Depuis le lundi 26 avril, les salariés d’Airbus bloquent la production, pour une durée indéterminée, sur la question des salaires, de l’emploi et des conditions de travail. C’est un mouvement sans précédent par son ampleur. Il faut remonter aux années 70 pour voir un mouvement similaire, mais celui d’aujourd’hui est marqué par une unité syndicale de longue durée inédite.
Des revendications légitimes
Le 14 avril, l’intersyndicale FO-CGC-CGT-CFTC-CFDT établissait un cahier revendicatif et demandait aux salariés de s’en tenir au strict minimum sur leurs obligations relatives aux heures de travail (pas d’heures supplémentaires, pas d’heures écrêtées, etc.). Voici les principales revendications :
- Une hausse globale des salaires identiques à 2009, soit 3,5 % d’augmentation au lieu de 1,5 % proposé par la direction. [1]
- Un relèvement significatif du salaire plancher.
- Des augmentations générales pour les cadres.
- Un financement des déroulements de carrières hors politique salariale.
- Un crédit spécifique pour supprimer les écarts de salaires hommes/femmes.
- Un relèvement de la prime d’ancienneté.
- Un niveau de prime d’intéressement et de participation comparable aux autres filiales d’EADS pour les salariés d’Airbus, qui réalisent 75 % des résultats d’EADS (Les salariés des filiales ATR et Astrium vont toucher en moyenne plus de 3700 euros alors que la direction d’Airbus propose une prime de 557 euros).
- Le démarrage immédiat d’une négociation sur les grilles de classification, afin de reconnaître à leur juste valeur, l’expérience, l’expertise et les responsabilités assumées par les salariés.
- L’embauche de tous les apprentis et de tous les diplômés des promotions sorties en 2009 et de celles qui sortiront en 2010 de notre lycée AIRBUS.
- L’embauche de tous les salariés en CDD, l’embauche de tous les salariés en contrat d’intérim.
- L’arrêt de l’abandon de nos charges de travail et de nos compétences AIRBUS à la sous-traitance.
- L’embauche immédiate de nos collègues sous-traitants in situ.
La mobilisation s’étend
Le vendredi 23 avril, l’intersyndicale appelait à la grève pour soutenir les délégués en réunion de négociation avec la direction. Sur les sites d’Airbus en France, entre 8000 et 10000 salariés ont répondu à l’appel. Fort de la mobilisation des salariés, l’intersyndicale a décidé de passer à la vitesse supérieure en bloquant la production.
Depuis lundi 26 avril 12 h 30, les salariés font une grève tournante pour bloquer le déchargement des avions-cargos Beluga à Toulouse, bâtiment C40. Dans ces avions sont transportés les éléments des avions A320, A330 et A340, en provenance des sites de production en Europe, en vue de leur assemblage final. Ainsi, l’approvisionnement des lignes d’assemblage final (FAL) est stoppé dans toute l’Europe.
Le lundi, les salariés de l’usine Clément Ader (A330, A340) ont commencé la grève ; suivis mardi de ceux de la chaîne A320 ; mercredi, de ceux de la chaîne A380, mobilisés à 75 % ; jeudi, de ceux de l’usine St-Eloi (production des mâts réacteur) ; vendredi, des salariés du bureau d’études et de l’informatique assistés de leurs collègues du siège d’Airbus à Blagnac.
Des collectes sont organisées par l’intersyndicale dans chaque restaurant d’entreprise pour essayer de compenser au mieux les pertes de salaires des grévistes qui bloqueront le C40.
Les salariés d’Airbus en grève semblent déterminés à aller au bout de ce mouvement malgré les menaces de la direction d’envisager des actions judiciaires, comme l’a écrit le DRH M. Baril dans une lettre adressée à l’ensemble des salariés. Ils commencent déjà à s’organiser pour que le blocage se poursuive durant le week-end. Et ce qui est remarquable, c’est que les salariés commencent à prendre des initiatives, discutant de la poursuite du blocage, réalisant leurs propres pancartes et banderoles.
Les raisons de la colère
Ce mouvement ne surgit pas par hasard, et l’unité des syndicats fait échos à une situation qui s’est détériorée avec les années, en particulier depuis le début du plan de restructuration Power 8, et plus généralement depuis la privatisation qui a permis aux actionnaires privés et publics d’aspirer toutes les richesses créées par les salariés. Les conditions de travail se sont largement dégradées, notamment avec des nouvelles mesures de management comme le Lean et l’outil de notation individuelle des salariés d’Airbus (P & D), qui ne sont ni plus ni moins que des méthodes de management par le stress aux conséquences perverses pour la santé des salariés.
La façon dont ont été traités les salariés avec l’externalisation des usines de Méaulte, de Saint-Nazaire ville et d’une partie du bureau d’études de Toulouse, a laissé une grande amertume. Voir l’article Airbus : vendu par appartements, ses salariés expulsés
Mais le comportement des dirigeants d’Airbus ces dernières années pèse également dans l’équation : l’affaire des délits d’initiés, les salaires mirobolants (2 445 000 € pour le PDG d’EADS Louis Gallois et 2 018 432 € pour le PDG d’Airbus Tom Enders, soit +16 % d’augmentation en 2008), le plan Power 8, le projet Zéphyr, l’affaire Clearstream, la débâcle financière du programme A380, etc.
Aujourd’hui, les arguments de la direction concernant les « difficultés » financières d’Airbus ne convainquent personne, alors que les livraisons d’avions n’ont jamais été aussi importantes : 498 livraisons en 2009 contre 305 en 2003. Le chiffre d’affaires 2009, même s’il stagne par rapport à 2008, n’a jamais été aussi important : plus de 28 milliards d’euros à comparer aux 19 milliards d’euros réalisés en 2003. La trésorerie « nette » s’élève quant à elle à près de 10 milliards d’euros.
La direction s’est lancé dans un bras de fer qu’elle pourrait bien perdre. En effet, à partir de ce week-end, la production des avions risque d’être fortement pénalisée, comme cela semble être déjà le cas pour la chaîne d’assemblage A320 à Toulouse.
Nous ne pouvons pas connaître à l’avance le résultat de cette lutte, mais on peut dire que cette mobilisation est déjà un succès, car les salariés et leurs organisations syndicales se sont lancés avec détermination dans une lutte offensive, et ce, dans l’unité. Et ils ont toutes les raisons d’avoir confiance dans leurs forces, comme ils sont en train d’en faire la démonstration.
[1] D’après un sondage réalisé par la CGT, 90 % des salariés interrogés souhaitent une revalorisation de leurs salaires de 5 %.