Entretien avec Justine, doctorante et enseignante vacataire à l'Université Toulouse Jean Jaurès.
Quel poste occupez-vous au sein de l’Université JJ ? Quelles qualifications nécessite-t-il ?
(Justine) Je suis doctorante en anthropologie depuis trois ans et enseignante vacataire au premier semestre de cette année scolaire. En anthropologie nous manquons d’effectif enseignant, c’est pourquoi l’obtention d’un master et une inscription en première année de thèse suffisent pour donner des cours. Mais cette situation est aussi dommageable pour les doctorants qui enseignent que pour leurs élèves. Un semestre où l’on donne des cours est un semestre pendant lequel nous ne travaillons pas sur notre thèse. Au-delà du fait que cela pénalise la qualité de nos recherches, les étudiants de licence se retrouvent face à des chargés de travaux dirigés (TD) qui ne sont pas formés à l’élaboration d’un contenu pédagogique et qui sont encore en train de consolider leurs propres connaissances. Nous n’avons pas assez de temps pour nous enrichir professionnellement et gagner en expérience.
Quelles sont vos conditions de travail ?
Normalement lorsqu’un TD nous est confié, le support, les cours et une liste de textes à lire et à présenter aux étudiants doivent nous être communiqués. On considère que 1h de TD équivaut à 4h de travail et nous sommes payés 33 € net le TD, soit moins du SMIC pour une heure de travail. En réalité pour 2h de TD enseignées, il faut bien plus compter deux jours de travail sans inclure le temps de correction des copies ou de réponse aux mails des étudiants. Par exemple, après un remaniement, je me suis vue assigner une UE de troisième année de licence sans support fourni, ni cours, ni textes et dont la seule consigne tenait en une phrase courte. Des collègues et moi avons dû tout élaborer de A à Z, de la recherche de texte à la construction des séances, sans être payés pour cela.
En termes de rémunération, un enseignant vacataire reçoit son salaire en plusieurs fois au second semestre pour les cours qu’il a donnés au premier. Il est régulier de constater des retards de paiement à cause de problèmes liés à la dématérialisation des démarches administratives. Au moindre problème de lisibilité d’un document par exemple, nous risquons de voir notre paiement et la signature de notre contrat décalé bien que nous ayons déjà commencé à donner des cours. Ces problèmes sont reportés à la responsabilité individuelle du vacataire, alors qu’il s’agit d’une décision politique de la part de la direction.
Vous faites partie du Collectif des précaires de la fac, il a été à l’initiative de plusieurs mobilisations et grèves depuis la reprise des cours en janvier. Quelles sont vos revendications ?
Nous avons annoncé une semaine de grève du 2 au 6 mars et décidé de la rétention des notes du premier semestre. Nationalement, nous nous positionnons contre la loi de programmation de la recherche (LPPR) et pour le retrait de la réforme du chômage. Localement, nous demandons la possibilité d’une mensualisation du salaire pour ceux qui le veulent. L’attribution d’un local pour nous réunir, penser nos actions et informer les précaires qui jusqu’à présent n’obtiennent pas d’informations de la part de l’administration. Un plan de titularisation ambitieux pour absorber en partie les précaires et pérenniser leurs emplois. Une rétribution des heures de réunion, de préparation et de correction des copies en supplément des heures d’enseignement. Une exonération des frais d’inscription pour les doctorants – qui s’élèvent entre 400 et 500 € (CVEC comprise) tandis que nous sommes payés aux alentours de 800 € pour un TD sur un semestre.
D’un point de vue plus politique, il s’agit de reconnaître au doctorant son statut de travailleur. C’est difficile parce que cela demande de considérer le doctorant comme faisant un travail de recherche. Je n’ai pas de contrat doctoral et bien que je fasse le même travail (recherche, organisation de séminaires, colloques, écriture d’articles), je suis considérée comme étudiante. Paradoxalement, je n’ai pas le droit aux aides du CROUS, car je suis considérée comme étant éligible au marché du travail.
Mais il est illégal que je perçoive le RSA, car pour la CAF je suis étudiante. Les doctorats non financés ne bénéficient pas d’un cadre juridique clair, à la limite de la légalité, oscillant entre le statut d’étudiant et de travailleur. Certains se sont vus dans l’obligation de rembourser le RSA qu’ils avaient perçu. Des élus de l’Ecole Doctorale essaient de faire rentrer l’idée de seuil de pauvreté, car beaucoup de doctorants non financés sont précaires et pauvres touchant entre 500 et 600 par mois.