Face à l’avalanche de fermetures et de délocalisations, de plus en plus de dirigeants de gauche et du mouvement syndical défendent le modèle des coopératives. Le programme du Front de Gauche, par exemple, affirme qu’« en cas de délocalisation ou de dépôt de bilan, nous instaurerons un droit des salariés à la reprise de leur entreprise sous forme de coopérative ». De même prévoit-il que « le soutien public […] aux coopératives sera fortement augmenté ».
Nul doute que cette idée trouvera un écho favorable parmi les salariés des entreprises menacées de fermeture. Beaucoup se diront : « mieux vaut garder nos emplois dans le cadre d’une coopérative que de les perdre ». Les salariés pourraient également être séduits par la perspective de devenir les propriétaires de l’entreprise – et donc d’avoir (en théorie) un meilleur contrôle sur leurs conditions de travail et leurs salaires.
Révolution ne s’opposerait pas à ce que, dans une entreprise menacée, les salariés tentent de sauver leurs emplois en reprenant l’entreprise sous forme de coopérative. Cependant, le système des coopératives n’est pas une alternative viable à la propriété capitaliste. L’expérience le prouve. D’innombrables coopératives naissent et meurent chaque jour, à travers le monde. Pourquoi meurent-elles ? Parce qu’elles sont en concurrence avec d’autres entreprises (ou d’autres coopératives) sur le marché capitaliste – et que les mécanismes de cette concurrence éliminent les unes au profit des autres.
Pour éviter la faillite, que font les travailleurs d’une coopérative ? La même chose que n’importe quel capitaliste : ils accroissent la « compétitivité » de leur entreprise en baissant les frais de production. Les travailleurs en viennent donc à intensifier leur propre exploitation dans le but d’accroître ou de conserver leur part de marché – au détriment d’autres entreprises (et donc, indirectement, des salariés de ces entreprises). Un tel système finit par générer chez les travailleurs une mentalité de propriétaires et les comportements qui vont avec.
Le cas de Mondragon
Lorsqu’elle se développe, une coopérative a tendance à se transformer en une entreprise capitaliste comme les autres. Prenons l’exemple de Mondragon, une immense coopérative basque. Au fil des années, elle est devenue une véritable multinationale. Elle emploie 82 000 salariés à travers le monde et possède 129 filiales privées couvrant de très nombreux secteurs économiques : construction, industrie, recherche, commerce – et même la finance ! En 2008, elle a dégagé un chiffre d’affaires de plus de 15 milliards de dollars.
Dans un article publié dans le journal militant québécois Le Mouton noir, Nicolas Falcimaigne rend compte d’un entretien qu’il a eu avec José Luis Lafuente, un cadre dirigeant de Mondragon. Le journaliste évoque l’impact de la crise économique actuelle et explique : « José Luis Lafuente admet que le groupe joue dans le même marché que les autres et que, pour faire face à la situation, il a fallu imposer des baisses de salaires et d’effectifs, réduire les profits et procéder à une concentration tout en limitant les investissements ». En 2008, quelque 7000 emplois ont été supprimés. L’auteur de l’article poursuit : « Des ouvriers rencontrés dans une sociedad d’Elorrio, non loin d’Arrasate, font état d’une situation socioéconomique très difficile dans laquelle Mondragon est plutôt perçu comme du capitalisme déguisé. L’ampleur prise par le mouvement aurait éloigné de la base les instances décisionnelles, ce qui occasionnerait dans la réalité quotidienne du terrain des pratiques de gestion semblables à celles des industries traditionnelles ». Voilà qui résume parfaitement les limites et les dérives du « modèle coopératif ».
Lorsqu’une entreprise est menacée de fermeture, la gauche et le mouvement syndical devraient s’efforcer de mobiliser le mouvement ouvrier autour du mot d’ordre de nationalisation – sous le contrôle des salariés. Dans une entreprise nationalisée, c’est l’Etat qui prend en charge les investissements et les bénéfices – et éventuellement les pertes, qui peuvent être compensées par les bénéfices générés par d’autres entreprises publiques. L’Etat peut bien mieux résister aux pressions du marché qu’une coopérative. Précisons cependant que des nationalisations partielles – qui laissent l’essentiel de l’économie sous le contrôle des capitalistes – ne sont pas non plus une solution. La seule alternative viable au chaos destructeur du marché, c’est l’intégration au secteur public de l’ensemble des grands leviers de l’économie. Cette extension massive de la propriété publique permettra de planifier démocratiquement la production dans l’intérêt du plus grand nombre.