d’un plan de lutte concret et résolu contre la dégradation constante des conditions de vie des salariés ont été écartées. Le programme de la CGT ne contient aucune mesure portant atteinte à la propriété capitaliste. Dès lors, on comprend qu’à l’issue du congrès de Nantes, la presse capitaliste encense le « réalisme » et la « modernité » de la direction de la CGT.
Pour autant, la contestation de l’orientation confédérale n’a jamais été aussi forte. L’ébullition des organisations de base – chez Continental ou New Fabris, par exemple – n’a peut être pas bouleversé le déroulement du congrès, mais quiconque a participé récemment à une assemblée d’adhérents de base a pu constater que la question de la stratégie de lutte du syndicat se trouve au cœur des débats, et que le bilan des trois années écoulées, en la matière, est bien loin d’être majoritairement approuvé. Au cours de la période de préparation du congrès, de très nombreux amendements ont été rédigés par les militants CGT. Les amendements retenus par le congrès n’ont pas changé la nature du texte d’orientation, mais le tiers des propositions de modifications ont néanmoins été validées, une proportion inconnue jusqu’ici. D’autre part, si le rapport d’activité de l’Exécutif sortant a obtenu 77% des suffrages des délégués, c’est tout de même 5 points de moins que lors du précédent congrès, en 2006. Et les débats ont surtout porté sur le manque de perspectives données aux luttes des salariés.
Cette situation exprime la pression qu’exerce une partie croissante des adhérents de la CGT qui exigent une issue à l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Les syndicalistes sont confrontés à la dégradation constante de leurs conditions de travail et de vie. L’exaspération monte face à l’impuissance de la stratégie adoptée jusqu’ici par la confédération. Les « concertations » avec le gouvernement, comme les grandes journées d’action isolées et sans lendemain, se sont révélées complètement inefficaces.
Le congrès a permis à un millier de délégués de se prononcer, le plus souvent par leur vote, sur le bilan et l’orientation de la confédération. Mais pour être délégué au congrès, il ne suffisait pas d’avoir été choisi démocratiquement par son syndicat de base. Il fallait également que ce choix soit validé par une instance de la CGT (une fédération ou une Union Départementale), et ce en dehors de tout contrôle des syndiqués de la base. Malgré ce filtrage, et malgré une stricte maîtrise des prises de paroles, la contestation de l’orientation confédérale s’est exprimée, au congrès. Si chaque adhérent de la CGT avait eu la possibilité de prendre part aux votes, le bilan et l’orientation de l’exécutif sortant auraient récolté beaucoup moins que 77% des suffrages. Ils auraient même probablement été minoritaires. De ce point de vue, Bernard Thibault et la direction confédérale ne sortent pas renforcés du congrès. Au cours de leur nouveau mandat, la contestation grandira encore et deviendra de plus en plus difficile à étouffer.
L’opposition à la direction confédérale
La direction de la CGT est parfaitement consciente du mécontentement qui existe, dans ses rangs. Elle sait qu’une couche de plus en plus large de ses militants veulent un durcissement des luttes et des mots d’ordre clairs. Dans son discours de clôture, Bernard Thibault a déclaré qu’« à la CGT, il ne peut y avoir par principe une opposition et une majorité (...). Il n’y a pas une "ligne" de la direction confédérale, mais une orientation définie par les syndicats et qui représente la feuille de route de la direction confédérale et des organisations de la CGT. » Cela n’a aucun sens. Toute direction d’une structure de la CGT est tenue de proposer une orientation, c’est-à-dire une ligne, comme l’a fait la direction sortante dans son texte d’orientation. Il existe donc bien par principe une ligne de la direction confédérale, qui au congrès a rencontré une majorité et une opposition. Même si elle n’est pas homogène, cette dernière s’est exprimée à hauteur de 23%. Mais ce que Bernard Thibault veut dire, c’est que confrontée à une opposition grandissante issue des sections syndicales de base, la direction confédérale n’entend pas tolérer d’être remise en cause et critiquée pendant l’exécution de son mandat.
Un congrès confédéral est le lieu de la prise des grandes décisions qui concernent toute la CGT. Mais tout syndiqué peut défendre librement et en toute circonstance un point de vue différent de celui qui a rencontré une majorité, dans un congrès. C’est son droit, qu’il doit pouvoir exercer tout au long des trois années du mandat donné à la direction de la CGT. Un exécutif, quel qu’il soit, doit être soumis au contrôle démocratique des adhérents. Les adhérents CGT doivent contrôler leurs dirigeants et leurs représentants, qui doivent tous être élus et révocables. Pour ce faire, les sections syndicales doivent se réunir en assemblées générales régulières.
Quelles perspectives à l’issue de ce congrès ?
Les décisions prises au congrès n’ont pas remis en cause la politique de « concertation » avec le gouvernement et le patronat. Bernard Thibault dit qu’il est normal d’adresser des revendications au plus haut niveau de l’Etat. C’est juste. Mais il est parfaitement contre-productif d’implorer le gouvernement de se concerter avec la CGT sur des projets de réforme réactionnaires. Cette stratégie a mené à une succession de défaites. Le syndicalisme de lutte suppose l’indépendance totale vis-à-vis de l’Etat. Ce dernier a vocation à défendre les intérêts des capitalistes. Face à lui, la CGT devrait se doter d’un programme général de lutte pour défendre les salariés. Elle a besoin – tout autant que le PCF – d’un projet de société, d’une alternative au capitalisme.
Le congrès de la CGT n’a pas remis en cause la stratégie dite de « syndicalisme rassemblé ». L’unité des centrales syndicales est évidemment une force pour les salariés en lutte, à une condition : que cette unité se fasse sur la base de revendications et d’une stratégie justes. Jusqu’ici, cette unité a servi de prétexte pour justifier et poursuivre une stratégie erronée. Gageons que beaucoup de cégétistes ne seront pas satisfaits par la seule proposition concrète avancée pour les prochains mois : une nouvelle journée de mobilisation sur l’emploi, les salaires et les retraites... le 24 mars prochain.
Dans notre Critique du document d’orientation du 49ème congrès de la CGT, nous écrivions : « La carence la plus flagrante de ce texte est qu’il ne donne absolument aucune consigne et aucune indication sur la conduite des luttes en cours ou à venir. Les salariés dont l’entreprise est menacée de fermeture ou de délocalisation n’y trouveront rien pour appuyer et renforcer leur combat. Le texte d’orientation ne s’occupe pas de leur cas – pas plus que la direction confédérale ne s’en occupe, dans la pratique. On les laisse pratiquement se débrouiller seuls. Ce fut le cas pour les travailleurs de Continental, comme pour tant d’autres salariés de sites menacés. Face à l’attitude implacable du patronat, la CGT devrait promouvoir une stratégie offensive qui frappe à la racine du problème, c’est-à-dire qui s’en prenne à la propriété des capitalistes, au pouvoir qu’ils ont de décider du sort des travailleurs. Se contenter d’attendre un repreneur capitaliste, ou lutter pour des primes de licenciement, n’est pas la solution. Les salariés devraient passer à l’occupation des entreprises menacées. Usine fermée, usine occupée – jusqu’à la nationalisation de l’entreprise, sous le contrôle et la direction des salariés eux-mêmes. La CGT devrait organiser des campagnes de solidarité pour apporter l’argent et le soutien dont les travailleurs auront besoin pour maintenir l’occupation et sauver leurs emplois. » Ces remarques sont toujours valables, au lendemain du congrès. La CGT doit proposer un programme et un plan d’action permettant aux salariés de défendre leurs conditions de salaire et de vie – et de remporter des victoires sur le patronat.
Dans les mois et les années à venir, le mécontentement s’affirmera davantage, dans les rangs de la confédération. Lorsque les salariés commenceront à se remettre du lourd coup qui leur a été porté pendant ces mois de crise, les luttes pourraient bien gagner en ampleur. Les tentatives de verrouiller les débats ne résisteront pas aux décisions qui seront prises en assemblées générales des syndicats de base de la CGT. Aucune réforme des structures, comme celles qui se préparent pour le 50e congrès, et qui visent à accroître le contrôle de la direction confédérale sur l’ensemble des organisations, n’empêchera l’irruption de la base dans les prises de décisions. Selon le contexte et l’expérience acquise, une position minoritaire à l’issue d’un congrès peut brusquement être partagée par une majorité. Ce jour viendra à la CGT.