La guerre en Ukraine est entrée dans une nouvelle phase depuis la chute d’Avdiivka en février dernier. Dans la presse occidentale, les déclarations dithyrambiques sur la « victoire inéluctable » de l’Ukraine ont été remplacées par des interrogations inquiètes sur l’état de l’armée ukrainienne.
Au bord du gouffre
L’échec sanglant de la contre-offensive ukrainienne, l’été dernier, a porté un coup majeur au moral de l’armée ukrainienne. L’armée russe est ensuite passée à l’offensive. A Avdiivka, elle a profité de sa supériorité en artillerie et en aviation pour saigner à blanc les meilleures unités de l’armée ukrainienne.
Une fois Avdiivka tombée, l’armée russe a lancé une série d’opérations offensives limitées sur toute la largeur du front du Donbass. Début mai, les forces russes sont aussi passées à l’offensive dans la région de Kharkiv. Après avoir traversé la frontière, elles se sont enfoncées de près de 20 kilomètres, avant d’être arrêtées par l’armée ukrainienne – qui a dû dégarnir en urgence d’autres fronts.
De fait, l’armée ukrainienne est exsangue. Après des mois de tergiversations, le gouvernement de Kiev a fini par adopter une loi sur la mobilisation qui abaisse l’âge de la conscription de 27 à 25 ans, durcit les sanctions pour les réfractaires – et revient sur une promesse du gouvernement Zelensky : celle de démobiliser et de rendre à la vie civile les soldats qui combattent depuis le début de la guerre, en février 2022.
Malgré cette nouvelle loi, l’armée ukrainienne est au bord du gouffre. Le 8 avril, le général Oleksandr Pavliuk, commandant des forces terrestres ukrainiennes, écrivait publiquement : « peu importe combien d’aide nous recevons, combien d’armes nous avons – nous manquons d’hommes ».
Dans ces conditions, la perspective d’une défaite ukrainienne devient de plus en plus évidente. Après l’Irak, la Syrie et l’Afghanistan, ce serait une nouvelle humiliation pour l’impérialisme américain et ses alliés européens. Pendant des années, ils ont utilisé l’Ukraine comme une arme dirigée contre leur rival, l’impérialisme russe. Maintenant que la défaite approche, ils cherchent une issue pour se tirer du bourbier dans lequel ils ont contribué à plonger l’Ukraine.
Cela se reflète dans leurs discours. Par exemple, en juillet 2023, le président tchèque Petr Pavel – alors un des partisans les plus résolus du soutien à l’Ukraine « jusqu’à la victoire » – affirmait que les pays de l’OTAN « apporteront leur soutien encore longtemps jusqu’à ce que l’Ukraine considère ses objectifs comme étant atteints et qu’elle soit prête à entamer des négociations diplomatiques ». Le 15 mai dernier, changement de ton du même Petr Pavel : « il serait naïf de croire que l’Ukraine peut libérer les territoires occupés dans un avenir prévisible. La Russie ne va pas [les] abandonner comme ça. Nous devons mettre fin à la guerre et commencer à discuter de futurs accords. »
Macron en roue libre
Il est vrai qu’Emmanuel Macron est à contre-courant de ce tournant. En février, il déclarait : « Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre ». Depuis, le président français multiplie les sorties hasardeuses sur un possible envoi de troupes françaises en Ukraine. Ses déclarations ont été officiellement contredites par la plupart des dirigeants européens et de l’OTAN. Macron n’en a pas moins persisté. Le 2 mai, il déclarait que la question d’envoyer des troupes occidentales en Ukraine serait posée « si les Russes devaient aller percer les lignes de front, s’il y avait une demande ukrainienne ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Macron se prépare-t-il à entrer en guerre ouverte contre la Russie et à placer le monde au seuil d’une troisième guerre mondiale – comme le prétendent certaines organisations de gauche ? [1] Non, pour plusieurs raisons. Aucune classe dirigeante n’est prête, aujourd’hui, à envisager sérieusement de s’acheminer vers une guerre nucléaire qui ne lui rapporterait rien d’autre qu’une destruction mutuelle. Par ailleurs, l’armée française ne fait pas le poids face à la Russie, et tous ses chefs en sont bien conscients. Début mars, après les premières déclarations de Macron sur un possible envoi de troupes françaises en Ukraine, un haut gradé français confiait – anonymement – au journal Marianne : « Il ne faut pas se leurrer, face aux Russes, on est une armée de majorettes ! »
Les déclarations tonitruantes de Macron sont principalement destinées au public français. Devancé par le RN et concurrencé par l’ultra-belliciste et russophobe Glucksmann dans la course aux élections européennes, Macron tente désespérément de renforcer sa « stature » internationale, quitte à se ridiculiser sur la scène. Pour le peuple ukrainien, les déclarations de Macron ne changent rien. La retraite verbale des dirigeants de l’OTAN préfigure le prochain abandon de l’Ukraine à son sort, comme ont été abandonnés par le passé les Kurdes, les Afghans et tous les peuples qui ont eu le malheur de tomber dans le filet des manœuvres impérialistes.
[1] C’est le cas notamment de Lutte Ouvrière, mais même Mélenchon joue parfois avec cette idée.
