Le 31 mars dernier, Libération titrait en « une » : Gauche : les français veulent des primaires. Dans ses pages intérieures, le journal faisait état d’un sondage selon lequel 57% des personnes interrogées réclamaient un scrutin ouvert aux sympathisants de gauche pour départager les candidats de gauche à la présidentielle. Dans son éditorial, après avoir écrit qu’il ne faut ni dénigrer les militants, ni « se débarrasser des vieux partis », Laurent Joffrin explique que « la manière dont les partis désignent leur champion a fait son temps ». Il évoque les « soupçons de triche, intrigues en tous genres, confusion des idées et impuissance des congrès » qui auraient marqué la désignation des candidats de gauche, lors des dernières présidentielles.
Les carences de la démocratie interne du PCF et du NPA sont aussi pointées du doigt. « Voilà pourquoi, poursuit Joffrin, dans sa sagesse participative, le peuple de gauche plébiscite le mécanisme des primaires qui a désigné ailleurs un Prodi et, surtout, un Obama. Sauf accident, le candidat socialiste est au second tour celui de toute la gauche. Ce finaliste peut-il être désigné seulement par cent mille personnes, alors qu’il a vocation à en représenter vingt millions ? Mécanisme neuf qui légitimera par nature le candidat de la moitié de la France, les primaires deviennent une sorte d’évidence. Les caciques doivent le comprendre. »
Il est toujours touchant de voir des apôtres du capitalisme se soucier de la démocratie interne des partis de gauche. Clairement, la démarche recommandée par Libération vise à déposséder les militants de gauche du contrôle de leurs partis. L’élection des candidats par des « sympathisants » de gauche signifie en réalité un renforcement considérable de l’influence déjà très importante de la presse et de l’industrie audiovisuelle dans la désignation des candidats. Avec l’adhésion à 20 euros, la direction du Parti Socialiste a déjà fait un pas dans cette direction. Aidés par cette manœuvre du camp de Ségolène Royal, les capitalistes sont parvenus, par une puissante campagne médiatique, à imposer sa candidature.
Il est vrai que les procédures en vigueur dans les partis de gauche ne sont pas aussi démocratiques qu’elles devraient l’être, que ce soit pour l’élection des instances dirigeantes ou pour la désignation des candidats. C’est un problème que les militants des partis en question doivent résoudre. Mais on n’a pas besoin, en la matière, des conseils d’un torchon comme Libération. Les candidats des partis de gauche doivent être désignés par les militants de ces partis, et non pas par de vagues « sympathisants » sous influence médiatique – et qu’il sera impossible de distinguer, d’ailleurs, de « sympathisants de droite ». Libération trouve que les procédures actuelles donnent trop de pouvoir à quelques centaines de milliers de militants. Mais que faut-il dire, dans ce cas, du pouvoir de quelques dizaines de capitalistes qui contrôlent pratiquement toute la presse et toute l’industrie audiovisuelle ? Laurent Joffrin donne des leçons de démocratie à la gauche, mais il est assez discret sur ce dernier point !