L’affaire des « viols de Mazan » a suscité une puissante vague d’indignation et de colère. Le procès, dont Gisèle Pelicot a souhaité la plus large publicité, révèle tous les détails sordides de l’entreprise criminelle à laquelle ont participé les 51 accusés, dont le mari de la victime, Dominique Pelicot. Les preuves sont d’autant plus accablantes que les viols – près d’une centaine, au total – ont souvent été filmés et les vidéos conservées.

Les divers types de violences faites aux femmes sont l’un des aspects de l’oppression générale dont elles sont victimes depuis des milliers d’années – c’est-à-dire depuis l’émergence des sociétés de classes, il y a quelque 10 000 ans. Après cette « grande défaite historique du sexe féminin », selon la formule d’Engels [1], les violences sexuelles ont été tolérées, passées sous silence, voire encouragées par les classes dirigeantes. De nos jours, même si beaucoup de pays proscrivent officiellement ces violences et prévoient – sur le papier – de lourdes peines contre leurs auteurs, de très nombreuses femmes y sont toujours confrontées.

Rappelons qu’en France, pays qui passe pour « civilisé », plus de 200 000 femmes sont victimes de violences sexuelles, chaque année. Plus de 14 % des femmes interrogées ont déjà subi au moins un viol ou une agression sexuelle. En outre, les femmes sont en butte à un système policier et judiciaire profondément sexiste, de sorte que 6 % des victimes de viol ou d’agression sexuelle portent plainte. Seul 0,6 % de ces actes donnent lieu à une condamnation.

Barbarie systémique

L’affaire Pelicot n’est pas seulement un exemple extrême, effroyable, d’un phénomène bien plus large ; elle est aussi, dans tous ses aspects, la confirmation de la profondeur de ses racines sociales et institutionnelles.

Ce qui frappe, d’emblée, c’est la facilité avec laquelle Dominique Pelicot a impunément « recruté » les hommes auxquels il a livré, pendant dix ans, le corps de sa femme droguée et inconsciente. Sa proposition criminelle, clairement formulée sur internet, a trouvé de nombreuses réponses positives à l’échelle régionale ; elle a aussi bénéficié du silence complice de tous ceux qui l’ont déclinée. La grande diversité des profils des accusés confirme que nous n’avons pas affaire à une barbarie marginale, grouillant aux confins d’une société qui en serait globalement protégée. Non : le martyre de Gisèle Pelicot est organiquement lié à un ordre économique et social qui nourrit en permanence le terreau des violences faites aux femmes, qu’elles soient sexuelles ou non.

Des années durant, les divers médecins consultés par Gisèle Pelicot n’ont pas soupçonné la signification des lourds symptômes dont son corps et son esprit étaient marqués, sous les assauts des viols et des fortes doses d’anxiolytiques. L’hypothèse de violences sexuelles dans un contexte de soumission chimique n’a jamais été envisagée, de sorte qu’aucun test n’a été prescrit et qu’aucune recherche n’a été engagée dans cette direction. D’un autre côté, au fil des années, Dominique Pelicot a pu se procurer 780 comprimés d’anxiolytique via son médecin traitant, et ce sans solide raison médicale. Cette défaillance dépasse très largement la responsabilité des médecins en question. Ce qu’ils n’ont pas envisagé, c’est précisément ce que la classe dirigeante et ses institutions – à commencer par sa police et sa Justice – refusent obstinément de prendre au sérieux, quand elles ne s’efforcent pas de le cacher ou de le minimiser.

Capitalisme et oppressions

On ne peut accorder aucune confiance aux politiciens bourgeois qui ont profité de cette affaire pour afficher bruyamment leur vertueuse « indignation » et leur « détermination » à s’attaquer au problème. Leur hypocrisie est monumentale. Par exemple, dans la mesure où ils (et elles) défendent des contre-réformes et des politiques d’austérité drastiques, ils (et elles) fragilisent sans cesse la dépendance matérielle de millions de femmes à l’égard de leur conjoint – et donc aggravent leur exposition à toutes sortes de violences, y compris sexuelles.

De manière générale, non seulement la bourgeoisie et ses politiciens sont incapables de s’attaquer à l’oppression des femmes, mais celle-ci ne cesse de s’aggraver sous l’impact de leurs politiques réactionnaires et de la crise du capitalisme. Par ailleurs, les profiteurs de ce système ont objectivement intérêt à renforcer toutes les formes d’oppression. En alimentant les préjugés et les comportements sexistes, homophobes, transphobes et racistes, ils cherchent notamment à diviser et paralyser la lutte des travailleurs pour la défense de leurs intérêts de classe.

L’affaire Pelicot a suscité l’indignation sincère – elle – de millions de femmes et d’hommes qui aspirent vraiment à une société dans laquelle une telle barbarie serait impossible. L’expérience de la lutte des classes et de l’impasse du réformisme finira par les convaincre que ce fléau social, comme tous les autres, n’a pas de solution sur la base du capitalisme. Il faudra renverser ce système et réorganiser la société sur des bases socialistes : toute autre perspective est un mensonge ou une illusion.

 


 

[1] Dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat.