En seulement quelques mois, la crise déclenchée par le Covid-19 menace d’emporter des décennies de combats pour le droit à l’avortement et contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Les défenseurs du système répliqueront que, légalement, les droits des femmes n’ont pas été remis en question : les femmes peuvent toujours avorter – et sont, théoriquement, égales aux hommes. Mais dans la pratique, c’est une autre histoire.
Retour à la maison et perte d’autonomie
En France, la situation professionnelle des femmes s’est nettement détériorée : parmi celles qui exerçaient un emploi au 1er mars 2020, un tiers ne travaillaient plus en mai. Et cette situation risque de perdurer, car les secteurs les plus féminisés du salariat (souvent précaires) ont été particulièrement frappés par les mesures de confinement. Parallèlement, la double journée de travail des femmes s’est alourdie : 83 % des femmes vivant avec des enfants y ont consacré plus de 4 heures par jour. Les femmes ont également renoncé – deux fois plus souvent que les hommes – à travailler pour garder leurs enfants (21 % contre 12 %). Ce retour des femmes dans la sphère domestique s’est accompagné d’une augmentation des violences conjugales [1]. Ainsi, le confinement a renvoyé à la maison des millions de travailleuses à travers le monde. Et désormais, la crise économique menace de les y enfermer. [2]
Les progrès gagnés par les femmes dans le domaine de la santé et du droit à disposer de leur corps n’échappent pas à la régression. L’effondrement des systèmes de santé a restreint – ou, parfois, rendu impossible – l’accès à l’IVG ou à un suivi médical satisfaisant.
En Italie, par exemple, de nombreux hôpitaux ont été transformés en « hôpitaux Covid », au détriment d’autres actes médicaux – dont les avortements, qui n’y étaient plus pratiqués. Aux Etats-Unis, les groupes « pro-vie » et la droite la plus conservatrice ont profité de la situation pour passer à l’offensive contre le droit à l’avortement.
En France, les difficultés d’accès à l’IVG se sont aggravées. Si le délai légal d’IVG médicamenteuse a finalement été prolongé de deux semaines, de nombreuses femmes se sont heurtées à des difficultés pour obtenir une consultation pendant le confinement [3]. Le manque de personnel de santé, les fermetures d’établissements et le manque de moyens alloués aux associations comme les plannings familiaux sont responsables de cette situation.
Crise et contre-réformes
Les femmes ont dû se battre pour gagner des droits, mais les mouvements récents contre les violences sexuelles montrent l’ampleur du chemin à parcourir et le potentiel de colère qui couve chez des millions de travailleuses. Simone de Beauvoir disait qu’« il suffirait d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». De fait, la crise actuelle met en lumière le caractère éphémère de tout acquis sous le capitalisme. De par leur rôle dans la famille et leur surreprésentation dans les métiers liés aux soins ou faiblement qualifiés, les femmes de la classe ouvrière ont été particulièrement exposées durant la crise sanitaire – et le seront également par la crise économique.
Pour sortir de la crise dans laquelle se trouve leur système, les patrons, les banques et l’Etat passeront à l’offensive contre nos droits dans tous les domaines. Ils s’efforceront d’exacerber les tensions entre les travailleurs. La désignation de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur symbolise bien le mépris avec lequel le gouvernement considère les femmes et leurs luttes. C’est une raison supplémentaire pour que les syndicats et les partis de gauche fassent du renversement de ce gouvernement un axe central de leurs revendications.
Quel programme ?
La pleine égalité entre les femmes et les hommes ne sera jamais réalisée sous le capitalisme. Pour parvenir à cet objectif, nous avons besoin d’une économie démocratiquement planifiée, qui réponde aux besoins du plus grand nombre et pose les bases matérielles permettant de mettre fin aux inégalités entre les sexes.
Dans une économie socialiste et démocratique, les ressources nécessaires seraient allouées au bien-être social, à l’éducation et à l’élimination du fardeau des travaux ménagers. Les services de santé seraient gratuits et accessibles. Les femmes seraient financièrement indépendantes des hommes. En cas de violence domestique, elles bénéficieraient du soutien de l’ensemble de la société. Une gestion rationnelle de l’économie permettrait de prévenir les catastrophes sanitaires et de s’assurer qu’elles ne menacent pas l’accès à ces services essentiels.
Lorsque la base matérielle de l’inégalité et de l’oppression sera supprimée, le racisme, le sexisme et toutes les formes d’oppression commenceront à s’estomper au profit de nouvelles relations humaines. Certains souriront devant cette « utopie ». Il n’y a pourtant rien d’extraordinaire à exiger des droits aussi élémentaires que de vivre sans peur, dans la dignité et l’égalité.
[1] Confinement : explosion des violences conjugales
[2] Population & Sociétés, n°579, juillet 2020