En octobre 2019, la population libanaise s’est soulevée et a renversé le gouvernement. Il fut remplacé par un gouvernement de « technocrates » (réactionnaires) dirigé par Hassane Diab. Pour les millions de Libanais qui avaient défilé dans les rues (près du tiers de la population), la situation ne s’est pas améliorée, malgré les engagements des nouveaux dirigeants. Dans les mois qui suivirent, le pays s’est enfoncé dans une crise économique terrifiante, face à laquelle le gouvernement Diab étalait son impuissance. Et pour cause : il était soutenu par les mêmes partis qui composaient le gouvernement précédent.
C’est dans ce contexte que, le 4 août, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium – un composé chimique utilisé dans l’agriculture – ont explosé dans le port de Beyrouth, ravageant la ville et faisant plusieurs centaines de victimes. La population libanaise a immédiatement exigé de connaître les responsables de cette catastrophe. C’est simple : les politiciens, bureaucrates et capitalistes corrompus qui savaient, depuis six ans, que des barils d’explosifs fermentaient dans le port de Beyrouth, sont également responsables de tous les autres maux affligeant le Liban.
Explosion de colère
L’explosion du 4 août a ouvert une nouvelle phase du mouvement des masses libanaises. Quelques jours plus tard, 10 000 personnes ont défilé dans Beyrouth, exigeant un changement radical. Malgré la répression féroce de la police et de l’armée, les manifestants ont déferlé dans les rues et pris d’assaut des bâtiments gouvernementaux. Le 8 août, ils ont occupé les ministères de l’Economie, des Affaires étrangères, de l’Energie, ainsi que le siège de l’Association des banques du Liban. Dans les rues, les masses exigeaient « la chute du régime ».
En réaction à l’explosion, mais aussi au mouvement des masses, le gouvernement Diab en a appelé à l’« unité nationale ». Mais ce subterfuge trop usé ne marche plus, tant la classe dirigeante dans son ensemble est discréditée. Les manifestants brandissaient de fausses potences pour y pendre des pantins à l’effigie des chefs des différents partis politiques. Finalement, la mobilisation a contraint le gouvernement Diab à la démission, le 10 août. Mais faute d’une direction au mouvement, c’est le même Diab qui continue de diriger aujourd’hui un gouvernement « de transition », tandis que de longues négociations visant à former un nouveau gouvernement se tiennent au sein de la classe dirigeante, sous l’œil attentif de la bourgeoisie impérialiste.
Le rôle de l’impérialisme français
Comme un vautour plongeant sur un cadavre, Emmanuel Macron est arrivé à Beyrouth moins de 48 heures après l’explosion. Il prétendait venir en aide au peuple libanais, mais il s’agissait en réalité de « proposer » (c’est-à-dire d’imposer) au Liban des « réformes indispensables », celles du FMI, qui visent à renforcer la domination de l’impérialisme sur le pays. D’ailleurs, les impérialistes ne s’en cachent pas : le même jour, Kristalina Gueorguieva, directrice générale du FMI, déclarait à propos du Liban : « Il est essentiel de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les discussions sur l’adoption de réformes fondamentales ». On peut observer dans le monde entier la réalité de ces « réformes structurelles » promues par le FMI : c’est une succession de mesures d’austérité visant à faire payer la crise du capitalisme aux jeunes, aux pauvres et aux travailleurs. Pareillement, la véritable nature de « l’aide française » est mieux représentée par les gaz lacrymogènes « Made in France » tirés par la police libanaise que par les larmes de crocodile d’Emmanuel Macron.
Après l’explosion, Macron a été le premier dirigeant étranger à se rendre à Beyrouth, marque des « relations privilégiées » entre la France et le Liban, que nos dirigeants évoquent avec des trémolos dans la voix. Il y a là un fond de vérité : le système politique libanais, basé sur le sectarisme et les divisions religieuses, a été créé et perfectionné par la France à l’époque coloniale. L’indépendance formelle du Liban a été négociée, après la Deuxième Guerre mondiale, avec comme condition de conserver ce système sectaire, dans le but de maintenir la mainmise de l’impérialisme – et pour permettre à la classe dirigeante libanaise de diviser la population.
Sous le capitalisme, un petit pays comme le Liban ne peut échapper à la domination de l’impérialisme, qui règne en favorisant les divisions sectaires et en s’appuyant sur des dirigeants corrompus. C’est avec cette situation infernale qu’il faut rompre.
Les masses libanaises ont fait chuter deux gouvernements en moins d’un an. Mais cette magnifique énergie ne suffit pas. En août, les travailleurs libanais n’ont manqué ni d’unité, ni de courage. Si Diab a pu se maintenir au pouvoir, c’est que les manifestants n’avaient ni programme, ni gouvernement à mettre à sa place, pour servir leurs intérêts. Pour que le prochain mouvement des travailleurs libanais se conclue autrement que par une nouvelle séance de chaises musicales entre politiciens bourgeois, il faudra un programme et une organisation à la hauteur de l’enjeu.