Notre article publié sous le titre Gerin, Dang Tran et les idées du Front National a suscité de nombreuses réactions. Parmi les réactions critiques, nous avons choisi de publier de larges extraits de celle de Gautier Weinmann, militant du PCF à Leforest (62), qui a pris la peine de discuter du fond de la question. Nous y répondons ci-dessous point par point, au fil du texte.
Gautier Weinmann : Deux phrases antinomiques de votre article révèlent le mauvais procès intenté : 1) « Malheureusement, Gerin n’est pas le seul opposant à la direction du PCF qui reprenne à son compte certains aspects du programme du Front National. » 2) « Il serait bien évidemment idiot d’affirmer que le PCF ne doit en aucun cas avancer une revendication (du) Front National. » Donc, si je résume, quelque chose est « malheureux », mais La Riposte doit bien reconnaître que ce quelque chose n’est pas forcément « idiot ». Comprenne qui peut !
La Riposte : Ce que nous voulons dire est en fait très facile à comprendre, pour peu qu’on s’en donne la peine. Si le Front National affirme que la terre est ronde, il serait idiot d’affirmer qu’elle est plate pour se distinguer à tout prix du Front National. De même serait-il absurde de ne pas défendre la retraite à 60 ans sous prétexte que Marine Le Pen prétend désormais la défendre, elle aussi (à des fins purement électoralistes bien sûr). Ceci étant dit, notre article ne vise pas n’importe quelle revendication commune au Front National et à Dang Tran, mais une revendication bien précise : la « sortie de l’UE » et le « retour au franc ». Nous jugeons que cette revendication est nationaliste et réactionnaire (nous y reviendrons). Et oui, nous trouvons cela malheureux de la part d’un responsable du PCF.
Gautier Weinmann : Quand Emmanuel Dang Tran dit que l’on peut être d’accord avec une grande partie du contenu des tracts du FN, il dénonce évidemment le virage « social » du FN. Le FN ne joue plus la carte de l’ultralibéralisme, même si, comme le dénonce très bien Dang Tran sur FR3, le « poison » est toujours là. Il veut mettre en garde les travailleurs qui, à la sortie de l’usine, peuvent être bernés par certains tracts.
La Riposte : Déclarer, comme l’a fait Dang Tran devant les caméras de FR3, que les militants du Front National « distribuent des tracts qui, à 80 % ou 85 %, défendent la position qu’on [le PCF] devrait défendre », ce n’est pas « dénoncer le virage "social" du Front National », c’est semer la plus lamentable des confusions. Même si le FN publiait des tracts appelant au communisme mondial, La Riposte ne dirait pas une ânerie pareille. Ce n’est pas ainsi que l’on doit combattre la démagogie électoraliste du FN ; il faut la combattre en exposant son véritable programme – qui vise à détruire nos acquis et droits sociaux – et en mobilisant les travailleurs autour d’un programme communiste.
Cela étant dit, quelles sont les revendications précises du FN que, selon Dang Tran, le PCF devrait lui aussi défendre ? Il le répète à longueur d’articles : la sortie de l’UE et le rétablissement du franc. Or, encore une fois, ces revendications n’ont rien de progressiste ou de « social ». Elles constituent au contraire une diversion nationaliste. Elles détournent l’attention des travailleurs des véritables causes de la régression sociale, à savoir la domination d’une poignée de capitalistes sur l’économie française et européenne. Et l’objectif du Front National est précisément de concentrer la colère des travailleurs sur les « bureaucrates de Bruxelles » – et il y en a ! – pour mieux exonérer le capitalisme français. Que telle ne soit pas l’intention de Dang Tran, nul doute. Mais le résultat est le même.
Gautier Weinmann : Autre critique ridicule : Dang Tran ne prône pas, comme le FN, la « "sortie de l’Union Européenne" – sur la base du capitalisme – et le retour au franc français ». Quelle mauvaise foi ! Dang Tran prône le communisme. La Riposte dit vouloir s’attaquer à « la source même du pouvoir des capitalistes, à savoir la propriété privée des banques et des grands moyens de production. » C’est une excellente idée, mais il faut avoir l’honnêteté d’admettre que cela rejoint complètement le programme défendu par Dang Tran ! Regardons les propositions défendues [par Dang Tran] dans le cadre du 35e congrès du parti : « (re) nationalisation des secteurs clefs de l’économie, (…) être plus clairs et plus offensifs que de vagues "pôles publics" (…) renationalisation d’EDF et de GDF (…) mobiliser pour la nationalisation des banques et des établissements de crédit ». Pourquoi La Riposte passe-t-elle ce projet sous silence ? […]
Par ailleurs, La Riposte devra expliquer comment des nationalisations sont compatibles avec l’UE. Un tel programme implique la sortie de l’UE, c’est l’évidence ! Pas pour La Riposte, qui dit s’opposer à l’UE et à l’euro uniquement parce qu’il s’agit « d’une propagande fausse et mensongère ». Mais de quoi parle-t-on ? Pas de mirage ! L’UE, ses traités, ses directives, sa monnaie sont des choses très concrètes, il ne s’agit pas de miroirs aux alouettes, il s’agit d’ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE contre les travailleurs, contre le communisme !
La Riposte : Ici, Gautier Weinmann expose à merveille sa propre confusion. A la différence du FN, « Dang Tran prône le communisme » et un programme de nationalisations massives, souligne-t-il. Fort bien ! Mais le camarade Weinmann ajoute que les nationalisations ne sont pas « compatibles » avec l’UE et que l’application d’un programme communiste « implique la sortie de l’UE ». Plus loin (ci-dessous), il présente la « sortie de l’euro » comme une « condition nécessaire » à la mise en œuvre d’un programme communiste. Autrement dit, Weinmann, comme Dang Tran, considère la « sortie de l’UE » – sous le capitalisme – comme une première étape indispensable à la réalisation d’un programme communiste. On ne peut pas comprendre autrement ce qu’il dit, et c’est bien ainsi que des travailleurs le comprendront.
Ce point de vue est complètement erroné. Premièrement, comme nous l’avons expliqué dans notre article, la sortie de l’UE et le retour au franc, sur la base du capitalisme, ne ferait pas avancer la classe ouvrière française d’un centimètre, aussi bien du point de vue de ses conditions matérielles d’existence que du point de vue de la lutte pour le communisme. Deuxièmement, l’idée que des nationalisations massives et le programme du communisme ne sont pas « compatibles » avec l’UE est parfaitement creuse. Car en réalité, pour reprendre le vocabulaire de Weinmann, le programme du communisme est « incompatible » non seulement avec l’UE, mais avec le système capitaliste en général, que ce soit en France ou à l’échelle européenne. Cela signifie simplement que nous avons affaire à des classes en lutte et aux intérêts irréconciliables (« incompatibles »). Quant à la possibilité de réaliser le programme du communisme en France, elle ne dépend absolument pas de l’adhésion, ou non, de la France à l’Union Européenne (ou de sa monnaie), mais de la lutte des classes et de son résultat – en France et à l’échelle internationale.
En présentant la sortie de l’UE et le « retour au franc » comme une première étape incontournable vers la réalisation d’un programme communiste, Weinmann commet une erreur aux conséquences très sérieuses, car elle sème des illusions dans la conscience des travailleurs et détourne leur attention de la lutte contre la racine du problème : la propriété capitaliste. En effet, si la sortie de l’UE et le retour au franc sont des « conditions nécessaires » d’un programme d’expropriation des capitalistes, à quoi bon lutter ici et maintenant – alors que la France est toujours dans l’UE – pour la renationalisation complète d’EDF et GDF, par exemple ? A quoi bon lutter ici et maintenant pour l’expropriation des entreprises du CAC 40 ? « Luttons d’abord pour la sortie de l’UE, pour le rétablissement du franc – et ensuite, seulement, nous pourrons aller vers le communisme » : voilà la conclusion erronée, dangereuse et réactionnaire à laquelle un travailleur qui lit Dang Tran et Weinmann pourrait parvenir.
Gautier Weinmann : Un programme communiste de maîtrise de nos vies impose bien évidemment la fin de la BCE, conçue au-dessus des peuples dans l’intérêt du capital. La Riposte admet : « l’euro visait à protéger les intérêts des capitalistes – et surtout des plus puissants d’entre eux ». Très bien, mais dans ce cas, pourquoi ne défend-elle pas la sortie de l’euro ?
Le rétablissement d’une monnaie nationale, en lien avec une monnaie mondiale de coopération, aurait cet immense avantage de ne pas laisser sa gestion aux mains des marchés financiers et des libéraux monétaristes. Nos sociétés sont bien des sociétés monétaires de production, la question de la politique monétaire n’est pas neutre, que l’on soit en régime capitaliste ou communiste (ma préférence !).
Sortir de l’euro est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Comme le souligne parfaitement le camarade Dang Tran, évidemment, « la fin de l’euro, le retour au franc ne signifient pas l’avènement du socialisme en France. (…) Le pouvoir resterait dans les mains du capitalisme français. ». Donc, pourquoi La Riposte résume les propositions de Dang Tran à la sortie de l’euro ? La réponse est bassement politicienne : pour pouvoir le mettre dans le même sac que Le Pen, avec Gerin !
La Riposte : Commençons par l’idée archi-fausse selon laquelle le rétablissement d’une monnaie nationale, sur la base du capitalisme, aurait l’« immense avantage de ne pas laisser sa gestion aux mains des marchés financiers et des libéraux monétaristes ». On se demande bien aux mains de qui serait la monnaie nationale ? Des travailleurs ? De la CGT ? De la section du PCF Paris 15e ? Non. Le franc français serait soumis aux intérêts des capitalistes français, de leurs banques et des « marchés financiers » internationaux, exactement comme l’était le franc français avant l’introduction de l’euro. La seule façon d’arracher la monnaie au contrôle des « marchés financiers », c’est de nationaliser l’ensemble du secteur bancaire et les grands leviers de l’économie, sous le contrôle des travailleurs et de leurs organisations. Autrement dit, c’est le programme du communisme. « Ah ! Mais c’est incompatible avec l’UE ! », protestera Weinmann. Or, c’est « incompatible » avec l’UE en ce sens que de telles mesures porteraient un coup mortel à l’UE. Mais c’est parfaitement possible – et c’est la seule voie hors du chaos capitaliste.
Weinmann cite Dang Tran qui affirme qu’avec le retour au franc français, « le pouvoir resterait dans les mains du capitalisme français. » Précisément ! Y compris le pouvoir monétaire, si bien qu’encore une fois, le rétablissement du franc ne nous ferait pas avancer d’un centimètre.
Enfin, l’idée d’une « monnaie mondiale de coopération », parallèlement au franc, est complètement fantaisiste. Si la France quittait l’UE, restaurait le franc et proposait à la Chine, à l’Allemagne, au Japon et aux Etats-Unis d’adopter une « monnaie mondiale de coopération », il en résulterait juste un grand éclat de rire international – et rien de plus.
Gautier Weinmann : Lénine écrivait : « Le réveil des masses sortant de la torpeur féodale est progressif, de même que leur lutte contre toute oppression pour la souveraineté du peuple, pour la souveraineté de la nation. De là, le devoir absolu pour le marxiste de défendre le démocratisme le plus résolu et le plus conséquent, dans tous les aspects du problème national. Secouer tout joug féodal, toute oppression des nations, tous les privilèges pour une des nations ou pour une des langues, c’est le devoir absolu du prolétariat en tant que force démocratique, l’intérêt absolu de la lutte de classe prolétarienne. »
Certes, Lénine dénonce le caractère bourgeois, l’utopie réactionnaire de « rester dans sa Nation ». Mais il dit très bien les choses : la souveraineté nationale n’est pas une fin en soi, c’est bien la condition de l’édification du socialisme, quand les pays qui nous entourent sont capitalistes et impérialistes.
Au niveau de la Commission européenne, du Parlement européen et des différents sommets européens se règlent les politiques qui visent à venir à la rescousse du capitalisme. C’est pour cela qu’une fois au pouvoir en France, nous n’aurions plus rien à faire dans de telles instances, avec des dirigeants d’autres pays qui ne partageraient pas nos vues.
La Riposte : Nous sommes d’accord avec l’idée que si la France était dirigée par un gouvernement communiste, elle « n’aurait plus rien à faire dans les instances » de l’UE (Commission européenne, Parlement européen, etc.) Mais en fait, la question ne se poserait probablement pas, car le renversement du capitalisme français porterait un coup fatal à l’UE. Sans le capitalisme français (ou allemand), l’UE n’existerait pas. En outre, une révolution en France serait suivie de mouvements révolutionnaires dans toute l’Europe, exactement comme la révolution tunisienne a déclenché une vague révolutionnaire dans le monde arabe. Ainsi, même dans l’hypothèse où, face au renversement du capitalisme français, les classes dirigeantes tentaient de maintenir l’UE, la transformation des rapports de propriété à l’échelle européenne signifierait sa disparition définitive.
Venons-en à la citation de Lénine. Elle souligne parfaitement la confusion du camarade Weinmann. En effet, Lénine y évoque le sort des nations opprimées et « des masses sortant de la torpeur féodale ». Or, à notre connaissance, la France n’est pas une nation opprimée. Elle est même une nation impérialiste, qui opprime et pille les peuples à travers le monde. Et il y a fort longtemps que les masses françaises sont sorties de la « torpeur féodale » ! La France n’est pas « opprimée » dans le cadre de l’UE : elle dirige l’UE aux côtés du capitalisme allemand. La classe capitaliste française en tire d’énormes profits. Il est donc grotesque de présenter la France comme un pays qui doit conquérir sa « souveraineté nationale » face aux institutions de l’UE. Celles-ci sont essentiellement contrôlées par les capitalistes français et allemands. Que Marine Le Pen fasse semblant d’ignorer ce fait – pour les besoins de sa propagande nationaliste – et présente la France comme une nation opprimée par les institutions européennes, c’est dans l’ordre des choses. Mais que des camarades du PCF, aussi bien intentionnés soient-ils, défendent la même analyse que Marine Le Pen (sur cette question précise), c’est décidément bien malheureux.
Gautier Weinmann : Clou de la sottise, La Riposte indique que « d’une manière générale, les mesures et contre-mesures protectionnistes mèneraient à une contraction du volume des échanges internationaux. Une politique protectionniste ne permettrait pas de défendre les emplois et les "productions nationales". Au contraire, elle se traduirait par leur destruction à une échelle encore plus massive qu’à présent. » On ne saurait mieux défendre le libéralisme mondial ! J’ai entendu les mêmes propos récemment de la bouche du président de l’OMC, Pascal Lamy ! Finalement, La Riposte rejoint entièrement le Front de gauche sur l’analyse de l’UE.
La Riposte : Pascal Lamy est un agent et un défenseur du capitalisme. Mais s’il dit que la terre est ronde, nous ne le contredirons pas. Le fait est que nombre de capitalistes européens – et au-delà – sont extrêmement préoccupés par la perspective d’une dislocation de l’Union Européenne, d’une restauration des monnaies nationales et d’une flambée protectionniste reposant sur une série de dévaluations compétitives. Il n’est pas exclu que la gravité de la crise pousse les capitalistes à emprunter cette voie, mais elle n’en serait pas moins extrêmement dangereuse de leur point de vue. N’oublions pas que c’est la flambée du protectionnisme qui a transformé la crise des années 30 en dépression. Que Pascal Lamy – comme tant d’autres – s’en inquiète, cela ne devrait surprendre personne.
En même temps, il est absolument clair qu’un tel scénario n’apporterait rien de positif à la classe ouvrière européenne. Les capitalistes s’efforceraient de transférer tout le poids de la crise (comme ils le font déjà) sur les épaules des travailleurs, dont les difficultés, loin de s’alléger, s’aggraveraient. Est-ce que cela signifie que La Riposte milite pour le maintien de l’UE et pour le maintien de l’euro ? Absolument pas. Nous sommes contre le capitalisme européen, que ce soit dans le cadre de l’UE ou en dehors de ce cadre. Nous affirmons qu’il n’y aura pas de solution aux problèmes brûlants des travailleurs de France et d’Europe sur la base du capitalisme. Autrement dit, nous rejetons les illusions de Dang Tran, Weinmann et tant d’autres sur le soi-disant progrès que constituerait la « sortie de l’UE » ; mais nous rejetons également et tout aussi fermement les illusions des dirigeants socialistes – et communistes – sur la possibilité d’une « Europe sociale » sur la base du capitalisme, c’est-à-dire sans remettre en cause la propriété capitaliste des banques et de l’industrie. Notre position sur cette question n’est donc pas celle des dirigeants du Front de Gauche (Mélenchon et les dirigeants du PCF). Sur la question européenne, notre mot d’ordre reste celui que la IIIe Internationale a adopté en 1923 : contre les Etats capitalistes d’Europe, pour une fédération des Etats socialistes d’Europe !