Dès les premières pages de son livre Qu’ils s’en aillent tous !, Jean-Luc Mélenchon annonce qu’il ne s’agit pas d’un programme, mais plutôt d’un « croquis sommaire sur la façon d’engager notre révolution citoyenne ». Normalement, un croquis – même sommaire – permet de savoir ce qui est dessiné. Mais ici, on a bien du mal à discerner les contours de la société à laquelle aspire le dirigeant du Parti de Gauche. Il critique longuement les capitalistes, leurs médias et les politiciens réactionnaires. Cette charge contre les riches et les puissants frappe souvent juste. Mais ce que Mélenchon propose de mettre à la place n’est pas très clair.

Quel régime de propriété ?

La « révolution citoyenne » que propose Mélenchon passe par un très grand nombre de consultations démocratiques. On voterait beaucoup, y compris dans les entreprises, semble-t-il. Cette idée va dans la bonne direction, mais elle ne répond pas à la question fondamentale : qui possèdera ces entreprises ? Les capitalistes, qui les soumettent au seul critère du profit – ou la classe ouvrière, sans laquelle rien n’est produit ? Mélenchon précise : « il ne s’agit pas de clamer, à l’ancienne : la “mine au mineur” », car nous aurions alors un « gouvernement des corporations ». Mais dans ce cas, à qui « la mine » doit-elle appartenir ? Dans tout le livre, la seule réponse concrète à cette question se réfère aux« coopératives ». Selon Mélenchon, il faudrait faire « bifurquer le régime de propriété des entreprises de ce côté » et « généraliser graduellement » le système des coopératives.

La contradiction saute aux yeux. Les coopératives reposent précisément sur le principe que Mélenchon vient de rejeter : « la mine au mineur ». Ces deux affirmations contradictoires se situant à 40 pages de distance, dans le livre, il est possible que l’auteur lui-même ne s’en soit pas rendu compte. Toujours est-il que l’idée de « généraliser graduellement » le système des coopératives n’est pas une solution à la crise du capitalisme, selon nous. En imaginant qu’une telle généralisation soit possible, nous aurions alors une multitude de coopératives en concurrence les unes avec les autres, sur le marché. Les travailleurs les plus efficaces s’en sortiraient mieux que les autres. Un tel système finirait par générer une mentalité de propriétaires – et les comportements qui vont avec. Les marxistes défendent un tout autre programme : l’expropriation des grands capitalistes, la propriété publique des grands leviers de l’économie, la planification centralisée de la production et son contrôle démocratique par toute la classe ouvrière – aussi bien pour élaborer le plan que pour le réaliser. Par « contrôle ouvrier », nous n’entendons pas seulement le contrôle des salariés sur l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Bien sûr, toute une série de sujets comme la sécurité, les conditions de travail, etc., seraient directement décidés par les travailleurs des entreprises concernées. Mais le plan général doit être élaboré par toute la classe ouvrière et refléter les intérêts généraux du salariat dans son ensemble.

Mélenchon propose-t-il sérieusement que des mastodontes capitalistes tels que Veolia, Carrefour ou la Société Générale soient transformés en coopératives ? Ce serait absurde. Mais alors, qu’en faire ? Il n’en dit rien. Le thème des coopératives – repris notamment par Royal et Montebourg – semble être une nouvelle manière d’apparaître « radical » sans remettre en cause la propriété capitaliste. Au passage, rappelons que le gouvernement Jospin de 97-2002, dans lequel Mélenchon est entré en 2000, a « généralisé » non le système des coopératives, mais la politique des privatisations (Air France, France Télécom, l’Aérospatiale, etc.). Mélenchon n’y trouvait alors rien à redire. Aujourd’hui, il défend toujours le bilan du gouvernement Jospin. Ce n’est pas de très bon augure.

L’intérêt général

Mélenchon définit sa « révolution citoyenne » en ces termes : « il est proposé, en quelque sorte, la "primature" de l’intérêt général dans tous les domaines ». Pour ce faire, on doit tous devenir des« citoyens », ajoute-t-il, ce qui suppose de « s’arracher à tous ses préjugés et son intérêt personnel pour proposer ce qui sera bon pour tous. C’est ce qui est demandé M. et Mme Tout le Monde qui, quelle que soit leur condition sociale, seront appelé à se mêler de tout, partout, tout le temps. »

Est-ce que Mélenchon est en train de suggérer que Mme Bettencourt, M. Bolloré et leurs semblables pourraient cesser d’être des parasites richissimes uniquement intéressés par leurs profits, pour devenir des « citoyens » nettoyés de leur « préjugés » et de leurs « intérêts personnels » ? Cet objectif nous semblerait hasardeux. Ce serait faire complètement abstraction de la base matérielle sur laquelle reposent l’égoïsme et les préjugés de la classe dirigeante. Tant que ces messieurs-dames contrôleront l’économie, ils chercheront à s’enrichir au détriment des travailleurs. Pour que la vie économique et sociale serve réellement les intérêts de la masse de la population, il faut d’abord en finir avec le capitalisme – c’est-à-dire s’attaquer aux intérêts particuliers de la classe dirigeante.

On nous objectera que le titre même du livre de Mélenchon – Qu’ils s’en aillent tous ! – vise justement les Bettencourt et Bolloré de ce monde. Mais cela ne nous avance pas beaucoup. Lorsque Mélenchon propose de remplacer ces parasites par des dirigeants « meilleurs qu’eux, plus soucieux des autres, plus inventifs, moins addict au fric, plus loyaux avec leur patrie républicaine  », il oublie un petit détail : tant que ces immenses entreprises resteront entre des mains privées, leurs dirigeants – quels qu’ils soient – se comporteront comme des capitalistes, non parce qu’ils seront de mauvais citoyens, mais parce que les lois du système capitaliste s’imposeront à eux.

La « planification écologique »

Mélenchon se prononce pour une « planification écologique », à laquelle il consacre un chapitre de son livre. Nous sommes d’accord avec sa critique du « capitalisme vert » et des « publicitaires qui repeignent en vert tous leurs produits et déguisent toutes les consommations en actes bienveillants pour la planète. »Mais puisque c’est le capitalisme qui est responsable des catastrophes et menaces écologiques (ou de leurs conséquences), il faut le remplacer par un autre système. Selon nous, la seule alternative est un système socialiste, qui arrachera les ressources naturelles et économiques au chaos du marché – et instaurera une planification démocratique de la production. C’est la seule façon de s’attaquer sérieusement aux grands défis écologiques auxquels l’humanité fait face. Or, dans le livre de Mélenchon, il n’est jamais question de planification économique. On n’y trouve ni la formule, ni l’idée. Du coup, la« planification écologique » est suspendue en l’air. Elle n’a aucun contenu concret.

Souverainisme

Le chapitre du livre intitulé « Faire une autre paix » est de loin le plus mauvais. Par exemple, après avoir critiqué l’intégration de la France au commandement militaire de l’OTAN, Mélenchon écrit : « Du coup, notre pays est lié aux aventures les plus discutables de l’empire, comme par exemple cette guerre d’Afghanistan ». Or, si notre mémoire est bonne, la décision d’envoyer des soldats français en Afghanistan a été prise, non par Sarkozy, mais par le gouvernement Jospin, fin 2001. A l’époque, cette guerre était tout aussi impérialiste et réactionnaire qu’aujourd’hui. Et elle avait le soutien du ministre Jean-Luc Mélenchon.

Tout ce chapitre est frappé du sceau de ce « patriotisme républicain » et souverainiste qui n’est au fond que le cache-sexe de l’impérialisme français. Au passage, Mélenchon surestime énormément le poids de la France capitaliste dans le concert des nations. En quelques paragraphes, il rattache la Wallonie à la France, décuple les relations entre la France et la « puissance pacifique » chinoise, oblige la Russie, les Etats-Unis et Israël à démanteler leur arsenal nucléaire – entre autres exploits. Le tout sans pratiquement faire la moindre allusion au mouvement ouvrier international. Ce charabia et les envolées nationalistes qui l’accompagnent n’ont rien à voir avec l’internationalisme révolutionnaire que nous défendons, comme communistes. Ces pages, comme l’ensemble du livre, nous rappellent que l’alliance du PCF avec le Parti de Gauche exige un débat plus sérieux sur le programme et les idées du Front de Gauche.

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