Dans les jours qui viennent, les sections du PCF doivent s’exprimer, par un vote, sur la composition des listes du « Front de gauche » pour les élections européennes de juin prochain. La Riposte ne s’oppose pas, par principe, aux alliances électorales entre le PCF et d’autres partis de gauche. L’union fait la force. Cependant, le programme que défend le PCF, dans cette campagne, n’offre aucune solution au véritable désastre économique et social que le capitalisme inflige à la masse de la population.
La situation actuelle, en France, place le PCF devant d’énormes responsabilités. Les 29 janvier et 19 mars, plusieurs millions de travailleurs ont manifesté contre le capitalisme et le gouvernement de droite. La production industrielle connaît un véritable effondrement. Elle est en baisse constante depuis le mois de juillet 2008. Le chômage monte en flèche. Pour le seul mois de janvier 2009, les statistiques officielles font état 90 000 chômeurs de plus. La réalité est sans doute encore plus grave. Cela signifie que, sur l’année 2009, le nombre de sans emploi augmentera au moins de 500 000 – et sans doute bien plus. Cette crise est la conséquence d’un système où le contrôle des banques, de l’industrie et de la grande distribution est entre les mains d’un nombre restreint de capitalistes. Pour défendre leurs profits, ces capitalistes mettent des centaines de milliers de salariés au chômage, démantèlent l’industrie, détruisent les services publics et s’efforcent, avec l’aide du gouvernement, de supprimer toutes les conquêtes sociales du passé, tranche par tranche. La même situation existe dans tous les pays de l’Union Européenne, sans exception aucune.
Pour notre parti, les élections européennes sont l’occasion d’expliquer aux travailleurs et à la jeunesse la nécessité de mettre fin à la dictature du capital, de les mobiliser autour d’un programme pour l’expropriation des capitalistes. Ceci constitue le seul moyen de mettre un terme définitif au chômage de masse, à la misère, à la précarité et aux innombrables injustices qui caractérisent la société capitaliste. Tous ces fléaux existaient avant la récession. Mais ils connaissent actuellement une aggravation extrême.
Depuis de nombreuses années, La Riposte – l’aile marxiste du PCF – insiste sur la nécessité impérative de placer ce programme communiste au cœur de la propagande du parti. Le rôle principal du parti, son devoir suprême, c’est de s’efforcer de convaincre les travailleurs du bien-fondé des idées et du programme du communisme. Il faut lier la lutte pour les salaires, pour l’emploi, contre les fermetures et les délocalisations, pour la défense des services publics, contre le racisme, etc., à la nécessité de nationaliser les banques et les entreprises capitalistes, et de les placer sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs.
Malheureusement, sous le drapeau du « Front de gauche », les militants du parti sont appelés à faire campagne sur la base d’un programme extrêmement limité. Ce programme ne contient aucune mesure susceptible de réduire l’emprise des capitalistes sur l’économie, et donc sur la société toute entière. Les propositions principales qu’il présente seraient complètement inefficaces.
Le « crédit sélectif », par exemple, n’est pas une revendication juste, d’un point de vue communiste. Selon cette proposition, les capitalistes qui, dans leur recherche de profit, font des investissements ou embauchent du personnel, devraient être récompensés par la prise en charge partielle ou totale, par les contribuables, des intérêts sur leurs emprunts. Qu’y a-t-il de progressiste, dans cette revendication ? Les travailleurs doivent payer des intérêts sur leurs crédits bancaires. Pourquoi les capitalistes en seraient dispensés ? Est-il juste que les travailleurs, comme contribuables, paient non seulement les intérêts de leurs propres emprunts, mais aussi ceux des capitalistes ? Non seulement cette mesure n’a rien de progressiste, mais elle n’aurait absolument aucun effet positif sur le plan économique. Les suppressions d’emplois, les délocalisations, les fermetures, la baisse de la production et de l’investissement ne sont pas un problème de trésorerie. Les capitalistes ne manquent pas d’argent. C’est un problème de surproduction, un problème de marchés, doublé d’une expansion colossale du crédit, c’est-à-dire de l’endettement. Par l’expansion du crédit, les capitalistes ont cherché à reporter à « plus tard » la crise de surproduction. La demande a été artificiellement et temporairement augmentée. Mais les crédits doivent être remboursés, et à un certain stade, la surproduction – par rapport à la demande – intervient inévitablement. Ce « certain stade », que La Riposte avait prévu et expliqué à l’avance, dans ses publications, nous y sommes. Ainsi, même si l’on admettait que, dans tel ou tel cas précis, le fait d’exonérer les capitalistes de telle ou telle dépense – aux frais de la collectivité – pourrait avoir un effet bénéfique pour l’entreprise en question, ceci ne pourrait se faire qu’au détriment de ses concurrents. On sauverait – supposons-le – des emplois dans une entreprise, mais on en détruirait dans une autre. Tel est le fonctionnement du capitalisme.
Prenons une autre des mesures prônées par le « Front de Gauche ». Jean-Luc Mélenchon exige la mise en place d’un « bouclier douanier sélectif ». Autrement dit, il faudrait bloquer les importations de biens et de services dans certains secteurs, de façon à protéger les marchés et les profits des capitalistes de ces secteurs. L’idée, c’est que l’augmentation de leurs profits rendrait ces capitalistes moins enclins à supprimer des emplois ou à délocaliser. Or, premièrement, ce n’est pas parce qu’on protège ainsi les profits d’un capitaliste qu’il ne cherchera pas à les augmenter encore et toujours plus au détriment de l’emploi et des conditions de travail. Même « protégé », un marché est bien plus rentable avec des emplois précaires et mal payés. La rapacité des capitalistes est sans limites.
Mais ce n’est pas le seul problème que pose la proposition protectionniste de Mélenchon. « Sélectives » ou pas, des mesures prises contre un pays étranger appelleraient immédiatement des mesures de rétorsion. Par exemple, la Chine est l’un des pays qui conquiert beaucoup de parts de marché, en France, et ce malgré les mesures protectionnistes au niveau européen. Un renforcement de ces mesures protectionnistes inciterait la Chine à faire de même. L’industrie française se verrait privée de marchés en Chine, et perdrait bien plus qu’elle ne gagnerait, dans une guerre commerciale de ce type. En plus de cette considération, il y a le rôle de la Chine dans le financement de l’Etat français. Le déficit abyssal des finances publiques françaises est largement comblé par des emprunts levés en Chine. Pour faire annuler toute mesure qui gênerait sérieusement les exportations de la Chine, il suffirait que celle-ci ferme le robinet financier qui alimente les caisses de l’Etat et des banques françaises. En quelques jours, l’affaire serait réglée. De manière générale, la mise en place de barrières douanières aurait pour effet de restreindre le volume des échanges commerciaux à l’échelle internationale. Loin d’atténuer la récession économique, elle l’aggraverait encore plus – au détriment des salariés.
Par ailleurs, l’idée de sauvegarder des emplois, en France, en imposant le chômage aux travailleurs des autres pays, est en complète contradiction avec les idées communistes et internationalistes que nous défendons. Cette revendication favorise des réflexes nationalistes. Elle détourne le regard des travailleurs vers la « concurrence étrangère », plutôt que de le fixer sur le rôle pernicieux des capitalistes français. Comme le disait Karl Liebknecht : « l’ennemi principal est chez nous ! »
Lors du meeting du 8 mars dernier, au Zénith, Marie-George Buffet a proposé de « nationaliser toutes les banques qui ont failli ». On pourrait être tenté d’y voir un progrès par rapport à la position généralement défendue par la direction du parti, qui n’est pas favorable à la nationalisation des banques. Mais pourquoi ne nationaliser que les banques en faillite ? En substance, cette politique recoupe celle de nombreux gouvernements européens – et celle de l’administration américaine, sous Bush comme sous Obama – qui consiste à privatiser les profits et nationaliser les pertes. La « nationalisation » d’une banque en faillite signifie tout simplement que les contribuables paient la note des orgies spéculatives des banquiers capitalistes.
Nous le voyons bien : ce « Front de Gauche » repose essentiellement sur des bases programmatiques inefficaces et inacceptables, d’un point de vue communiste. Le véritable ciment de l’alliance avec Mélenchon n’est pas un programme « véritablement anti-capitaliste ». Il n’y a aucune mesure, dans ce programme, qui entame sérieusement le pouvoir des capitalistes. Cette modération ne permettra pas au « Front de gauche » de se distinguer nettement du Parti Socialiste – et renforcera, en même temps, la base électorale du NPA.
Le rapprochement du PCF avec Mélenchon s’explique avant tout par l’ambition personnelle de ce dernier – laquelle constitue, à vrai dire, la principale raison d’être du minuscule Parti de Gauche (PG) ! L’écrasante majorité des sections locales du PCF auront bien du mal à travailler avec les structures locales du PG, pour une raison simple : ces structures n’existent que sur une toute petite partie du territoire national. Dans la plupart des cas, les militants du PCF constateront qu’il n’y aura aucun adhérent du PG, dans leur localité – ou très peu. Si Mélenchon a rompu avec le Parti Socialiste, c’est parce qu’il était marginalisé au sein de l’appareil du PS. A force de trahisons et renoncements répétés, au fil des années (soutien aux privatisations massives du gouvernement Jospin, soutien à la participation de la France à l’invasion de l’Afghanistan, ralliement systématique, lors des congrès du PS, aux textes présentés par l’aile droite du parti, etc.), il s’est trouvé avec des adversaires, en face, mais pratiquement plus personne derrière lui. C’est pour cela qu’il s’est résolu à négocier une « place au soleil » avec la direction du PCF – une place complètement disproportionnée, au regard des forces qu’il représente.
Si cette place ne lui avait pas été réservée, de longue date, Mélenchon serait resté au PS. N’ayant pu attirer qu’une poignée de militants socialistes à sa cause, il a besoin des militants et des moyens d’action du PCF pour gagner un siège au parlement européen. Tel est l’alpha et l’oméga de ce soi-disant « front ». A l’avenir, si Martine Aubry ou Ségolène Royal accède à la présidence de la République, le besoin de meubler un « gouvernement d’ouverture » se traduira par l’offre de quelques strapontins à des « personnalités d’horizons divers » – au centre, mais aussi à gauche. S’il réussit son pari aux européennes, Mélenchon sera en bonne position pour occuper l’un de ces strapontins, exactement comme il a intégré le gouvernement Jospin, en 2000, lorsque la politique de ce dernier virait brusquement vers la droite, avec les contre-réformes de Claude Allègre et la mise en œuvre des privatisations. Ainsi, l’accord conclu avec Jean-Luc Mélenchon pourrait, à terme, se retourner contre le PCF.
Pour toutes ces raisons, autant sur le fond programmatique que sur la forme de cette alliance, nous appelons les communistes à voter contre les listes présentées par la direction, lors de la consultation interne des jours à venir. Toutefois, il faut infliger une défaite électorale à la droite, les 6 et 7 juin. Aussi, indépendamment du résultat du vote interne au PCF sur les listes du « Front de gauche », nous encourageons tous les communistes à participer activement à cette campagne pour les européennes, quelles que soient leurs opinions sur la manière dont elle est menée.