Pendant sa campagne électorale 2016-2017, le candidat Macron avait lourdement insisté sur la nécessité d’une politique « bienveillante ». Mais depuis, rien, comme peuvent en témoigner les personnes en situation de handicap. Après avoir supprimé l’obligation légale de rendre les logements neufs accessibles aux personnes à mobilité réduite, le gouvernement refuse de « déconjugaliser » l’Allocation Adulte Handicapé (AAH).
Bureaucratie et dépendance
L’AAH est versée selon des critères à la fois médicaux et sociaux. D’abord, des spécialistes (médecins, psychiatres, etc.) étudient les dossiers, pour approuver – ou non – son versement. Puis son montant est déterminé par la CAF, en fonction des ressources dont dispose la personne handicapée.
Ce processus est assez difficile pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les problèmes internes de la CAF et le caractère absurdement bureaucratique de son fonctionnement en rendent le versement aléatoire. Un bénéficiaire de l’AAH doit justifier son handicap tous les deux à cinq ans, et ce même dans le cas d’un handicap irréversible ! Avec un processus aussi absurde et complexe, les interruptions de droit – qui peuvent durer plusieurs mois – ne sont pas rares.
Par ailleurs, à son taux maximum, l’allocation est de 904 euros, c’est-à-dire inférieure au seuil de pauvreté (1063 euros). Et comme si cela ne suffisait pas, les revenus d’un éventuel conjoint sont pris en compte dans le calcul du montant de l’AAH. Dès que ces revenus dépassent 1020 euros, le montant de l’allocation diminue, et ainsi graduellement jusqu’à ce qu’elle soit purement et simplement supprimée si les revenus du conjoint dépassent 1620 euros.
Ainsi, la CAF semble trouver normal qu’un adulte handicapé soit à la charge de son conjoint, dès lors qu’ils peuvent « se partager » 1620 euros (soit 810 euros chacun). Cela revient à punir financièrement les personnes handicapées qui réussissent à avoir une vie de couple, malgré leur handicap, puisque cela se traduit presque automatiquement par la baisse des allocations.
Naturellement, une telle situation aggrave très fortement la dépendance des personnes handicapées. Et dans les cas de violences conjugales, c’est dramatique : sans ressources leur permettant de quitter leur foyer, les femmes handicapées sont deux fois plus victimes de violences conjugales que les femmes non handicapées. [1]
Manœuvres parlementaires
En septembre 2020, une pétition a été déposée, sur le site du Sénat, pour demander que le calcul de l’AAH soit modifié. Elle a vite dépassé la barre des 100 000 signatures, et, comme le prévoit le règlement du Sénat, a dû être discutée par les sénateurs. Surprise : à une large majorité, des Républicains à la FI, les sénateurs se sont prononcés pour la « déconjugalisation », c’est-à-dire pour que les revenus du conjoint ne soient plus pris en compte lors du calcul de l’AAH.
On peut s’étonner de la soudaine mansuétude des sénateurs LR. Lorsque leur parti était au pouvoir, ils n’ont rien fait pour aider les personnes handicapées. C’est bien simple : il s’agit, de leur part, d’une manœuvre purement électoraliste et opportuniste, qui vise à mettre le gouvernement en mauvaise posture. En effet, LREM veut faire des économies budgétaires à tout prix (sur le dos des plus pauvres) et s’oppose donc à toute augmentation des allocations versées. Les parlementaires LR le savent bien – et sont d’accord, au fond, avec le gouvernement Macron.
Arrivée à l’Assemblée nationale, la déconjugalisation a été remplacée par un projet fumeux « d’abattement forfaitaire » de 5000 euros, qui ferait gagner environ 100 euros par mois à une partie des ménages concernés, sans simplifier la procédure ni en changer le caractère injuste. Même parmi les députés de la majorité, ce tour de passe-passe a eu du mal à passer. Pour s’assurer de son adoption, le gouvernement a dû utiliser un mécanisme autoritaire hérité du gaullisme : le « vote bloqué ». L’Assemblée ne peut alors que voter « pour » ou « contre ». Après ce passage (en force) à l’Assemblée, la réforme est revenue au Sénat, où les sénateurs de droite ont réintroduit la déconjugalisation et ont renvoyé le projet à l’Assemblée. Fin décembre, la réforme avait déjà fait deux allers-retours entre les chambres, sans que le sort des handicapés en soit amélioré d’un iota.
Cette affaire est une illustration tragi-comique de l’impasse que constitue le capitalisme, pour les handicapés. Les associations n’ont pas ménagé leurs efforts pour organiser des campagnes de sensibilisation et une vaste collecte de signatures permettant à la pétition de dépasser le seuil requis par le Sénat. Mais tout ceci n’a abouti, au final, qu’à une partie de ping-pong parlementaire, joué entre deux partis – LR et LREM – qui sont aussi réactionnaires l’un que l’autre. Tous deux considèrent le handicap comme une charge sur les dépenses publiques, qu’il faut diminuer à tout prix. La seule différence est que les uns sont au pouvoir, quand les autres essaient d’y revenir.
[1] Violences à l’égard des femmes : enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE réalisée en mars 2016 auprès de 42 000 femmes des 28 pays membres.