Le Programme populaire et partagé (PPP) du Front de gauche a été publié en très grande quantité sous forme de brochure. Les militants communistes vont commencer à le diffuser dans leur entourage, leur entreprise, leur syndicat et sur les marchés. Ce document sera au cœur de la campagne électorale du Front de gauche jusqu’en juin 2012.
Nous pensons que le PPP comporte un certain nombre de carences importantes. Mais avant d’aborder son contenu, une remarque s’impose sur la méthode qui a présidé à son élaboration. La Riposte est évidemment favorable à ce que le PCF mène des actions communes avec d’autres partis, que ce soit dans les luttes quotidiennes ou sur le plan électoral. Mais avant de discuter d’un programme commun – ou « partagé » – avec d’autres organisations, le PCF aurait dû sérieusement discuter de son programme, qui aurait dû être soumis au débat démocratique de ses militants. Comment savoir ce que le PCF « partage » avec d’autres s’il n’a pas d’abord clairement déterminé ce qu’il défend lui-même ?
Le 36e congrès du parti, qui aurait permis de débattre de son programme, a été reporté à décembre 2012. Dans les sections et cellules, la discussion a donc directement porté sur le PPP. Rappelons que la direction du parti avait annoncé que le PPP serait l’aboutissement d’un dialogue avec de larges couches de jeunes et de travailleurs : un programme « issu des masses », en quelque sorte. Mais la participation des masses à l’élaboration du PPP est restée très théorique, comme c’était prévisible. Au passage, les militants communistes ont été privés de la possibilité d’en modifier le contenu, faute de mécanismes établis à cet effet (amendements, documents alternatifs, etc.). Le PPP est avant tout le fruit de discussions et de négociations entre dirigeants du PCF et du Parti de Gauche, au sein de commissions dont le travail n’est connu que d’une petite minorité de camarades.
Crise et programme
Le PPP défend toute une série de revendications dont la mise en œuvre se traduirait par une nette amélioration des conditions de vie de la grande majorité de la population. Augmentation des salaires, gratuité de la santé et de l’éducation publiques, retour aux 35 heures, retraite à 60 ans à taux plein, blocage des loyers, régularisation des sans-papiers, titularisation des précaires de la fonction publique, abrogation de différentes lois réactionnaires votées par l’UMP : ces excellentes propositions – parmi d’autres – ont toute leur place dans un programme popularisé par le PCF.
Cependant, à la lecture de cet ensemble de mesures, beaucoup de travailleurs demanderont : « Comment comptez-vous faire ? » C’est une très bonne question. Depuis de nombreuses années, non seulement le capitalisme n’autorise plus aucun progrès social, mais il impose une régression systématique dans tous les domaines. Depuis la crise de 2008, on annonce chaque jour aux travailleurs plus d’austérité. Que le prochain gouvernement soit de gauche ou de droite, une chose est sûre : la classe capitaliste exigera de nouvelles contre-réformes et des coupes drastiques dans les budgets sociaux. Partisans de « l’économie de marché » (c’est-à-dire du capitalisme), les dirigeants socialistes anticipent cette situation et préviennent que s’ils gagnent les élections, les gens devront être « raisonnables ». Autrement dit, ils devront encore se serrer la ceinture. Si les dirigeants du Front de gauche arrivaient au pouvoir, comment feraient-ils pour inverser cette tendance et imposer des mesures de progrès social ?
Il faut s’attaquer à la « dictature des marchés », affirme le PPP. C’est en effet la seule voie. Comment ? Dans la partie intitulée « Encourager d’autres formes de propriété », il est écrit que le Front de gauche « promeut de nouvelles appropriations sociales par la nationalisation de grands leviers de l’action économique, industrielle et financière ». Soulignons que cette idée importante ne figurait pas dans les versions précédentes du PPP. C’est donc un pas dans la bonne direction. Il est clair qu’on ne pourra pas en finir avec la dictature des marchés sans arracher les grands leviers de l’économie – banques, industrie, distribution, etc. – des mains de la classe dirigeante. Si on laisse intacte la grande propriété capitaliste, « les marchés » continueront de générer chaos économique, misère et chômage.
Le problème, c’est que cette idée correcte n’est pas développée de façon concrète dans le PPP. Combien de grandes entreprises faut-il nationaliser ? Lesquelles ? Quels doivent être les périmètres respectifs du secteur public et du secteur privé ? Le document ne donne pas de réponse précise à ces questions. Par contre, on y trouve de nombreuses formulations indiquant que les nationalisations auraient une portée très limitée.
Les banques
Prenons l’exemple du secteur bancaire. Les banques privées dominent ce secteur et jouent un rôle complètement parasitaire. Les délocalisations et fermetures d’entreprises répondent souvent à leurs exigences. Elles sont autant de piliers de la « dictature des marchés ». Un gouvernement de gauche ne pourrait pas sérieusement s’y attaquer sansles nationaliser toutes, sans exception, de façon à créer un seul organisme financier public contrôlé par l’Etat et des représentants élus des salariés. Or, voici ce que propose le PPP : « Nous créerons un pôle financier public par la mise en réseau des institutions financières publiques existantes (Caisse des dépôts, Crédit foncier, OSEO, CNP, Banque Postale), les banques et assurances mutualistes dans le respect de leurs statuts et la nationalisation de banques et compagnies d’assurances. »
Premièrement, les grandes « banques et assurances mutualistes » – Crédit Agricole, groupe Banque Populaire-Caisse d’Epargne, etc. – sont à tous points de vue desentreprises capitalistes (d’ailleurs cotées en bourse). Elles jouent le même rôle de rapaces que les autres banques privées, tout en tenant un discours mutualiste hypocrite. Le PCF n’a pas à « respecter » leur « statut » de rapaces déguisés en mutuelles ! Elles doivent être nationalisées.
Deuxièmement, la nationalisation « de » banques – et non des banques – signifie qu’en plus des grands groupes soi-disant « mutualistes », le PPP envisage de laisser d’autres banques et compagnies d’assurance dans le secteur privé. Or, si la Société Générale, le Crédit Lyonnais et la BNP – ces trois géants du secteur bancaire – n’étaient pas nationalisés, cela suffirait à vider le « pôle public bancaire » de toute substance. Il serait miné par sa position de concurrence avec un puissant secteur privé. Il faut corriger cet aspect du PPP et s’engager à nationaliser l’ensemble du secteur bancaire et financier, comme Marie-George Buffet l’avait proposé en 2010.
L’industrie
La fusion de toutes les banques et assurances en un seul organisme public peut être un puissant levier pour transformer la société. Mais il serait d’une efficacité limitée sans une extension massive de la propriété publique à d’autres secteurs de l’économie, à commencer par l’industrie. Or, dans ce domaine, le programme du PPP est beaucoup trop timide. Certes, il propose de renationaliser EDF, GDF, Areva et Total « pour créer un pôle 100 % public de l’énergie […] sous pilotage démocratique associant les citoyens ». C’est absolument nécessaire. Mais malheureusement, c’est le seul secteur de l’industrie que le PPP s’engage à faire passer sous contrôle public et démocratique.
Le document parle de créer des « pôles publics de l’industrie à l’échelle territoriale ». Mais une phrase plus loin, on découvre que ces pôles « publics » n’auraient de publics que le nom, car ils « rassembleraient les partenaires publics et privés de ces territoires ». Il s’agirait donc de pôles mixtes – ou, disons, de pôles bipolaires ! En quoi ceci permettrait de soustraire l’industrie au chaos du marché ? Par quels mécanismes ces pôles « publics-privés » seraient-ils un obstacle aux plans sociaux et à l’exploitation éhontée des salariés ? Le PPP ne l’explique pas. Et pour cause : c’est inexplicable.
Le PPP propose également de « renforcer la présence de l’Etat dans le capital d’entreprises stratégiques pour leur sauvegarde et leur développement ». Quelles sont ces entreprises « stratégiques » ? A quel niveau le PPP prévoit-il d’y renforcer la présence de l’Etat ? 30 % ? 51 % ? 90 % ? En quoi cela diffèrerait de la situation actuelle, où la présence de l’Etat dans le capital de grandes entreprises signifie simplement qu’il participe à la course aux profits ? Mais surtout, si ces entreprises sont réellement « stratégiques », c’est un argument de plus pour en prendre le contrôle à 100 % ! Ce passage du PPP est emblématique d’une contradiction qui traverse l’ensemble du document : il proclame en général la supériorité du secteur public sur le secteur privé, dont il dénonce la « dictature » ; mais dans ses propositions concrètes, il s’arrête devant la propriété capitaliste comme devant une icône qu’il n’ose renverser.
Le socialisme n’a pas besoin d’exproprier les petites entreprises et les petits commerces. Mais dans la mesure où il vise à remplacer l’anarchie du marché capitaliste par une planification rationnelle de la production, il requiert l’expropriation de tous les grands leviers de l’économie. Par exemple, il ne sera pas possible de s’attaquer à la crise du logement, qui prend des proportions inouïes, sans exproprier les principales entreprises du BTP et les grandes sociétés immobilières. De même, une politique de santé publique efficace passe par la nationalisation des cliniques privées et des géants du secteur pharmaceutique. De manière générale, toutes les entreprises du CAC 40 devraient être expropriées – sans indemnisation pour les grands actionnaires –, pour être placées sous le contrôle des travailleurs et intégrées à un plan d’ensemble. A l’inverse, une politique de nationalisations partielles, qui laisserait une large partie de l’économie sous le contrôle des capitalistes, ruinerait la possibilité d’une planification des ressources productives. Les mécanismes du marché s’imposeraient, comme l’a montré l’expérience du gouvernement Mauroy de 1981-84.
Les coopératives et la « diversité des formes de propriété »
Dans son livre intitulé Qu’ils s’en aillent tous !, Jean-Luc Mélenchon propose de« généraliser graduellement » le système des coopératives, qui finirait par constituer « le régime de propriété » dominant. Sans aller aussi loin, le PPP se fait l’écho de cette idée. Ainsi, « le soutien public […] aux coopératives sera fortement augmenté ». Et les auteurs du document développent toute une série de propositions visant à renforcer le poids des coopératives – aujourd’hui marginal – dans l’économie nationale. Par exemple, « en cas de délocalisation ou de dépôt de bilan, nous instaurerons un droit des salariés à la reprise de leur entreprise sous forme de coopérative. »
Malheureusement, les coopératives ne constituent pas une véritable alternative à la propriété capitaliste. Imaginons que leur nombre augmente de façon importante. Nous aurions alors une multitude de coopératives en concurrence les unes avec les autres, sur le marché. Les travailleurs les plus efficaces s’en sortiraient mieux que les autres. Un tel système finirait par générer chez les travailleurs une mentalité de propriétaires – et les comportements qui vont avec. C’est ce qu’atteste l’expérience des coopératives à l’échelle internationale. Pour mettre un terme au chaos du marché et à l’exploitation des travailleurs, il faut remplacer la propriété capitaliste par une planification globale de la production, sous le contrôle démocratique de toute la classe ouvrière – aussi bien pour élaborer le plan que pour le réaliser. Par « contrôle ouvrier », nous n’entendons pas seulement le contrôle des salariés sur l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Bien sûr, toute une série de sujets comme la sécurité, les conditions de travail, etc., serait directement décidée par les travailleurs des entreprises concernées. Mais le plan général doit être élaboré par toute la classe ouvrière et refléter les intérêts généraux du salariat dans son ensemble. Une planification rationnelle et démocratique de l’économie est incompatible avec la fragmentation de l’appareil productif en une multitude d’unités concurrentes.
Ceci dit, les auteurs du PPP ne font pas des coopératives un modèle à généraliser. Sur la question des formes de propriété, ils sont très flexibles, et même un peu trop. Ils écrivent en effet : « A l’inverse des idéologues du marché qui font de l’entreprise capitaliste privée le modèle unique, nous encouragerons la diversité des formes de propriété. » Cette phrase résume à elle seule la confusion du PPP. Car en lisant le document dans son ensemble, on constate que cette « diversité des formes de propriété » comprendrait des services publics, des entreprises nationalisées (on ignore combien), un nombre croissant de coopératives et… beaucoup de grandes « entreprises capitalistes privées ». La « diversité » est une excellente chose dans bien des domaines de la vie, mais pas dans celui des « formes de propriété » ! Les grandes entreprises privées n’ont pas leur place dans une économie émancipée de la « dictature des marchés ». Quant aux coopératives, elles ne peuvent pas se substituer au secteur nationalisé, qui doit former la base économique du socialisme.
Fiscalité et « aides aux entreprises »
Le PPP prévoit de taxer plus ou moins les capitalistes – et de les aider plus ou moins, avec de l’argent public – selon qu’ils respectent, ou non, certaines « exigences sociales et environnementales ». Ce système de bonus-malus est censé dissuader les patrons et actionnaires de supprimer des emplois, de délocaliser, de polluer, etc. Ici, une première remarque s’impose. La crise actuelle, d’une extrême gravité, menace des dizaines de millions d’emplois à travers le monde. La paupérisation et la précarisation vont encore s’accélérer. Les forces colossales qui se déchaînent dans l’économie mondiale échappent au contrôle de la classe dirigeante elle-même. Elle roule vers la catastrophe les yeux grands ouverts, sans parvenir à arrêter la machine infernale. Dans ce contexte, comment imaginer que de simples mesures d’incitation fiscale puissent changer quoi que ce soit ? On n’éteint pas un feu de forêt avec un arrosoir.
Mais faisons abstraction de la crise et supposons, pour l’hypothèse, que nous soyons en phase de croissance économique. Même alors, il n’est pas vrai que des avantages fiscaux et des facilités de crédit inciteraient les capitalistes à créer des emplois. Quand un capitaliste lance un projet comme, par exemple, l’ouverture d’un supermarché, il fera étudier de très près ses besoins en matière d’embauche. Chaque poste de travail, les heures de travail qui sont à effectuer, le type de contrat à proposer, etc., sont étudiés et réduits au strict minimum nécessaire au fonctionnement du magasin. Le but du capitaliste, en toute circonstance, c’est d’embaucher le moins possible, d’une part, et d’autre part d’extraire le maximum de plus-value possible de chaque heure de travail effectuée, en tirant tous les coûts vers le bas, à commencer par les coûts salariaux. Ensuite, effectivement, le capitaliste s’intéressera aux aides et ristournes que l’Etat lui proposera. Ces aides augmenteront la rentabilité de son entreprise. Mais aucun capitaliste ne va embaucher un travailleur dont il n’a pas l’utilité, avec ou sans les « aides » (sauf si ces aides sont supérieures au salaire, auquel cas il se fera un plaisir d’encaisser la différence !). Ce type d’« incitations » ne ferait qu’augmenter les profits encaissés par le capitaliste à partir de l’exploitation des salariés dont il a besoin.
Quant aux pénalités fiscales visant les entreprises qui licencient, délocalisent ou saccagent l’environnement, elles posent un autre type de problème. Il est vrai que nous devons sans cesse lutter pour accroître la part des richesses créées qui revient aux travailleurs sous différentes formes (salaires, services publics, retraites, etc.). La taxation du capital va dans ce sens. Cependant, lorsqu’un gouvernement de gauche adopte des mesures qui minent la rentabilité du capital, la classe dirigeante ne reste pas les bras croisés. Les capitalistes qui licencient ne vont pas baisser la tête et payer benoîtement les pénalités fiscales que prévoit le PPP. D’une part, ils supprimeront quand même les emplois dont ils n’ont pas besoin, précisément parce que ces emplois constituent à leurs yeux une dépense non rentable (ou pas assez rentable). D’autre part, ils feront pression sur le gouvernement en menaçant de délocaliser, de supprimer davantage d’emplois, de baisser les salaires, de lancer une grève d’investissement, etc. Notre programme devraitanticiper cette résistance patronale et prévoir des mesures permettant de la briser. Là encore, l’expérience du gouvernement Mauroy est riche en enseignements. Pour mettre fin au sabotage des capitalistes, dès 1981, Mitterrand n’avait qu’une possibilité : exproprier les saboteurs en nationalisant tous les grands leviers de l’économie. Au lieu de cela, il a fait marche arrière et a engagé le « tournant de la rigueur » dès la fin de l’année 1982. C’est une leçon très importante pour le mouvement communiste.
Remarquons enfin que s’il existait un système fiscal ingénieux permettant de concilier les intérêts des capitalistes et ceux des travailleurs, la classe dirigeante l’aurait découvert et adopté de longue date. Elle se serait ainsi épargné bien des désagréments, comme par exemple des révolutions. Mais en fait un tel système n’existe pas. Les contradictions insolubles du capitalisme se frayeront un chemin à travers toutes les politiques fiscales possibles et imaginables, générant crises, chômage et pauvreté. Ces contradictions du capitalisme sont trop profondes : elles résident dans ses fondements mêmes, c’est-à-dire dans ses rapports de propriété. Ceux-ci ne peuvent pas être aménagés ou contournés. Il faut les remplacer par d’autres rapports de propriété – des rapports de propriétésocialistes, qui formeront le socle d’une société nouvelle, débarrassée de la misère et de l’exploitation.
La BCE et la crise des dettes publiques
Depuis le début de la crise des dettes publiques européennes, Jean-Luc Mélenchon avance une solution qui, selon lui, permettrait « d’éteindre immédiatement l’incendie » : la Banque Centrale Européenne devrait directement prêter de l’argent aux Etats, à des taux très faibles (autour de 1 %). Ainsi, explique-t-il, des Etats comme la Grèce ne seraient plus obligés de se financer à des taux exorbitants sur le marché privé. Le PPP reprend cette idée et envisage même un taux d’intérêt de 0 %.
Cette « solution » n’en est pas une. Pour que la BCE puisse financer tous les Etats européens, il faudrait d’abord qu’elle trouve – auprès de spéculateurs et d’autres banques – les immenses sommes nécessaires. Or les investisseurs en question suivraient de très près la situation financière des Etats et demanderaient un rendement à la hauteur des risques encourus, exactement comme ils le font aujourd’hui vis-à-vis des Etats. Le fait de placer la BCE en intermédiaire entre les spéculateurs et les Etats ne changerait rien. Simplement, la BCE serait contaminée par le problème de solvabilité des Etats – et deviendrait, à son tour, un mauvais pari pour les financiers. Il est vrai que la BCE dispose du pouvoir de « création monétaire ». Mais en faisant tourner la planche à billets, elle minerait la valeur de l’euro (et des salaires !). Ce n’est pas tout. La cause fondamentale des déficits publics n’est pas à chercher dans les intérêts que les Etats payent à leurs créditeurs. Les déficits sont avant tout une conséquence de la crise de surproduction et de la contraction de l’activité économique qui en résulte.
Enfin, cette proposition du PPP ne répond pas à la question décisive : qui va payer les dettes (envers la BCE ou tout autre créditeur) ? Les classes dirigeantes veulent la faire payer aux pauvres, aux jeunes et aux travailleurs. C’est ce qu’elles font et feront tant qu’elles contrôleront l’essentiel de l’économie. Aussi, lorsque Mélenchon écrit que « si la banque centrale européenne prêtait directement à la Grèce à 1 %, le martyr du peuple grec cesserait aussitôt », il fait preuve d’une grande légèreté d’esprit. Les souffrances du peuple grec n’ont pas commencé avec la crise de la dette. Et tant que les travailleurs grecs n’auront pas arraché le pouvoir aux multimillionnaires qui pillent le pays, leur martyr se prolongera et s’accentuera. Il en ira de même dans tous les pays, pour la même raison fondamentale : la crise du capitalisme.
L’impérialisme et ses institutions
Dans la partie consacrée à la situation internationale, le PPP s’engage à retirer les troupes françaises d’Afghanistan. C’est tout à fait correct. Mais pour le reste, cette section du PPP aligne des revendications très vagues – « pour la paix », « contre la Françafrique », pour « la sortie de l’OTAN » – sans prendre la peine de rentrer dans le détail. Par exemple, est-ce que l’opposition du Front de gauche à la Françafrique signifie que nous appelons au retrait des soldats français engagés en Afrique noire ? Ce serait une revendication juste et concrète. Mais si tel est bien notre programme, il faut l’écrire !
En mars 2011, la France a pris la tête de la coalition impérialiste qui a mené une guerre en Libye. A présent que le régime de Kadhafi est renversé, les multinationales françaises se préparent à récolter les dividendes de cette guerre. On s’attendrait à ce que le PPP prenne une position ferme contre les manœuvres de l’impérialisme français en Libye. Or ce pays n’y est même pas mentionné, pas plus d’ailleurs que la Côte d’Ivoire, autre terrain d’action récent de l’impérialisme français.
Venons-en à la « sortie de l’OTAN ». Naturellement, un gouvernement du Front de gauche n’aurait à rien à faire au sein de l’OTAN, qui est une alliance militaire impérialiste. Mais si la France quittait l’OTAN, cela ne suffirait pas, en soi, à changer la nature de sa politique internationale. La France pourrait toujours mener sa politique impérialiste de l’extérieur de l’OTAN. Après tout, l’impérialisme français s’est longtemps tenu à l’écart de cette alliance militaire, pour des raisons liées à ses rivalités avec l’impérialisme américain. La France ne mènera de politique internationaliste et anti-impérialiste que lorsque les travailleurs y auront pris le pouvoir et auront exproprié les multinationales françaises qui pillent et exploitent les peuples à travers le monde. Comme le disait le général Clausewitz, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Tant que le capitalisme français sera en place, sa politique étrangère sera dictée par la course aux profits.
Le PPP affirme que « nous combattrons les principes d’austérité du FMI et de libre-échange de l’OMC pour les changer profondément ou pour créer de nouvelles institutions internationales. » Curieusement, les auteurs du PPP ne choisissent pas entre les deux termes de l’alternative : « changer profondément » le FMI et l’OMC – ou « créer de nouvelles institutions ». Toujours est-il que le FMI et l’OMC sont deux institutions réactionnaires du capitalisme mondial. Elles ont été créées et sont contrôlées par les grandes puissances impérialistes, Etats-Unis en tête. Leur raison d’être est l’organisation du pillage et de l’exploitation des peuples à l’échelle mondiale. Les travailleurs n’ont aucune prise sur elles. On ne pourra pas les « changer profondément » – ni même superficiellement – dans l’intérêt des peuples. Elles seront balayées au fur et à mesure que le socialisme remplacera le capitalisme sur la surface du globe. Quant aux « nouvelles institutions » internationales que se donneront les pays émancipés du capitalisme, elles n’auront plus rien à voir avec l’OMC et le FMI. Mais il est inutile de se projeter aussi loin, dans notre programme. Ce sera l’œuvre des générations futures.
Ce qui précède vaut également pour l’ONU, que le PPP propose de « réformer ». L’ONU est une organisation au service des ennemis des travailleurs et de la jeunesse du monde entier. Tout au long de son histoire, elle a organisé des guerres et causé d’énormes souffrances. Pendant les douze années qui ont précédé l’invasion de l’Irak, en 2003, l’ONU a infligé un embargo extrêmement sévère au peuple d’Irak. D’après l’UNICEF, cette politique barbare a provoqué la mort de plus d’1,2 million d’Irakiens, dont 500 000 enfants. Plus récemment, l’ONU a justifié le bombardement de la Libye et le coup d’Etat contre Gbagbo en Côte d’Ivoire. La « charte » hypocrite de l’ONU, si pleine de bons sentiments, n’a qu’un seul but : cacher sa véritable nature.
La question des « institutions internationales » n’est pas nouvelle. Elle fut débattue dès la création de l’Internationale Communiste, au lendemain de la première guerre mondiale. Les vainqueurs de la boucherie impérialiste avaient enfanté la sœur aînée de l’ONU, la Société des Nations (SDN). A l’époque, nombre de dirigeants de gauche avaient la même attitude envers la SDN que les dirigeants actuels du Front de gauche envers l’ONU. L’Internationale Communiste engagea une lutte implacable contre ces illusions réformistes et pacifistes. Pour l’Internationale, dirigée à l’époque par Lénine et Trotsky, l’importance de cette question était telle qu’elle fut inscrite dans les conditions d’affiliation des sections nationales : « Tout parti désireux d’appartenir à la IIIe Internationale […] est tenu de démontrer systématiquement aux ouvriers que, sans le renversement révolutionnaire du capitalisme, aucune cour internationale d’arbitrage, aucune réorganisation "démocratique" de la Société des Nations, ne saurait sauver l’humanité de nouvelles guerres impérialistes ». Ce qui valait pour la Société des Nations vaut aussi, 90 ans plus tard, pour son équivalent moderne, l’ONU.
Conclusion
Nous n’avons abordé qu’une partie des thèmes développés dans le PPP. Nous reviendrons ailleurs sur la « planification écologique », la question de l’Union Européenne et la proposition d’une « VIe République ». Au début de cet article, nous avons posé la question : est-ce que le PPP permettrait d’enrayer la régression sociale et d’élever le niveau de vie de la population ? Il est évident que de nombreuses propositions et revendications du PPP vont dans ce sens. Cependant, si l’on se limite à des réformes, sans remettre sérieusement en cause le pouvoir économique des capitalistes, la Bourse continuera son activité spéculative et les capitalistes conserveront la propriété des banques et de l’essentiel des ressources économiques du pays. Ces moyens énormes leur permettront de saborder la mise en application des réformes.
Nous savons que le combat quotidien pour défendre ou améliorer les conditions de vie des masses est indispensable. Mais l’expérience des gouvernements de gauche – en France comme à l’étranger – nous apprend aussi qu’il n’est pas possible de résoudre les problèmes créés par le capitalisme sur la base de ce même système. Le réformisme perd de vue l’objectif socialiste et finit en général par renoncer aux réformes, sous la pression de la « dictature des marchés » qu’il a laissée intacte. A l’inverse, un programme communiste relie étroitement la lutte pour des réformes à la nécessité d’en finir avec le capitalisme. Le débat fraternel et démocratique doit se poursuivre en vue de corriger cette carence du PPP.