Les négociations diplomatiques entre l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France viennent de déboucher sur un accord de cessez-le-feu difficilement applicable sur le terrain. Nous reviendrons sur cet accord et sur les différents intérêts impérialistes à l’œuvre dans un prochain article. Pour le moment nous choisissons de publier cet article écrit le 2 février dernier, qui fait le point sur la situation militaire et politique en Ukraine même.
Le mois de janvier a été parmi les plus violents et lourds pour la population du Donbass.
Treize victimes à Donetsk la semaine dernière, douze morts et vingt blessés il y a deux semaines dans Volnovakha ; dans les deux attentats, des autobus ont été pris pour cible dans le centre-ville.
La dernière nouvelle tragique est le massacre de Marioupol. Dans la ville portuaire d’un peu moins de 500 000 âmes dans l'Oblast de Donetsk, le bombardement d’un marché a causé la mort de vingt personnes et plus d'une centaine de blessés.
Il ne s'agit jamais d’objectifs aléatoires. Dans le cas précis des incidents de Marioupol et Volnovakha, il faut reconnaître que la responsabilité - de l'armée ukrainienne ou des rebelles - n'est pas clairement identifiée à ce jour. Mais nous pouvons déjà établir un bilan de la stratégie militaire de « l'Opération Anti-Terroriste » ukrainienne : les marchés, les moyens de transport public et leurs arrêts sont devenus les principales cibles de l'artillerie de l'armée ukrainienne, ainsi que les maisons, les hôpitaux, les écoles et les crèches.
Kiev de nouveau à l'offensive
Le gouvernement de Kiev se montre incapable de vaincre des insurgés prêts à sacrifier leur vie pour défendre l'indépendance de leur territoire. Désormais, l’armée ukrainienne recourt principalement aux bombardements et aux attentats terroristes dans les zones résidentielles. Le président Porochenko a commencé l'année en lançant une nouvelle offensive vers les républiques rebelles, fort de 100 000 soldats supplémentaires en ayant à nouveau recours à la conscription. Il est entièrement soutenu dans cette action par les gouvernements des États-Unis et de l'Union Européenne. Bruxelles a récemment réaffirmé sa position unilatérale et a renouvelé les sanctions contre la Russie.
Tout cela n’a pas servi à grand-chose. L'armée des Républiques du Donbass progresse de façon significative vers Marioupol, dont la prise serait une vraie humiliation pour Porochenko et les siens.
Dans ce contexte de guerre civile, l'Ukraine vit un processus aussi vivant que contradictoire. En effet, aux forces de droite et aux fascistes s'opposent la résistance et la lutte de classe.
Ainsi, dans les régions gouvernées par Kiev, la « terreur blanche » continue, souvent protégée et promue par les institutions elles-mêmes. Par exemple, au moment même où le Président ukrainien Porochenko défilait le 11 janvier à Paris en compagnie des puissants du monde entier pour la défense de la « liberté d'expression », des gangs fascistes attaquaient et détruisaient dans la région de Svyatosjinskiy le siège local du Parti communiste. En outre, le parlement à Kiev discute dans le même temps de l’interdiction du Parti communiste et de l’interdiction de « l'idéologie communiste » dans tout le pays. Voilà jusqu’où peut aller l'hypocrisie de la classe dominante !
Par ailleurs, le 1er janvier, les nationalistes ukrainiens organisaient une grande marche aux flambeaux dans les rues de Kiev. Ils célébraient le 106e anniversaire de la naissance, le 1er janvier 1909, du chef de la soi-disant « Armée ukrainienne insurrectionnelle » (U.P.A.), Stepan Bandera. Ce dernier s'était rangé du côté des nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Il perpétra, avec les SS allemands, des crimes contre ses propres concitoyens, des Juifs pour la plupart.
Le chef de l'organisation d’extrême droite « Svoboda », Oleg Tjagnibok, a saisi l'occasion pour exiger du gouvernement qu’il restitue à Bandera le titre de « Héros de l'Ukraine » et que soit reconnue officiellement « l'Organisation des nationalistes ukrainiens » (O.U.N.) qu'il avait créée. « Svoboda » n’était pas seule à cette manifestation à Kiev : des représentants de « Pravyj Sektor » (le Secteur Droit, organisation fasciste) et du bataillon néo-nazi « Azov » étaient présents, en tenue militaire et avec des banderoles nostalgiques de l'UPA et de l'OUN.
Les fascistes ne se contentent pas de manifester. Le 15 décembre dernier, ces formations ont bloqué le convoi humanitaire dirigé vers le Donbass, où plane effectivement une grave menace de catastrophe humanitaire. Le 23 décembre, le bataillon « Azov » déclarait vouloir prendre le contrôle du port de Marioupol.
La situation dans les républiques rebelles.
Des processus contradictoires se produisent aussi dans les républiques rebelles. Par exemple, début janvier, il a été diffusé la nouvelle de l'enlèvement de quatre militants de Borotba [« La lutte », organisation marxiste ukrainienne]. Les quatre militants ont été arrêtés en réalité entre Noël et le réveillon, par le Bataillon Vostok. Quelques jours plus tard, les quatre militants enlevés et enfermés pendant deux semaines sont finalement libérés et simultanément expulsés de la République de Donetsk. Depuis cet épisode, Borotba ne peut plus entrer dans les républiques de Donetsk et de Lougansk, même si les militants ne sont certainement disposés à capituler.
L'expulsion des militants de Borotba est encore un autre épisode qui devrait nous amener à faire quelques considérations sur les perspectives pour les républiques du Donbass. Nous avons toujours soutenu la résistance antifasciste des républiques rebelles et nous avons donné une grande importance au contenu de classe à l’origine de cette résistance. Il est clair cependant que nous assistons à une tentative de réduire au silence les forces de gauche dans les républiques elles-mêmes. Rappelons, par exemple, l’impossibilité pour le Parti communiste de présenter une liste dans les élections du 2 novembre, toujours dans le Donbass et Lougansk – en raison, selon les autorités, « de problèmes de procédure ».
Par ailleurs, le conflit prend de plus en plus les caractéristiques d'une confrontation purement militaire, où l'aspect politique et anti-oligarchique de la lutte est éclipsé. Dans les républiques populaires, en effet, de nombreux bataillons fonctionnent selon leurs propres objectifs, ambigus et souvent liés au nationalisme russe le plus réactionnaire. Dans une telle situation, les militaires à Donetsk et Lougansk acquièrent de plus en plus de pouvoir, tandis que les forces anticapitalistes sont de plus en plus étouffées. Ce fait est également mis en évidence par le fait qu’aucune des promesses de nationalisation faites jusqu'à aujourd'hui n’a été respectée.
L’orientation politique de la résistance n'est pas sans importance, au contraire. L’application d’un programme anti-oligarchique et un appel aux travailleurs du reste de l'Ukraine pourraient être d’une grande efficacité. C’est particulièrement vrai en ce moment précis où la crise du gouvernement de Kiev s'aggrave. Une défaite ukrainienne dans cette nouvelle offensive militaire pourrait conduire à des manifestations de masse. Des rassemblements importants ont déjà eu lieu au cours des derniers jours dans plusieurs régions de l'ouest de l'Ukraine, contre le recours à la conscription par le gouvernement. Depuis le 20 janvier, seuls 62 % des conscrits ont répondu à la lettre d'obligation !
La crise économique, l’austérité et la guerre entrainent une radicalisation politique qui gagne la classe ouvrière du reste de l’Ukraine. Une grève spontanée a par exemple été organisée en janvier par les travailleurs de l’usine géante « Yuzhmasch » à Dnipropetrovsk. Pendant des mois, les salaires n’ont pas été payés. Ceci s’explique par le fait qu’une grande partie de la production de composants de haute technologie était dirigée précédemment vers le marché russe. Or, du fait de la guerre, les exportations sont désormais bloquées et les installations restent au repos.
Ainsi, c’est bien la lutte de classe qui reprend : là réside la seule force qui peut modifier complètement l'équilibre des pouvoirs, le seul mouvement réel qui peut faire gagner le combat contre les fascistes et leurs protecteurs, les oligarques de toutes nationalités. Depuis le départ, nous avons défendu l'idée selon laquelle le seul moyen par lequel le mouvement anti-Maïdan pouvait être victorieux était l'adoption d'un point de vue de classe clair et cohérent, plutôt que nationaliste.
Compte tenu de la situation de crise de régime à Kiev, la possibilité pour les républiques de l'Est de se connecter à un mouvement de masse à l'Ouest peut devenir une réalité, à condition d’abandonner l’actuelle position nationaliste. Ne laissons donc pas se faire étouffer ces forces militantes qui, en opposition ouverte au capitalisme au sein des républiques, défendent un programme clairement anti-oligarchique et se battent pour donner une orientation socialiste à la lutte ! Que soient appliquées des mesures audacieuses d'expropriation des capitalistes qui puissent inspirer dans le reste de l'Ukraine l’inévitable mouvement de masse contre l'austérité imposée par le FMI et contre la guerre !