"Que lisez-vous, Monseigneur ?
Des mots, des mots, des mots …"
(Shakespeare, Hamlet.)
Pistes de travail pour un PCF transformé, qui a été adopté par le Conseil National et diffusé à tous les militants du parti, est un document particulièrement lamentable. Il sera sans doute très mal accueilli par les militants du parti. En politique comme dans la vie de tous les jours, si on veut se faire comprendre, il faut savoir parler et écrire avec précision. Or, ce texte ne contient pratiquement aucune idée clairement formulée. On dirait qu’il a été écrit expressément dans le but de ne rien dire. Et même quand il semble, à première vue, que quelque chose a vraiment été dit, une lecture plus attentive révèle qu’il n’en est rien.
Prenons par exemple la toute première phrase du document : « Chaque grande rupture historique conduit à de profondes transformations des systèmes économiques, idéologiques, politiques. » Il n’est pas vrai que toutes les grandes ruptures historiques conduisent à des transformations des systèmes économiques. Etait-ce le cas du krach de 1929 ou de l’arrivée au pouvoir de Mussolini, Hitler et Franco ? Etait-ce le cas des événements grandioses de 1936 et 1968, en France ? Evidemment pas. Les Pistes de travail s’ouvrent donc sur une idée clairement erronée – à moins de ne qualifier de« grandes ruptures » que celles qui, comme la révolution russe ou l’effondrement de l’URSS, ont effectivement abouti à des profondes transformations des systèmes économiques. Mais dans ce cas, il s’agit d’un simple truisme qui ne nous apprend strictement rien.
D’après la suite du texte, leurs auteurs semblent vouloir dire que nous sommes actuellement en train de vivre une « grande rupture » qui, dès lors, nous conduira à une transformation du système économique, idéologique et politique actuel. Soit dit en passant, nous ignorons ce qu’il faut comprendre par « système idéologique », dans ce contexte. Mais si, dans l’esprit des rédacteurs du texte, la grande rupture en question désigne la crise économique actuelle, il faut dire que rien ne permet d’affirmer que celle-ci mènera à une transformation du système économique, pas plus que la crise de 1929-33. Le capitalisme durera aussi longtemps que les travailleurs ne l’auront pas renversé.
Le caractère vaporeux de certaines affirmations frise l’absurdité : « La crise et le nouvel état du monde ont rebattu toutes les cartes. Le front idéologique s’est déplacé. » Qu’est-ce qu’un « front idéologique », exactement ? Comment et dans quelle direction s’est-il déplacé, si toutefois il existe ? Le texte n’en dit rien. Il affirme seulement que ce mystérieux déplacement met « toutes les forces politiques […] devant des enjeux radicalement nouveaux. » Quels enjeux nouveaux ? Encore une fois, mystère ! Nous n’en savons rien. N’ayant sans doute pas les mêmes aptitudes analytiques que les auteurs du texte, nous sommes enclins à penser, toutefois, que les objectifs et intérêts politiques que poursuivent l’UMP, le Modem et le Front National n’ont pas changé et ne changeront pas. Ils défendent et défendront toujours les intérêts du capitalisme. A l’inverse, le PCF, aujourd’hui comme hier, a pour tâche de combattre le capitalisme et, si possible, de le renverser… A moins que quelque chose de « radicalement nouveau » nous ait échappé !
Cette ambiguïté n’est pas innocente. Les phrases creuses jouent un rôle significatif – et négatif – dans la vie politique de notre parti. « Le front idéologique s’est déplacé » est une formulation qui peut être comprise dans deux sens tout à fait opposés. Comme on le sait, une importante fraction de la direction du parti considère que le « communisme » n’est plus à l’ordre du jour. Le programme du parti, au fil des années, a été progressivement modifié pour le rendre plus « modéré ». Non seulement la nationalisation des banques et de l’industrie ne figure plus dans le programme du PCF, mais des efforts considérables ont été déployés pour fournir une justification théorique aux privatisations mises en œuvre sous le gouvernement Jospin – et, depuis, dans de nombreuses municipalités, sous l’égide de responsables du parti. Pour ces dirigeants, le « front idéologique » s’est déplacé de telle sorte qu’il ne faut plus lutter pour l’abolition du capitalisme, mais seulement pour son aménagement, au moyen de quelques réformes fiscales et d’une politique de subventions publiques orientées « autrement » (mais toujours dans les poches des capitalistes). Suivant la même logique, le mot « communiste », dans le nom du parti, est considéré comme gênant, et le Front de Gauche comme un premier pas vers la « transformation du parti » en autre chose, plus proche de formations réformistes du type Die Linke, en Allemagne.
Mais la phrase sur le déplacement du « front idéologique » pourrait être interprétée tout autrement. Elle pourrait signifier que la récession remet les idées du marxisme à l’ordre du jour. Ainsi, en utilisant une terminologie sciemment ambiguë, les auteurs du texte évitent de prendre publiquement position entre ces deux points de vue radicalement opposés.
L’ambiguïté des premières phrases des Pistes de travail – pourtant qualifiées de « point de départ de notre réflexion pour un PCF transformé » – caractérise l’ensemble du texte, de la première jusqu’à la dernière ligne. Il serait trop fastidieux, ici, d’en relever tous les exemples. Les camarades qui parviendront à le lire jusqu’au bout en feront eux-mêmes le constat. Mais il est vrai que certains changements sont nécessaires, dans le fonctionnement du parti. Il a besoin d’être démocratisé, de façon à réduire la marge de manœuvre trop importante dont disposent ses instances dirigeantes, qui peuvent décider de leur propre composition sans trop tenir compte des idées et des exigences des militants. Le 34e congrès du parti en a fourni une illustration particulièrement flagrante. Aucun des signataires du texte Renforcer le PCF, renouer avec le marxisme n’a été admis au Conseil National, malgré les 15 % de voix recueillis par ce texte, dans les sections. Par contre, les « refondateurs », qui n’ont pas osé soumettre leur texte au vote des sections – de peur d’exposer leur isolement, à la base du parti – ont été très largement représentés, dans les instances dirigeantes, à partir desquelles plusieurs d’entre eux ont récemment appelé les communistes à « quitter massivement » le PCF !
Le document évoque la nécessité de changer « l’identité publique » du parti –« notamment visuelle » – auprès du grand public. Mais une fois de plus, le texte n’en dit pas davantage. Par le passé, l’image du parti a beaucoup souffert de la tentative de présenter les dictatures staliniennes comme autant d’exemples du socialisme. Mais il a tout autant souffert de la dérive réformiste qui a rapproché le programme du PCF de celui de la direction du PS, au point de cautionner des privatisations massives. C’est à cette époque que le PCF a perdu de très nombreux adhérents et sympathisants, dans les entreprises comme dans la société en général.
Jusqu’à ce jour, les travailleurs ont bien du mal à se faire une idée claire du programme et des orientations du PCF, au niveau national. Marie-George Buffet, par exemple, a insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de sortir le système bancaire du secteur privé. Elle réclame la nationalisation des banques et l’instauration d’un système de contrôle démocratique de celles-ci. Cette revendication est absolument correcte et mériterait d’être le point focal d’une vaste campagne nationale du parti. Cependant, il est évident que cette proposition n’est pas soutenue par d’autres dirigeants du parti, pour qui les nationalisations s’apparentent trop aux idées communistes « archaïques » – le texte parle de « solutions du passé » – dont ils cherchent à se distancer. A plusieurs reprises, des résolutions et amendements issus des sections et favorables aux nationalisations ont été écartés par les dirigeants nationaux. Quelle est donc la politique officielle du parti, sur cette question ? Il est impossible de le dire avec certitude.
D’autres incohérences existent, également, que les médias capitalistes ne se privent pas de mettre en avant, afin de brouiller l’image du parti. Soucieux d’attiser le racisme et de détourner l’attention des travailleurs des conséquences désastreuses du capitalisme en crise, Sarkozy, Hortefeux et Besson sont partis en campagne contre le port de la burqa. Lamentablement, cette politique de diversion et de stigmatisation des musulmans a bénéficié du concours du député communiste André Gerin – lequel, d’ailleurs, a récemment regretté que la constitution européenne ne mentionne pas les « racines judéo-chrétiennes » du continent !
Les causes fondamentales des difficultés du PCF sont donc politiques. Elles résident dans l’absence d’un programme authentiquement communiste, qui aurait comme axe central la nécessité de mettre fin à la propriété capitaliste de l’industrie, des banques, des assurances et de la grande distribution, afin de placer l’ensemble de l’économie sous le contrôle démocratique des travailleurs. Toute l’action du parti et les revendications« immédiates » des communistes – sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail, la défense des services publics ou la lutte contre le racisme – devraient être reliées à cet objectif central, à notre projet de société communiste.
Face à la gravité de la crise, un programme qui se limite à de petits ajustements d’ordre fiscal et financier, qui prône des pénalités ou des récompenses aux capitalistes, suivant leur comportement, etc. – un tel programme ne convaincra personne. Dans les Pistes de travail pour un PCF transformé, la faiblesse du programme du parti est tacitement reconnue : « nous devons regarder en face nos difficultés à passer aux actes et à tenir un discours public : nous défendons beaucoup notre stratégie, peu nos idées pour l’avenir. » On peut faire tous les changements et toutes les « transformations » que l’on voudra, mais si cette question du programme n’est pas réglée, si nous ne présentons pas une alternative claire au système capitaliste, le parti n’arrivera à rien. Ceci dit, la politique du parti ne peut pas être dissociée de la question de son fonctionnement interne. La dérive réformiste de plus en plus flagrante, dans le programme et la pratique des dirigeants du parti, n’aurait été accomplie avec autant de facilité si la base du parti exerçait un contrôle plus direct sur sa politique et la composition de ses instances dirigeantes. La lutte pour rétablir les idées fondamentales du communisme, au sein du parti, va nécessairement de pair avec la démocratisation de sa vie interne.
« Nous avons fait le choix de la forme parti », peut-on lire, dans le document. Des militants se sentiront peut-être rassurés par cette phrase. Mais premièrement, n’est-il pas incroyable qu’on en soit à devoir réaffirmer la nécessité d’un parti politique pour défendre la cause des travailleurs ? Le simple fait que ce point fasse discussion, dans les sphères dirigeantes du parti (elle ne se pose pratiquement jamais dans les sections), est une indication de la gravité de la régression politique que le parti a connu, au cours de la dernière période. Sans parti, les communistes ne seraient rien. Mais justement, la formulation employée dans le texte – savamment pesée, comme bien d’autres, pour signifier une chose et son contraire – est trop ambiguë. Nous en sommes une fois de plus réduit à un jeu de devinette pour connaître les véritables orientations des instances dirigeantes du parti. La « forme parti » est retenue. Mais de quel parti s’agit-il ? Du PCF, ou du résultat d’une fusion-dissolution avec d’autres « forces politiques » qui, au passage, éliminerait le terme « communiste » ? Est-ce là le sens de la proposition de changer « l’identité visuelle » du parti ? Le texte n’en dit pas plus.
La dissolution du PCF, ou sa « transformation » en autre chose, serait une catastrophe. Elle marquerait une rupture avec nos traditions communistes et révolutionnaires. L’argument des « refondateurs » – dont certains, comme Braouezec, n’ayant pas réussi à liquider le PCF de l’intérieur, cherchent désormais à l’affaiblir de l’extérieur – consiste à dire que puisque le programme du parti n’est plus communiste, il ne devrait plus s’appeler communiste. Nous proposons exactement le contraire. Le PCF doit conserver son nom – et mettre son programme en conformité avec ce nom. Le Parti Communiste a besoin d’un programme communiste.
Il faut sortir définitivement du brouillard idéologique du réformisme et renouer avec nos traditions marxistes et révolutionnaires. De l’aveu des auteurs du texte eux-mêmes, cela fait plus de 15 ans que la « transformation du parti » est à l’ordre du jour. Franchement, s’il faut considérer les « pistes » et les quelques propositions banales présentées dans ce texte comme le fruit de 15 ans de réflexion, c’est un bien triste bilan qui en dit long sur la pauvreté politique et intellectuelle de la direction actuelle du parti – qui est essentiellement la même qui a présidé aux dérives et à l’affaiblissement du parti au cours de la période en question. Et s’il y a bien des changements à mettre en œuvre, dans le parti, on pourrait commencer par ne plus produire des textes aussi confus et vides de substance. Il faudrait que les dirigeants nationaux du parti apprennent à dire et écrire clairement ce qu’ils pensent et ce qu’ils veulent.