Article de Jessica Cassel, publié en juillet 2017 sur le site canadien Fightback (TMI).
La crise du capitalisme a ouvert une période de questionnement et de mouvements de masse tout autour du globe. Des Indignados espagnols aux manifestations de la place Syntagma en Grèce, en passant par les Nuits Debout en France, la jeunesse se lève et remet en cause le système capitaliste. Nous avons également vu, au cours des dernières années, de nombreux mouvements de masse contre les multiples formes d’oppression que les différentes couches de la classe ouvrière subissent sous le capitalisme. Des mouvements inspirants comme Idle No More, Black Lives Matter, les manifestations contre la violence envers les femmes ayant eu lieu à travers le monde le 8 mars, et certains éléments du mouvement anti-Trump ne sont que quelques exemples du désir grandissant chez les jeunes, les travailleuses et les travailleurs de lutter contre l’oppression et la discrimination.
Un des points de vue dominants parmi la direction de plusieurs de ces mouvements – souvent inspirés par la gauche universitaire – est celui de « l’intersectionnalité ». Ainsi, il n’est pas surprenant qu’une couche de jeunes et d’étudiants qui se politisent avec ces mouvements en vienne à voir l’oppression à travers ce prisme. Mais que signifie l’intersectionnalité ? Est-elle utile pour lutter contre l’oppression ? Est-elle compatible avec le marxisme ?
L’intersectionnalité est un terme généralement utilisé pour décrire l’existence de multiples formes d’oppression qui se superposent et s’entrecroisent pour former différentes configurations pour chaque individu, ce qui crée des expériences et des barrières sociales uniques. Le « besoin d’être intersectionnel » est une phrase courante au sein du mouvement, qui veut dire que toute lutte doit être inclusive et représentative des individus qui subissent différentes oppressions superposées, par opposition à l’idée de se concentrer simplement sur un groupe ou une forme d’oppression.
Les marxistes reconnaissent que les personnes et groupes peuvent subir plusieurs formes d’oppression superposées de façon simultanée, et que chaque configuration d’oppressions donne lieu à un ensemble particulier de barrières sociales. D’un point de vue marxiste, aucune forme d’oppression ne peut être comprise ou vaincue de manière isolée, et la lutte contre l’oppression et l’exploitation doit réunir et inclure toutes les couches d’opprimés. Les marxistes s’opposent aussi fermement à toute attitude ou tout comportement discriminatoire ; nous soutenons que ceux-ci ne peuvent que nous diviser et nous empêchent d’atteindre l’unité de la classe ouvrière, nécessaire pour atteindre l’émancipation. À première vue, il semble que le marxisme et l’intersectionnalité soient complémentaires. Cependant, si l’on regarde sous la surface et que l’on plonge dans la théorie sur laquelle s’appuie l’intersectionnalité, nous constatons que sa compréhension de l’oppression et de la manière de lutter contre elle diffère énormément du marxisme. L’intersectionnalité, malgré les bonnes intentions de beaucoup de ses adeptes, ne peut pas expliquer adéquatement les origines des diverses formes d’oppression, et donc offrir de solution.
On ne saurait trop insister sur le fait que les marxistes luttent contre toutes les formes d’oppression. Critiquer une façon différente de comprendre l’oppression dans le mouvement n’équivaut pas à négliger la réalité des multiples formes d’oppression ; au contraire, puisque notre but ultime est de mettre fin à toutes les formes d’oppression et d’exploitation une fois pour toutes, il est de notre devoir de défendre les idées et les méthodes dont la classe ouvrière et la jeunesse ont besoin pour atteindre l’émancipation. Voiler nos différences n’aide en rien à faire avancer le mouvement.
« L’intersectionnalité » mise en contexte
Afin de comprendre les limites de l’intersectionnalité d’un point de vue marxiste, nous devons bien sûr prendre en compte les principaux préceptes de l’intersectionnalité même, ainsi que le contexte historique dans lequel cette théorie a émergé. La montée de l’intersectionnalité a coïncidé avec la défaite des vagues révolutionnaires des années 60 et 70, suivie de la période de réaction des années 80 qui a culminé avec la chute de l’Union soviétique. Lors du reflux de la lutte des classes qui en résulta, les politiques « identitaires » gagnèrent en popularité. Les politiques identitaires, s’étant développées dans cette période particulière, consistent à définir les gens en se fondant sur leurs caractéristiques personnelles (par exemple l’origine ethnique ou le sexe) plutôt que sur leur classe ou leur opinion politique.
Elles ont été instrumentalisées par la classe dirigeante afin de promouvoir l’avancement d’éléments petits-bourgeois et carriéristes pouvant facilement être incorporés au système capitaliste. Les politiques identitaires sont utilisées par la bureaucratie du mouvement ouvrier et par la classe dirigeante contre ceux adoptant des positions de gauche et de lutte des classes au sein du mouvement. Cette orientation accrue vers des axes d’identité et d’oppression séparés est le résultat de l’échec des directions syndicales, sociales-démocrates et staliniennes à mener la classe ouvrière au renversement du capitalisme, ce qui aurait éradiqué la base sociale et économique des diverses formes d’oppression.
Le stalinisme, en particulier, a joué un rôle pernicieux. Tandis que la révolution russe de 1917 menée par les bolcheviks sous Lénine et Trotsky avait permis des avancées majeures pour les femmes, les gais et lesbiennes et les nationalités opprimées, la dégénérescence de l’Union soviétique sous Staline a mené à des reculs importants. L’isolement et l’arriération de l’Union soviétique ont perpétué la pénurie, et les staliniens se sont servis de toutes les vieilles divisions et formes d’oppression pour maintenir leur pouvoir et freiner la révolution prolétarienne internationale. Les pratiques discriminatoires adoptées par les partis communistes staliniens partout dans le monde reflétaient les politiques staliniennes adoptées en URSS, comme la recriminalisation de l’homosexualité. Sans surprise, cela a détourné de la lutte pour le socialisme beaucoup de jeunes et travailleurs vivant sous le poids de l’oppression. De telles politiques n’ont rien à voir avec le marxisme authentique et ont contribué à la division du mouvement en axes de lutte séparés, tandis que le marxisme authentique, lui, lutte contre toutes les formes d’oppression et en appelle à l’unité de classe.
L’intersectionnalité, branche du féminisme, était en fait une réaction contre les politiques identitaires traditionnelles qui tendaient à diviser le mouvement en différentes luttes séparées. Les femmes noires en particulier faisaient remarquer depuis des décennies que le mouvement des femmes était largement dominé par des femmes blanches de classe supérieure qui ignoraient la réalité et les besoins des femmes noires de la classe ouvrière, et que le mouvement antiraciste était dominé par des hommes noirs qui, bien souvent, banalisaient l’oppression des femmes – ce qui n’est pas une critique sans importance. Cependant, les fondements idéologiques de l’intersectionnalité reposent sur des théories post-marxistes comme le postmodernisme et le poststructuralisme. Ces théories ont gagné en popularité dans les cercles universitaires précisément dans une période de réaction capitaliste et d’effondrement du stalinisme, une période au cours de laquelle la direction syndicale et de la gauche en général a abandonné toute prétention à lutter pour le socialisme, et s’est ouvertement prononcée en faveur d’un capitalisme plus « humain ».
Tandis que l’accent était mis sur une transformation sociale et économique radicale lors de la période précédente, le monde des idées, de la pensée et du langage est devenu l’objet à analyser et à transformer lors du recul de la lutte des classes qui a suivi. Ayant perdu toute confiance dans la capacité de la classe ouvrière à transformer radicalement les fondements sociaux et économiques de la société, la gauche universitaire s’est repliée sur l’idée de changer la façon de penser des individus. Issue de cette tendance idéologique, l’intersectionnalité met l’accent sur l’expérience subjective et la pensée, le langage et le comportement individuels, et considère que c’est à travers ce prisme que l’on peut comprendre et surmonter l’oppression.
Il s’agit d’une approche profondément idéaliste qui se fonde sur l’idée que pour changer la société, il faut changer le point de vue des gens d’abord - ou, pire encore, qu’en changeant le « discours », on peut transformer la réalité. La vérité est que l’idéologie dominante, dans une société de classe, est l’idéologie de la classe dominante. C’est dans la lutte même pour transformer la société que les gens (en grand nombre) se transforment et que leurs opinions changent (sur une vaste échelle). Marx l’explique très bien dans L’idéologie allemande :
« Une transformation massive des hommes s'avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener la chose elle-même à bien ; or, une telle transformation ne peut s'opérer que par un mouvement pratique, par une révolution ; cette révolution n'est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu'elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l'est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l'autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles. »
C’est à la professeure de droit afro-américaine Kimberlé Crenshaw que l’on attribue l’invention du terme « intersectionnalité » en 1989, utilisé spécifiquement pour décrire comment le système pénal américain échouait à prendre en compte la discrimination fondée sur des motifs multiples dont les femmes noires souffrent sur leurs lieux de travail. Dans son article « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politic », Crenshaw cite plusieurs procès au cours desquels le tribunal avait examiné soit les allégations de discrimination basée sur le sexe, soit les allégations de discrimination raciale sur le lieu de travail, refusant d’admettre que les femmes noires subissent une discrimination fondée sur des motifs multiples, non pas seulement en tant que femmes ou en tant que Noires, mais en tant que femmes noires. Par exemple, dans le cas de DeGraffenreid vs General Motors, le tribunal a rejeté la plainte pour discrimination sexuelle et raciale de la plaignante parce que General Motors avait engagé des femmes blanches et des hommes noirs au cours de la période précédente.
Il est incontestable que les femmes noires et d’autres groupes qui vivent de la discrimination fondée sur des motifs multiples sont laissés pour compte dans le système juridique capitaliste. Ces lacunes structurelles créent des obstacles importants à l’égalité des droits pour les couches opprimées de la classe ouvrière. Les marxistes soutiennent les réformes juridiques qui permettent d’augmenter la capacité des travailleurs et des couches opprimées de notre classe de lutter pour leurs droits et d’améliorer leurs conditions de vie. Mais nous devons également expliquer que le racisme et le sexisme tirent leurs racines de la société de classe et des besoins du capitalisme, et que le système judiciaire existe avant tout pour maintenir ce système.
Tant que le système judiciaire évolue dans un contexte capitaliste, il est impossible de se débarrasser de sa nature bourgeoise à coup de réformes. Crenshaw revendique la création d’une nouvelle catégorie de minorité protégée pour les femmes noires au sein du système judiciaire. Nous devons toutefois souligner que cela ne changerait pas fondamentalement les conditions matérielles et sociales qui engendrent la discrimination multiple vécue par ces femmes dans leur lieu de travail et dans la société en général et que Crenshaw décrit avec tant de précision. Bien que les écrits de certaines féministes intersectionnelles contiennent des observations intéressantes sur la façon dont la discrimination multiple est vécue et sur les obstacles auxquels ses victimes sont confrontées, les marxistes expliquent qu’il faut dépasser la simple observation. Un nombre infini de catégories pourraient être créées au sein du système judiciaire afin de refléter toutes les intersections d’oppressions possibles, mais, en tant que marxistes, nous devons nous poser la question : pourquoi l’oppression existe-t-elle, et comment pouvons-nous l’éradiquer ?
La pensée et la réalité sociale
En 2016, lors d’une conférence intitulée « L’urgence de l’intersectionnalité », Crenshaw affirmait que le système judiciaire n’arrivait pas à prendre en compte la double discrimination au travail dont souffrent les femmes noires en raison d’un « problème de cadrage ». Autrement dit, si les juges ou les décideurs politiques avaient un meilleur cadre pour comprendre l’oppression et la nature de la discrimination multiple, les individus où les groupes qui vivent des oppressions superposées ne seraient pas laissés pour compte. Les attitudes discriminatoires des juges influencent leurs décisions, ce qui a certainement des répercussions sur la vie des groupes opprimés et perpétue leur marginalisation. Tandis que les hommes et femmes noirs sont davantage la cible de brutalité policière et de meurtre, les policiers assassins jouissent de l’impunité et les juges aux Etats-Unis et au Canada laissent souvent des agresseurs sexuels blancs en liberté. Il est on ne peut plus clair que les juges agissent conformément à leurs dégoûtantes attitudes discriminatoires, et que cela permet de perpétuer l’oppression et la subjugation des groupes opprimés de la société. Mais d’où viennent ces mentalités, et comment pouvons-nous les éliminer ?
Les attitudes discriminatoires toxiques des juges et des décideurs politiques reflètent les besoins du système capitaliste. L’État capitaliste et son système judiciaire existent afin de maintenir la domination et les profits de la classe capitaliste. Sous ce système, où les juges ne sont pas élus, les promesses électorales sont brisées aussitôt que les politiciens arrivent au pouvoir et sans qu’on ait la possibilité de les révoquer, et beaucoup de décisions importantes sont prises derrière des portes closes par des responsables non élus (c’est-à-dire des banquiers et dirigeants d’entreprises). Il n’y a pas d’authentique démocratie ni de possibilité de demander des comptes. Il est aussi très difficile de faire condamner nos employeurs pour leurs pratiques discriminatoires, étant donné qu’ils contrôlent nos moyens de subsistance et que nous n’avons pas de contrôle démocratique sur nos lieux de travail dans le cadre d’une production capitaliste. Bien qu’il arrive que des poursuites pour discrimination soient gagnées au terme d’une rude bataille, il faut souvent passer des années devant les tribunaux et dépenser des sommes astronomiques, et surmonter beaucoup d’autres obstacles qui rendent cette voie impossible à suivre pour beaucoup de travailleurs opprimés. Sans compter que l’employeur peut toujours se doter d’une meilleure équipe de juristes et que le système est déjà biaisé à son avantage. Lorsque les patrons sont effectivement punis, c’est souvent à coup d’amendes dérisoires, alors que la vie des plaignants et des plaignantes a été traînée dans la boue. Donc, bien que les mentalités jouent un rôle pernicieux dans le maintien de l’oppression, c’est le fondement économique et social sur lequel se basent ces institutions qui représente le véritable obstacle à surmonter pour éliminer l’oppression. Autrement dit, c’est la nature capitaliste des institutions qui est à la source du problème, et non seulement la mentalité des représentants qui y sont en poste.
Donc, pour les marxistes, le problème fondamental n’est pas le « cadre » ou la manière dont les gens considèrent l’oppression. L’idée que la pensée et le langage sont les forces dominantes qui structurent la réalité sociale découle de l’idéalisme philosophique, tandis que les marxistes approchent l’histoire d’un point de vue matérialiste et expliquent que c’est la réalité sociale qui structure la pensée. Nous ne venons pas au monde avec des conceptions du monde toutes faites, et celles que nous développons ne tombent pas du ciel. Ce que nous apprenons et la manière dont nous concevons le monde sont influencés par les conditions matérielles et sociales de l’époque historique dans laquelle nous nous trouvons, et par le mode de production qui jette les bases de l’organisation de la société. Cela ne signifie pas que chacune de nos pensées ou chaque élément de la culture est un produit direct de la base économique de la société, mais plutôt que la base économique jette les bases générales des points de vue dominants d’une époque donnée, et impose certaines limites à notre pensée.
Bien sûr, il n’y a pas que les individus en position de pouvoir qui véhiculent des idées discriminatoires qui servent leurs intérêts bornés. Les travailleurs et les pauvres sont aussi socialisés de manière à adopter ces mentalités. Les idées dominantes de la société sont les idées de la classe dominante, qui sous le capitalisme est la bourgeoisie. La classe capitaliste s’appuie sur les attitudes discriminatoires afin que la classe ouvrière se divise selon l’ethnie, la langue, le sexe et le genre, la religion et autres caractéristiques. Ces divisions ont plusieurs fonctions, comme le fait de créer une pression à la baisse sur les salaires et un nivellement vers le bas entre les travailleurs et les nations en compétition les uns avec les autres, ce qui empêche la majorité des exploités et des opprimés de s’unir contre leur oppresseur commun, la bourgeoisie. La bourgeoisie possède et contrôle les principaux moyens de diffusion des idées, comme les grands médias et les outils de diffusion de la culture. Les idées de la classe dominante sont aussi reproduites à travers l’Église, le système d’éducation et la famille. Le contenu de notre pensée est façonné par ces institutions, qui sont le reflet de la société capitaliste.
Le capitalisme oblige les travailleurs à se faire concurrence de manière féroce et déshumanisante, ce qui déforme la façon dont nous percevons nous-mêmes et les autres. Les gens ne naissent pas cupides et intolérants, mais sont éduqués dans une société individualiste qui nous monte les uns contre les autres et utilise de puissants moyens pour nous diviser et nous empêcher de nous unir. S’attaquer à la manière dont on pense sans changer les conditions matérielles et sociales qui engendrent les comportements discriminatoires est donc insuffisant pour lutter contre l’oppression. Se concentrer sur la pensée et les idées sans les lier à leur origine sociale et matérielle entraîne inévitablement une compréhension individualiste subjective de l’oppression, faisant dévier notre attention de ses racines économiques structurelles, et risquant de diviser le mouvement.
En dernière analyse, la base matérielle de toute division sociale est la pénurie, le manque. Une société capable de donner un bon emploi, un logement et de l’éducation à tous ses citoyens ne va pas avoir besoin de blâmer « l’autre » pour le manque de logement, d’emplois ou le faible accès à l’éducation. Inversement, une société en crise vivra une montée de ces mentalités. Marx le comprenait lorsqu’il expliquait que « l’indigence généralisée fait ressusciter le vieux fatras ». Ces mentalités ne peuvent pas être complètement éradiquées tant que persiste la pénurie. Sous le capitalisme, la pénurie est entièrement artificielle. En effet, nos moyens de production sont si avancés que nous avons déjà suffisamment de richesses et de ressources pour que tous puissent jouir d’un bon niveau de vie. Le problème sous le système actuel est qu’une minuscule minorité accapare la majorité de la richesse alors que le reste d’entre nous est forcé de lutter pour les miettes. Voilà pourquoi les marxistes appellent à l’expropriation de la classe capitaliste, afin de mettre toute cette richesse au service de la majorité et d’éradiquer les racines matérielles de la division et de l’oppression.
Les racines de l’oppression : subjectives ou objectives ?
Dans les écrits des féministes intersectionnelles, nous trouvons souvent des références à l’oppression « structurelle », mais c’est expliqué d’un point de vue idéaliste plutôt que d’un point de vue marxiste, c’est-à-dire matérialiste. Par exemple, en ce qui concerne les formes d’oppression multiples et entrecroisées, Bell Hooks affirme : « Pour moi, c’est comme une maison, elles partagent la fondation, mais la fondation, ce sont les croyances idéologiques autour desquelles la domination se construit. » Dans le même ordre d’idées, d’après Patricia Hill Collins, « l’autonomisation implique de rejeter les aspects de la connaissance, qu’ils soient personnels, culturels ou institutionnels, qui perpétuent l’objectivation et la déshumanisation ». Ainsi, elles considèrent que les racines de l’oppression se trouvent dans le système de croyances de la société, selon lequel certains groupes sont supérieurs ou inférieurs aux autres ; la fin de l’oppression suppose de rejeter ces croyances. La limite principale de cette approche est qu’elle n’explique pas pourquoi de telles croyances existent, et ne peut donc pas expliquer comment se débarrasser de ces croyances sur une vaste échelle.
En faisant de notre façon de concevoir la réalité la cible principale du changement, on suppose que l’oppression est principalement perpétuée à l’échelle individuelle ou interpersonnelle. De ce point de vue, quiconque ne vit pas une oppression particulière contribue à la perpétuer et en tire profit. Puisqu’il y a un nombre infini de configurations d’oppressions qui s’entrecroisent, la théorie intersectionnelle postule que nous évoluons tous dans une toile d’oppression sans fin dans laquelle chacun opprime et est opprimé. La classe ouvrière devient l’ennemi, plutôt que la classe dominante capitaliste.
Bien qu’il soit évident que les attitudes et les comportements discriminatoires et oppressifs sont véhiculés par les individus et au sein de dynamiques interpersonnelles (et ils doivent être condamnés et combattus par les révolutionnaires), ils ont une origine sociale et historique, et s’enracinent dans les structures de la société de classe. De la même façon, les caractéristiques dominantes favorisées systématiquement dans une société donnée ont aussi connu une évolution historique. Le suprémacisme blanc et le racisme, qui sont des phénomènes intrinsèquement sociaux et structurels, furent développés par les classes dominantes des nations coloniales européennes afin de justifier leurs conquêtes coloniales et l’esclavage, sur lesquels le capitalisme a été bâti. L’oppression des femmes n’a pas toujours existé, mais a émergé avec la division de la société en classes et l’instauration du mariage comme institution de contrôle de la sexualité des femmes ayant pour but d’établir la paternité avec certitude de façon à garantir le legs de la propriété du père à ses enfants. Les attitudes racistes et sexistes reflètent ces processus matériels et sociaux.
Bien que ce soient les individus qui ont des attitudes discriminatoires, et que les comportements qui en découlent peuvent être très nuisibles, ces gestes et mentalités ne profitent en fin de compte qu’à la classe dirigeante exploiteuse. Cependant, le concept de « privilège » est souvent évoqué au sein du mouvement par les adeptes de l’intersectionnalité. Il suggère que ceux qui ne sont pas victimes d’une certaine forme d’oppression ont un intérêt à maintenir cette oppression, ou y contribuent activement en profitant d’avantages personnels indus. Les marxistes s’accordent pour dire que les gens qui vivent plusieurs oppressions superposées se heurtent à des barrières sociales plus importantes et à de la discrimination fondée sur des motifs multiples. Cependant, ce qui est décrit parfois comme des privilèges devrait, selon nous, être considéré comme des droits de la personne dont tous devraient pouvoir profiter de manière égale. Nous devons abolir le système qui stratifie la classe ouvrière et prive les couches opprimées de ces droits, contribuant à notre division en nous forçant à lutter pour les miettes tombées de la table des banquiers et des patrons. Nous disons : « La solution n’est pas de niveler vers le bas et d’être égaux dans notre pauvreté. Nivelons vers le haut, et prenons ce dont nous avons besoin de la classe exploiteuse et oppressive ! »
L’oppression d’un groupe contribue à maintenir le système capitaliste qui nous exploite et nous opprime tous et toutes de différentes façons. Il n’est dans l’intérêt d’aucun travailleur de maintenir la domination ou l’oppression d’un autre groupe. À première vue, il semble que certains travailleurs reçoivent des avantages au détriment des autres et donc profitent de l’oppression des autres. Par exemple, c’est un fait reconnu que les hommes sont mieux rémunérés que les femmes pour un travail égal, et ce partout dans le monde. Cependant, les hommes ne sont pas mieux pas payés parce que les femmes le sont moins, ou vice versa. Il y a plus qu’assez de richesses pour que tout le monde profite d’une hausse de salaire, mais la majorité de la richesse produite par la classe ouvrière est appropriée par la classe dirigeante minoritaire. La classe capitaliste a avantage à sous-payer ou discriminer les travailleuses, les immigrants et les minorités raciales ou de genre, puisque comme nous l’avons déjà expliqué, cela exerce une pression à la baisse sur tous les salaires et force certaines couches de la classe ouvrière à être plus « flexibles » et disponibles pour du travail précaire, à temps partiel.
Les marxistes s'opposent activement à toutes les formes d'oppression. Mais c’est principalement à travers l’expérience concrète de la lutte que les individus vont se transformer, leurs idées se transformant en conséquence. Un travailleur soi-disant « privilégié » qui perpétue des attitudes discriminatoires contribue dans les faits à diminuer son propre salaire de par la compétition des salaires bas des travailleurs opprimés ; cela entretient les profits des patrons et le système capitaliste qui nous exploite et nous opprime tous et toutes. Les travailleurs qui ne vivent pas d’oppressions multiples ont beaucoup plus à perdre à perpétuer l’oppression des autres, puisque cela ne fait que perpétuer leur propre exploitation. Tous les travailleurs ont un monde à gagner en s’unissant dans la lutte pour le socialisme, qui permettrait d’augmenter massivement les conditions de vie de tous. Plutôt que la solidarité de classe, l’intersectionnalité met de l’avant le concept « d’alliés », qui laisse entendre que les différents secteurs de la classe ouvrière et des opprimés ont des intérêts différents et devraient chacun avoir leur organisation séparée. Les marxistes plaident pour une lutte commune fondée sur nos intérêts communs, organisée à travers les partis ouvriers de masse et les syndicats ; une lutte contre toutes les oppressions infligées aux travailleurs et aux travailleuses, et contre l’exploitation de classe – autrement dit, une lutte contre le système capitaliste et tout ce qu’il engendre.
Le danger de la « politique axée sur les privilèges » est qu’elle amène les militants à tenter de convaincre certains secteurs de la classe ouvrière qu’ils ont avantage à opprimer les autres couches de travailleurs, et qu’ils ont donc des intérêts divergents, plutôt que d’expliquer en quoi nous avons tous intérêt à nous unir contre la classe capitaliste. Cela ne peut que favoriser les capitalistes, qui instrumentalisent le racisme, le sexisme et toutes les autres formes d’oppression et de discrimination. Quand les travailleurs « privilégiés » et les opprimés s’unissent contre les patrons et demandent des salaires égaux et de meilleures conditions de travail, la puissance de cette unité permet à tous les secteurs de soutirer davantage à la classe exploiteuse.
Les couches opprimées et discriminées de la classe ouvrière servent également de boucs émissaires à la classe dirigeante. Lorsque le capitalisme est en crise, la classe dirigeante et ses représentants au sein de l’Etat jettent le blâme pour l’impasse sur tel ou tel groupe opprimé ou marginalisé, tentant de nous monter les uns contre les autres. Lorsque les gens luttent pour survivre et qu’aucune solution à gauche n’est offerte, ces idées peuvent s’implanter. Nous l’avons clairement vu lors des récentes élections américaines : lorsque Bernie Sanders a capitulé et soutenu Clinton, Donald Trump a été en mesure de se hisser au pouvoir en attisant les sentiments racistes, misogynes et xénophobes dans une couche de la classe ouvrière qui voyait en Hillary Clinton une représentante du statu quo (ce qu'elle est). Cependant, des sondages indiquaient qu’une part importante de cette couche pourrait être gagnée à une plate-forme de gauche qui s’attaquerait à la « classe des milliardaires » au lieu de cibler les groupes opprimés comme boucs émissaires.
Il s’agit d’un exemple concret de la façon dont les attitudes discriminatoires s’enracinent dans la société de classe et sont renforcées par la pénurie, la pauvreté et la frustration envers le système capitaliste, particulièrement lorsque la gauche n’offre pas d'alternative crédible.
On peut facilement imaginer à quel point ces idées discriminatoires auraient peu d’attrait si tout le monde pouvait profiter d’un haut niveau de vie avec un accès universel à la formation et à l’éducation supérieure, aux garderies, aux soins de santé, au transport, au logement, aux loisirs, à la culture, etc. Il serait difficile de blâmer un groupe en particulier pour les souffrances d’un autre groupe si tout le monde avait un accès égal aux ressources et aux possibilités qui mènent vers un haut niveau de vie. Cependant, cela n’est pas possible sous le capitalisme, qui se base sur la production pour le profit plutôt que les besoins humains. Une lutte de classe unifiée est nécessaire pour unir toutes les couches d’opprimés dans la lutte contre le système capitaliste qui nous exploite et nous opprime tous.
La lutte de classe et la lutte contre l’oppression
Les marxistes s’opposent à la division des gens fondée sur des axes d’oppression distincts et insistent sur la nécessité de l’unité. La lutte d’un groupe opprimé en particulier ne peut être comprise séparément des autres formes d’oppression et du système capitaliste qui les engendre. Bien que les adeptes de l’intersectionnalité s’opposent à l’isolement des gens par axe d’oppression unique, le résultat de leur approche subjectiviste est d’isoler les gens selon un nombre infini de configurations d’oppressions multiples et de privilèges, sans dénominateur commun global. C’est ce que laisse entendre la théoricienne féministe intersectionnelle et professeure Patricia Hill Collins, dans son ouvrage La pensée féministe noire : savoir, conscience et politique de l'empowerment (publié en anglais en 1990), lorsqu’elle affirme que « la matrice de domination générale abrite de multiples groupes, chacun faisant l’objet de pénalités et de privilèges différents donnant lieu à des points de vue partiels correspondants… Aucun groupe n’a un angle de vue clair. Aucun groupe ne possède la théorie ou la méthodologie qui lui permet de découvrir la “vérité” absolue. »
Cette perspective est plutôt pessimiste, nous laissant à nous-mêmes avec nos réalités partielles et subjectives, et rien qui permette d’expliquer les origines des oppressions ou de savoir comment les surmonter une fois pour toutes. C’est un point de vue qui nous mène à l’individualisme et à la simple contemplation plutôt que vers la lutte collective pour transformer la réalité. Le monde existe concrètement, en dehors de nos pensées et de nos sentiments. Notre compréhension du monde est nécessairement partielle et individuelle, mais elle demeure un reflet d’une réalité objective et nos idées sur cette réalité sont constamment mises à l'épreuve dans la pratique. Les relations économiques et sociales qui forment le capitalisme existent objectivement. Si vous n’y croyez pas, cessez de travailler et de payer votre loyer, et voyez ce qui arrivera ! Puisque la majorité d’entre nous vit sous le capitalisme et est exploitée par lui, l'analyse de classe représente le meilleur « angle de vue » et le meilleur outil théorique permettant de nous unir et de nous émanciper.
Tandis que l’intersectionnalité considère toutes les formes d’oppressions comme étant également fondamentales, les marxistes soulignent que la classe est la ligne de démarcation fondamentale dans la société capitaliste. Le mode de production capitaliste est basé essentiellement sur l’extraction de la plus-value sur le dos des travailleurs par les propriétaires des moyens de production, les capitalistes. Cela ne veut pas dire que l’exploitation de classe est la pire forme d’oppression sur le plan des souffrances, ou que la classe ouvrière est en quelque sorte supérieure à d’autres groupes opprimés. Cela veut dire que tant que nous vivrons dans une société où une classe dirigeante parasitaire exploite et opprime la majorité, aucun groupe opprimé ne pourra être véritablement émancipé, puisqu’une inégalité systémique existera toujours. Un représentant de la classe dirigeante minoritaire, quel que soit son genre, sa race ou son orientation sexuelle, va finir par servir les intérêts de sa classe, une classe qui s’appuie sur la division et l’oppression de la majorité d’entre nous.
Les profits massifs accumulés par la classe capitaliste représentent le travail non payé de la classe ouvrière, qui n’est pas rémunérée pour la pleine valeur de son travail. C’est ce que les marxistes entendent lorsqu’ils parlent de l’exploitation de classe — à ne pas confondre avec le « classisme », qui fait référence à la discrimination des pauvres perçus comme faisant partie d’une classe inférieure, plutôt qu’à un rapport économique. Tandis que les marxistes reconnaissent le rôle important de la discrimination et de l’oppression dans le maintien du système capitaliste, la réalité économique de l’exploitation met les travailleurs dans une position unique leur permettant de renverser le système, puisqu’ils sont ceux qui produisent toute la richesse de la société. De plus, bien que ce ne soient pas tous les travailleurs qui vivent des oppressions superposées, la vaste majorité des opprimés sont exploités en tant que travailleurs ou bien déclassés, au chômage ou soumis à l’esclavage moderne. Cela fait de l’exploitation de classe le facteur d’unité de tous les opprimés. La classe ouvrière englobe la vaste majorité des couches opprimées de la société et c’est précisément la lutte de classe qui peut unir toutes les couches d’opprimés contre notre ennemi commun, la classe exploiteuse, et, dans ce processus, détruire les attitudes discriminatoires.
Malheureusement, la plupart des dirigeants des mouvements étudiant et ouvrier ont échoué à organiser une lutte de classe militante pouvant unir tous les opprimés. En même temps, ces mêmes bureaucraties ont souvent adopté le langage intersectionnel pour masquer le fait qu’ils ne luttent aucunement pour des réformes sérieuses pour améliorer la vie des étudiants et des travailleurs. Les politiques symboliques comme la parité hommes-femmes et autres quotas fondés sur l’identité sont appliqués sans considération pour le point de vue de classe ou les orientations politiques des individus. En réalité, ces politiques n’ont pour résultat que de remettre quelques positions avantageuses à une poignée de bureaucrates qui refusent de s’engager dans la mobilisation en vue d’une lutte pour des conditions qui permettraient d’atténuer l’oppression et l’exploitation pour la majorité de la société. La classe dirigeante utilise des méthodes semblables pour tenter d’apaiser les opprimés tout en laissant son système d’exploitation entièrement intact. Pour s'en convaincre, il n’y a qu’à regarder les sites web des grandes banques, où elles se vantent de la diversité de leurs employés. La représentation des groupes opprimés au sein des banques et des grandes entreprises ne change pas la réalité de la majorité des couches opprimées de la classe ouvrière ; si l’on ne change pas les conditions matérielles qui engendrent l’oppression, une meilleure représentation des groupes opprimés dans nos syndicats étudiants et ouvriers, seule, n’entraînera pas de changement non plus.
L’idée derrière la « représentation » est que si seulement davantage d’individus opprimés occupaient des postes de direction (en tant que représentants au sein des organisations étudiantes et ouvrières, en politique électorale, en tant que PDG ou administrateurs de sociétés dans le secteur privé), cela aiderait à éradiquer ou à atténuer leur oppression. Or il est important de comprendre que les groupes opprimés ne sont pas opprimés parce qu’ils sont sous-représentés ; ils sont sous-représentés en raison d’une oppression systémique qui crée des obstacles à leur participation dans la vie publique et dans la politique. La meilleure façon d’atteindre une représentation véritable des groupes opprimés au sein du mouvement est de construire des organisations combatives qui peuvent effectivement commencer à éliminer ces obstacles à travers la lutte pour mettre fin à ces oppressions. Cela permettrait d’enthousiasmer de larges couches de groupes historiquement marginalisés et opprimés, et cela les inciterait à s’unir et à chercher à surmonter les obstacles systémiques qui ont miné leur participation. Une telle lutte encouragera le développement d’une authentique direction venue d’en bas, plutôt que des mesures symboliques venues du haut. Le socialisme vise précisément à entraîner toutes les couches d’exploités et d’opprimés dans la lutte pour un monde meilleur. Nos représentants doivent être élus pour leurs idées politiques et leur capacité à mener une véritable lutte.
L’élection de femmes comme Margaret Thatcher, Angela Merkel, Theresa May ou Hillary Clinton aux plus hautes fonctions politiques n’a pas fait avancer la cause de l’émancipation des femmes, et les révolutionnaires ont activement fait campagne contre elles, et continuent de le faire. La même chose peut être observée avec la directrice du FMI, Christine Lagarde, un exemple parmi tant d’autres. De la même manière, les conditions de vie des Américains noirs ont continué à décliner sous Obama. En tant que révolutionnaires, nous appuierions un politicien de gauche contre toutes ces personnes, indépendamment de leur orientation sexuelle, leur genre, leur race ou leur origine ethnique. La représentation est un outil puissant dans les mains de la classe dirigeante, qui l’utilise pour encourager les gens à soutenir des dirigeants qui représentent les intérêts du capitalisme simplement en raison de leur race, orientation sexuelle, genre, etc., plutôt que de leurs intérêts de classe.
Les membres de la classe dirigeante comme Hillary Clinton ont même adopté le langage de l’intersectionnalité pour obtenir des appuis. Crenshaw et d’autres adeptes de l’intersectionnalité ont condamné cet opportunisme, ce qui est à leur honneur, et ont souligné qu’étant donné que la catégorie « femme » n’est pas homogène, Hillary ne représente pas les intérêts de toutes les femmes, à cause de ses politiques impérialistes. Cependant, le fait que l’intersectionnalité ne s’attaque pas à la racine de l’oppression signifie qu’en fin de compte, elle ne constitue pas une menace pour la classe capitaliste et ses alliés réformistes, et c’est pourquoi ils peuvent si facilement adopter son langage afin de se donner une image progressiste. Souligner le fait qu’il y a différentes formes d’oppression qui s’entrecoupent ne menace pas la classe dirigeante, tant que l’on évite la question de savoir pourquoi et dans l’intérêt de qui ces oppressions existent. Il y a bien une raison pour laquelle les Hillary Clinton de ce monde n’adoptent pas un discours marxiste soulignant la nécessité pour les couches opprimées de s’unir dans la lutte de classe et de renverser le capitalisme !
Réforme ou révolution ?
Cela veut-il dire que les marxistes affirment que les individus ou les groupes qui subissent de multiples couches d’oppression devraient mettre leurs luttes en veilleuse au nom de la lutte de classe, et que rien ne peut être fait pour combattre ou atténuer l’oppression d’ici l’avènement de la révolution socialiste ? Non, pas du tout. Les marxistes s’opposent fermement à toutes les formes d’oppression et de discrimination ici et maintenant, et se battent bec et ongles contre les attitudes discriminatoires et qui sèment la division au sein du mouvement, puisqu’elles ne peuvent que profiter à la classe capitaliste. Les marxistes vont plus loin et soulignent que nous ne pouvons pas changer les idées à une échelle massive sans éliminer leur base matérielle, c’est-à-dire la pénurie et la compétition. C’est pourquoi – entre autres raisons – les marxistes participent à la lutte quotidienne pour les réformes et lient cette lutte à la nécessité du socialisme.
Puisque les réformes ne sont jamais données de plein gré et sans lutte par la classe dirigeante, la meilleure façon de gagner des réformes est à travers l’action de masse militante venue du bas qui inspire la peur de la révolution aux patrons et aux politiciens. La lutte contre l’oppression et pour toute réforme qui permet de l’atténuer ne devrait pas reposer seulement sur les épaules du groupe qui vit telles oppression ou discrimination particulière, mais doit impliquer l’ensemble de la classe ouvrière et tous les groupes opprimés. Les hommes et les travailleurs hétérosexuels ont un intérêt direct à défendre les droits des femmes et des personnes LGBT, les travailleurs blancs doivent se joindre à la lutte contre le racisme, et ainsi de suite. Notre force réside dans notre unité, et une victoire pour une couche de la classe ouvrière est une victoire pour toute la classe et pour tous les opprimés.
C’est à travers la lutte de classe unie que les masses commencent à constater leur force et à voir les limites de ce que le capitalisme peut leur offrir en améliorations de leurs conditions de vie. Si nous regardons autour du monde aujourd’hui, il est clair que les nouvelles réformes ne constituent pas la norme. Au contraire, les travailleurs et les opprimés doivent partout se battre pour conserver les droits de la personne et avantages sociaux très élémentaires gagnés lors de la période précédente. Donc, tandis que nous luttons pour des réformes qui atténueraient l’oppression et amélioreraient les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, nous expliquons qu’aucune réforme ne peut être consolidée sous le capitalisme en crise. Afin de gagner des améliorations permanentes, nous devons les combiner à une lutte pour la transformation socialiste de la société.
Lorsque les profits sont menacés et que le capitalisme entre en crise, les patrons, les banquiers et leurs amis au sein de l’Etat n’hésitent pas à reprendre ce que nous avons autrefois gagné par la lutte. Cela tend aussi à mener à une montée du racisme et d’autres formes de préjugés, les populistes de droite et une section des médias pointant du doigt certains groupes opprimés et leur faisant porter le blâme pour les coupes et des mesures d’austérité. La seule façon de défendre les conquêtes du passé, de lutter contre les attitudes oppressives aujourd’hui et d’avancer vers une société véritablement égalitaire est de mettre fin à la production pour le profit afin que les vastes richesses et ressources qui existent puissent être utilisées démocratiquement dans l’intérêt de la majorité.
La transformation révolutionnaire de la société
Cela ne signifie pas que les attitudes discriminatoires vont disparaître du jour au lendemain suite à une révolution socialiste. L’oppression sous toutes ses formes existe depuis des générations et dans certains cas depuis des milliers d’années, laissant une profonde marque sur la conscience humaine. Cependant, les mouvements de masse ont un impact profond sur la conscience. Les gens qui y participent commencent à voir les points communs qui les unissent les uns aux autres, plutôt que de voir ce qui les divise et de se considérer comme des concurrents. Il est beaucoup plus difficile de garder ses attitudes discriminatoires envers les femmes, les immigrés ou les individus LGBT lorsque ceux-ci sont dans les rues en train de se battre pour la même chose que soi. Lors de grèves, il devient clair pour les travailleurs qu’ils n’ont aucun intérêt à se discriminer entre eux, puisque cela ne peut que nuire à la grève. Lors d’un mouvement de masse, les participants en arrivent à cette prise de conscience à une échelle massive.
Un récent et puissant exemple est celui de la révolution égyptienne de 2011 qui a renversé Hosni Moubarak. Alors que les femmes d’Égypte ont historiquement été victimes de hauts taux de discrimination et de violence et que musulmans et catholiques sont pris dans un violent conflit depuis des décennies, des hommes et des femmes de toutes les religions sont descendus à la Place Tahrir. Les mentalités discriminatoires et fondées sur des stéréotypes à l’égard des groupes opprimés se sont effondrées à travers la lutte contre l’oppresseur commun. Bien que la révolution égyptienne n’ait pas encore renversé le capitalisme, il s’agit d’un aperçu de ce qui peut se généraliser à une grande échelle à travers une révolution socialiste et un effort collectif pour construire une nouvelle société.
En transformant radicalement les fondations sociales et économiques de la société sur des lignes socialistes, les racines structurelles et économiques de l’oppression seraient éradiquées. Sans une classe exploiteuse minoritaire produisant pour le profit, il n’existerait pas de motif social ou matériel à la division et la stratification de la majorité selon le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, les compétences, la race, la langue, la religion ou toute autre catégorie. Lorsque nous ne serons plus forcés de rivaliser pour des emplois, l’éducation, les places en garderie, la nourriture, l’eau et les logements abordables, les rapports sociaux changeront de manière fondamentale.
Des dirigeants démocratiquement élus et redevables sur nos lieux de travail, en plus d’un contrôle démocratique sur le processus d’embauche, peuvent prévenir les pratiques discriminatoires sur les lieux de travail. La propriété et le contrôle démocratiques des médias et des institutions d’éducation contribueront grandement à combattre les mentalités discriminatoires dans la société et assureront que la magnifique diversité chez l’être humain soit à la fois enseignée et célébrée. Un changement des fondements socio-économiques de la société permettrait une profonde transformation de la vision du monde et des mentalités des masses.
Les marxistes sont souvent accusés d’avoir une solution toute faite, de haut en bas, qui convient pour tous. En réalité, la révolution socialiste, c’est le fait pour les masses ordinaires de prendre leur destinée en mains et de construire pour elles-mêmes une nouvelle société. Les marxistes veulent orienter les masses vers le renversement du capitalisme et l’établissement d’une société socialiste, créant ainsi les fondements économiques et sociaux où l’inégalité, l’oppression et l’exploitation n’auront plus de base matérielle. Sur cette base, les groupes historiquement opprimés auront les occasions et les ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins uniques issus de générations d’oppression et de discrimination. Sur la base d’une authentique égalité sociale, les gens peuvent commencer à entrer en relation les uns avec les autres sur une base authentiquement humaine ; à travers la construction d’une nouvelle société, une nouvelle conscience collective sera rendue possible.