Un an après le développement fulgurant de la pandémie, les confinements, couvre-feux et restrictions diverses continuent de rythmer le quotidien des peuples du monde entier. Chaque jour, le Covid fait des milliers de victimes directes ou indirectes. Chaque jour, les dégâts économiques et sociaux s’aggravent.
Quand tout ceci prendra-t-il fin ? Nul ne peut le dire, pour cette raison simple que la pandémie échappe totalement – et n’a jamais cessé d’échapper – au contrôle des classes dirigeantes. Il y a bien quelques exceptions (à ce stade), dont la Chine, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Mais pour le reste, les gouvernements naviguent à vue, titubent d’une décision à l’autre, multiplient les mesures contradictoires – et, au fond, croisent les doigts en espérant un miracle. En France, Jean Castex organise régulièrement des conférences de presse pour nous dire qu’il n’a rien à nous dire.
Chaos vaccinal
La raison fondamentale de cette débâcle est parfaitement claire : le système capitaliste est incapable de prendre les mesures nécessaires pour en finir rapidement avec cette pandémie. La propriété privée des grands moyens de production et d’échange, la production pour le profit, la lutte féroce pour des parts de marché, les rivalités entre les différentes bourgeoisies nationales – toutes ces merveilles du capitalisme entrent en contradiction directe avec les énormes investissements et la planification mondiale qui, seuls, permettraient de résoudre la crise sanitaire de façon rapide et efficace.
Par exemple, on sait que le rythme et l’extension géographique de la campagne vaccinale sont des facteurs décisifs, notamment face au risque de voir émerger des variants qui résistent aux vaccins. Les scientifiques parlent d’une « course contre la montre » ; mais les capitalistes, eux, sont engagés dans un autre genre de course, la course aux profits, qui n’obéit pas du tout aux mêmes règles. Ils ne veulent pas réaliser les investissements nécessaires pour accroître massivement la production de vaccins, car ils redoutent que les infrastructures créées leur restent sur les bras une fois terminée la campagne vaccinale. Leurs marges de profits risqueraient d’en prendre un coup. Or rien n’est plus sacré, à leurs yeux. Périssent le monde et l’univers plutôt que de sacrifier une belle marge de profits ! Comme Marx le soulignait déjà, la bourgeoisie a toujours et partout pour devise : « Après nous, le déluge ! »
C’est pour les mêmes raisons, bien sûr, que les grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique marchandent la production de « leur » vaccin par des entreprises concurrentes, ce qui permettrait pourtant de multiplier le nombre de doses disponibles. Les milliers de personnes qui meurent du Covid, chaque jour, peuvent partir le cœur léger : la « propriété intellectuelle » – qui, sous le capitalisme, s’applique aux œuvres d’art comme aux vaccins – est saine et sauve.
Impérialisme sanitaire
Pendant que les puissances impérialistes se débattent dans cet énorme chaos vaccinal, les pays les plus pauvres sont priés d’attendre sagement leur tour. Mi-février, l’ONU signalait que dix pays, seulement, totalisaient 75 % des doses injectées. Dans 130 pays, aucune injection n’avait été délivrée. Sur les 175 millions de doses injectées, 8 millions l’avaient été en Amérique latine (430 millions d’habitants) et 2 millions en Afrique (1,3 milliard d’habitants).
Certes, l’OMS a lancé le programme Covax, qui annonce vouloir fournir 2,3 milliards de doses à 91 pays pauvres d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Mais d’une part, compte tenu des deux doses requises pour une vaccination complète, cela ne représente qu’un cinquième de la population ciblée. D’autre part, les responsables de Covax soulignaient eux-mêmes, fin décembre, que ce programme est « très fortement menacé » par le « manque de financements » et les « difficultés contractuelles » (des histoires de gros sous).
Dans une majorité de pays, les campagnes de vaccination sont programmées pour 2022 et 2023. Les tous derniers servis risquent d’attendre jusqu’en 2025. Voilà ce que disent des responsables de l’OMS et d’autres institutions internationales. Ils soulignent le risque de voir émerger des variants qui résistent aux vaccins – et donc le risque de devoir courir derrière les virus pendant de longues années, y compris dans les pays riches, qui ne pourront pas vivre terrés derrière des frontières nationales hermétiquement closes. Tout le monde le sait. Les classes dirigeantes le savent. Mais elles s’accrochent à leurs profits et à leur devise : « Après nous, le déluge ! ».
Nous ne sommes pas confrontés à une maladie qui dépasserait les compétences scientifiques, technologiques et industrielles de l’humanité. Les moyens de résoudre la crise sanitaire existent. Mais les rapports de production capitalistes constituent un énorme obstacle à la mobilisation de ces moyens. Il en va exactement de même pour tous les autres maux qui accablent des milliards de personnes à travers le monde. Par exemple, les moyens de nourrir correctement toute l’humanité existent depuis des décennies. Personne ne le conteste. Pourtant, plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim, et plus de 20 000 en meurent chaque jour, en moyenne. On pourrait faire le même constat à propos de la crise climatique, de la crise du logement et, en fait, de toutes les formes de pauvreté et de précarité.
Nationaliser Big Pharma !
En France comme ailleurs, la gauche et le mouvement syndical doivent prendre acte de la complète faillite du capitalisme, qui entraîne l’humanité dans la barbarie. Ils doivent renouer avec l’objectif de renverser ce système et de le remplacer par une société socialiste, dans laquelle les grands leviers de l’économie seront la propriété collective des travailleurs.
A gauche, des esprits chagrins et sceptiques nous répondent que la classe ouvrière « n’est pas prête » à accepter un changement de société aussi radical. Mais comment le savent-ils ? Pour savoir ce que notre classe pense d’un programme révolutionnaire, il faut commencer par le populariser – ce que, précisément, ne font pas les dirigeants officiels du mouvement ouvrier, qui ont pourtant une audience de masse.
Par ailleurs, les marxistes n’ont jamais prétendu qu’il suffisait de lever le drapeau de la révolution socialiste pour que les masses s’y rallient en bloc. Si c’était aussi simple, le capitalisme aurait été renversé depuis longtemps. Mais ce n’est pas aussi simple. La classe ouvrière est constituée de différentes couches dont le niveau de conscience évolue à des rythmes divers. La masse des travailleurs – sans laquelle aucune révolution n’est possible – développe sa conscience et sa combativité sur la base de sa propre expérience. Ce sont les grands événements historiques, les grands chocs économiques, politiques et sociaux, qui arrachent les masses à leur routine, leurs préjugés et leur passivité.
La crise actuelle constitue précisément l’un de ces chocs. Une fois passé le moment initial de stupeur et d’angoisse, de nombreux travailleurs ont enregistré, dans leur esprit, tous les échecs de la classe dirigeante : sur les masques, les tests, les capacités hospitalières – et maintenant les vaccins.
Au vu de ses résultats, la gabegie financière de la campagne vaccinale est un scandale qui suscite beaucoup d’interrogation et de colère. D’après les calculs de la Fondation Kenup, les entreprises qui ont développé les vaccins ont bénéficié, au total, de 100 milliards de dollars d’aide publique. Dans ce contexte, le mouvement ouvrier international pourrait lancer une vaste campagne sur le thème : « Nationaliser Big Pharma ! » Nous ne doutons pas un instant de l’écho favorable que rencontrerait une telle campagne, dans la classe ouvrière mondiale, si elle était menée avec énergie par les grands syndicats et partis de gauche de nombreux pays.
Malheureusement, ce genre de campagne n’est mené ni au niveau international, ni même au niveau national. Au moment où le capitalisme craque de tous côtés, les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier – y compris ceux de « l’aile gauche » – hésitent, paralysés, au seuil de la grande propriété capitaliste. Ils trouvent mille prétextes pour ne pas y toucher.
Il faudra faire plus qu’y toucher, pourtant, si nous voulons en finir avec l’exploitation et les oppressions. Dans l’immédiat, suivons l’excellent conseil de Marx : « Dans tous (l)es mouvements, les communistes mettent en avant la question de la propriété – à quelque degré d’évolution qu’elle ait pu arriver – comme la question fondamentale. »
Sommaire
« Après nous, le déluge ! » - Edito du n°50
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