Les services de santé sont en crise depuis des années, bien avant la pandémie de COVID-19. Aujourd’hui, les représentants de la bourgeoisie rendent des hommages hypocrites aux soignants. Emmanuel Macron s’est fait récemment une spécialité de ces déclarations pompeuses. La situation était toute différente avant le 16 mars. La répression et le mépris étaient les seules réponses aux luttes des soignants contre les politiques d’austérité qui détruisaient l’hôpital public. L’impact des coupes budgétaires s’est particulièrement fait sentir dans les zones éloignées des grands centres urbains. C’est le cas des trois soignants (V., F. et N.) que nous avons interviewés ici. Tous trois travaillent en effet dans des structures hospitalières ou des EHPAD du Vaucluse. La situation qu’ils décrivent ne sera pas réglée par les promesses vides du gouvernement. L’hôpital public reste en effet une des cibles des politiques d’austérité, qui visent à faire payer la crise du capitalisme aux travailleurs et aux jeunes. La santé est devenue aujourd’hui un « luxe » pour les capitalistes, qui la soumettent à des impératifs purement comptables.
Révolution : Quelle est la relation avec la hiérarchie et à quoi ressemble sa gestion ?
V : Ça a évolué depuis que je travaille. Avant, la hiérarchie n’était pas autant « morcelée », maintenant il y a des cadres pour tout. C’est aberrant. L’administratif prime, et on nous fait croire qu’on participe. Mais ils n’ont aucune obligation : on est juste des pions.
F : Ils « calculent » en combien de temps, selon eux, on doit faire une tâche, et on est contrôlé sur celui-ci. Il y en a plein, de ces mesures… pour qu’ils puissent rentrer tout ça dans un tableau Excel ! Ils fonctionnent dans une logique d’économiser le plus possible, en rognant partout.
N : Je devais harceler les cadres et la direction pour des prises en charge décentes et suffisamment rapides. […] Dans ces conditions, ce sont les patients avec le moins de contacts et sans familles qui en pâtissent le plus.
Comment vous gériez le manque de matériel ? Et avec cette crise ?
V : On devait faire de plus en plus d’économies. Il faut tout le temps justifier pourquoi on utilise un produit, et comment on veut s’en servir et… c’est excessif, on a l’impression qu’ils s’imaginent que c’est pour autre chose que pour soigner, mais nous on peut pas tout prévoir, tout chiffrer. Et aujourd’hui, cette façon de gérer le matériel est encore plus marquée. […] En ce moment, on fait comme on peut, on a un paquet de masques pour la journée. Mais en début de crise, on s’est fait engueuler parce que justement on portait des masques, et que selon eux ça ne servait à rien. Des médecins ont dû menacer de ne plus soigner, pour qu’ils se décident.
F : Sur Avignon, on n’est pas prêt. Même s’il y a déjà eu des réquisitions de matériel, le Vaucluse est le département le moins bien équipé de la région PACA en termes de soins techniques.
Et qu’est-ce qu’il en est de la fatigue morale et physique ?
N : Quand je suis partie de l’hôpital d’Apt, on était deux infirmières pour 20 patients. Aujourd’hui il n’y en a plus qu’une. […] Avec autant de pression, les soignants baissent les bras, et ça pousse à la négligence et à la maltraitance. En ce moment, je suis mobilisée dans un EHPAD. Je suis la seule infirmière, avec 4 aides-soignantes, pour nous occuper de 75 patients. Il y a bien 2 autres aides-soignantes, mais elles sont en charge de 12 cas particuliers.
V : Il a clairement une fatigue morale. D’abord avec toute cette hiérarchie morcelée, ça nous empêche de faire remonter les problèmes. En plus, puisque c’est informatisé, on a l’impression de passer plus de temps devant ses mails qu’à faire notre travail.
Par exemple il y a des fiches à remplir pour assurer la traçabilité des soins, mais ce n’est pas toujours possible d’appliquer toutes les règles. Ils ne se rendent pas compte des conditions de travail, même le cadre le plus proche des équipes. […] Du coup, pour espérer se faire entendre, on envoie le mail à plusieurs personnes et on reste à l’affût, car ils exigent des réponses rapides. C’est épuisant, et décourageant. Parfois, on n’a même pas le temps pour demander plus de matériel.