« Nos profits valent plus que leurs vies ! » : ce détournement d’un célèbre slogan anticapitaliste est le véritable credo du patronat français. Les travailleurs subissent au quotidien une dégradation de leurs conditions de vie et de travail. La précarisation de l’emploi et le chômage de masse font planer sur chaque foyer populaire la menace de sombrer dans la misère. Les inégalités ont atteint des niveaux inédits. La richesse s’entasse dans les coffres d’une minorité tandis que l’immense majorité s’appauvrit. Mais l’ogre patronal ne pousse qu’un seul cri : « J’en veux encore plus ! » – « Tout de suite ! », lui répond le gouvernement.
Temps de travail
Le projet de loi Travail de la ministre El Khomri contient plusieurs reculs d’une gravité exceptionnelle en matière de droits des salariés. Sur la durée du travail, la loi fait descendre encore d’un échelon la protection des salariés. Avant 2004, le montant des heures supplémentaires et la durée maximale du temps de travail étaient garantis par la loi. Quelle que soit leur entreprise, tous les salariés bénéficiaient des mêmes garanties. Mais depuis les lois Fillon de 2004 et 2008, la convention collective de branche peut déroger à cette protection ; les entreprises d’une même branche sont alors toutes tenues d’appliquer la convention. C’était un premier recul majeur. A présent, le projet de loi prévoit qu’un simple accord d’entreprise permettra de travailler jusqu’à 12 heures par jour et jusqu’à 46 heures par semaine, en moyenne. A l’heure où le chômage est très élevé et où le chantage à l’emploi bat son plein, Myriam El Khomri laisse les salariés de chaque entreprise affronter seuls leur patron.
Licenciement et indemnités
La protection du salarié face au licenciement est également remise en cause. Ainsi, le travailleur qui refusera de voir sa rémunération baisser suite à un « accord de développement de l’emploi » pourra être licencié pour motif personnel et ne bénéficiera donc plus des avantages liés à un licenciement économique. Pire : le plafonnement des indemnités prud’homme en cas de licenciement abusif, qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel dans la loi Macron, fait son grand retour. Désormais, le patron qui veut enfreindre la loi saura précisément combien il va lui en coûter, au maximum. Il n’aura plus à s’inquiéter du pouvoir du juge. Tout cela, bien sûr, au nom de la lutte contre le chômage !
Chantage patronal
Il arrive que la direction d’une entreprise soit confrontée à des syndicats majoritaires qui refusent de céder au chantage à l’emploi. Alors, la loi El Khomri prévoit de contourner ce « problème » : même s’ils sont minoritaires, des syndicats pourront convoquer un référendum pour faire adopter l’accord, avec le soutien du patron. La loi ne dit pas comment protéger ces référendums du chantage patronal.
Notons enfin l’affaiblissement de la médecine du travail, où la visite auprès d’un médecin pourra être remplacée par un simple entretien infirmier. Après avoir travaillé 46 heures par semaine et 12 heures par jour, qui pourrait avoir besoin de voir un médecin, franchement ?
Le projet de loi contient d’autres mesures scandaleuses. Nous y reviendrons plus longuement sur notre site internet (www.marxiste.org).
Pas un seul emploi créé
Pour « lutter contre le chômage », Hollande et compagnie ont donné tant et plus aux patrons, depuis 2012. En quatre ans, la fortune des plus riches a doublé [1], mais le chômage continue d’augmenter. A présent, le grand patronat réclame la destruction des droits collectifs des salariés. Si on les supprime, promis, cette fois, ils embaucheront. Qui est assez naïf pour le croire ? Comme le dit le proverbe : « Si vous me trompez une fois, honte à vous ; si vous me trompez deux fois, honte à moi ! »
Ces contre-réformes drastiques ne créeront pas un seul emploi. Si son carnet de commandes est vide, un patron n’embauchera pas. Le seul objectif de cette loi est de nourrir la voracité sans limites des capitalistes en leur permettant d’accroître toujours plus l’exploitation des salariés.
Mobilisation !
Les travailleurs et les étudiants sont déterminés à ne pas se laisser faire. A l’heure où ces lignes sont écrites, la pétition « loi travail : non merci ! », lancée par un collectif de syndicalistes et de personnalités, atteint le million de signatures. Dans différentes couches de la population, la mobilisation s’organise avec énergie, comme en témoigne l’appel « On vaut mieux que ça ! » lancé par un collectif de vidéastes sur Youtube. Les organisations de jeunesse ont immédiatement appelé à une grande journée d’action le 9 mars. Elles réclament le retrait pur et simple du projet de loi. Les universités sont en ébullition.
La lenteur et la modération des directions syndicales ont offert un contraste frappant avec la volonté d’en découdre de la jeunesse. Le 23 février, une intersyndicale nationale publiait un communiqué ne réclamant pas le retrait du texte et proposant… une nouvelle réunion le 3 mars.
Ce communiqué constituait un alignement vers le bas sur la ligne capitularde de la CFDT, de la CFTC, de la CFE-CGC et de l’UNSA. C’est la mobilisation à la base, à l’intérieur et à l’extérieur des syndicats, qui a permis aux autres centrales syndicales de sortir de cette ornière. Une fois de plus, la direction de la CGT a été poussée sur la gauche par sa base. Après le 23 février, quelques syndicats CGT locaux ou nationaux ont commencé à lancer des mots d’ordre de manifestation et de grève pour le 9 mars. De plus en plus nombreux chaque jour, ils ont finalement été rejoints par quelques grandes fédérations, dont celle de la fonction publique (l’UGFF), avant que la confédération n’appelle finalement à participer au 9 mars – mais sans appeler formellement à la grève.
Un potentiel immense
Le potentiel de mobilisation des travailleurs et des étudiants est immense. Dans les entreprises et les universités, la colère gronde contre la dégradation sans fin des conditions de vie, de travail et d’étude que les « réformes » des gouvernements UMP ou PS ont imposées au plus grand nombre. Le mouvement contre le CPE, en 2006, est dans toutes les têtes. Cette situation a beaucoup joué dans la décision du gouvernement de repousser l’examen du projet de loi du 9 au 24 mars. Mais ce n’est pas la seule raison. Pour le gouvernement, c’est aussi un repli tactique permettant de gagner du temps pour négocier les reculs sociaux avec les syndicats capitulards.
Outre une déclaration séparée dans laquelle les centrales CFDT, CFE-CGC, CFTC et UNSA annoncent qu’elles sont prêtes à approuver la loi en échange de quelques concessions, cette intersyndicale de la capitulation appelle à une mobilisation séparée le 12 mars, en complet décalage avec la dynamique enclenchée autour du 9 mars ! Ce faisant, et en refusant de réclamer le retrait pur et simple du projet de loi, ces organisations plantent un poignard dans le dos de ceux qu’elles sont censées défendre.
Montée en puissance
Les syndicats CGT, FO, FSU, Solidair-e-s et les organisations de jeunesse UNEF, UNL et FIDL appellent à la mobilisation le 9 mars et à une grève interprofessionnelle le 31 mars. Mais il peut se passer beaucoup de choses entre ces deux dates. Selon le niveau de la mobilisation du 9 mars et des jours qui suivent, il pourrait être indispensable d’avancer la date de la grève interprofessionnelle. Par ailleurs, l’expérience des dernières grandes mobilisations – à commencer par celle de l’automne 2010 – prouve que la stratégie des « journées d’action » sans lendemain, même massives, n’est pas suffisante pour faire reculer le gouvernement, en particulier dans le contexte d’une crise profonde du capitalisme. La responsabilité des directions syndicales est donc de préparer dès à présent, avec énergie, un mouvement de grève reconductible, dans le but de paralyser durablement l’économie.
L’intersyndicale réunie autour de la CGT doit aussi clarifier son attitude à l’égard du projet. La direction de la CGT affirme qu’« il faut partir sur de véritables négociations, pas que sur des réécritures d’articles. » Mais qu’y a-t-il à négocier, dans ce projet de loi dont chaque article est un recul ? Rien ! Il faut lutter pour son retrait pur et simple. Il faut rejeter la manœuvre des « négociations » avec un gouvernement uniquement disposé à « négocier » la régression sociale.
[1] Challenges du 9 juillet au 26 août, numéro spécial Fortunes de France, cité par lebilan.fr