L’oppression des femmes est révoltante. Elle pousse de nombreuses personnes – hommes et femmes – dans la lutte. Mais pour y mettre fin, il faut commencer par comprendre son origine, qui n’est ni « culturelle », ni « biologique ».
Les marxistes se sont toujours intéressés à cette question. Après de longues recherches, Friedrich Engels a produit une œuvre magistrale : L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat. Il y démontrait que l’origine de l’oppression des femmes était directement liée à l’émergence des sociétés de classes. C’est cette conclusion générale, confirmée depuis par des décennies de recherches archéologiques et anthropologiques, que nous allons exposer ici à grands traits.
Le communisme primitif
Jusqu’au néolithique, mais aussi très récemment dans certaines parties du monde, les êtres humains ont vécu dans des sociétés que les marxistes désignent sous le nom de « communisme primitif ». Le très faible niveau de développement des forces productives – qui se résumaient plus ou moins à la chasse et à la cueillette – rendait indispensable l’égale participation de tous à la production de nourriture et d’autres ressources.
Cette participation s’organisait notamment sur la base des nécessités liées à la grossesse et à l’allaitement : la chasse était majoritairement la tâche des hommes, l’entretien du foyer et la cueillette celles des femmes. Cette séparation, cependant, n’était pas stricte et ne s’accompagnait pas d’une inégalité sociale particulière, car la part des hommes et des femmes à l’approvisionnement était alors assez équilibrée.
Ces sociétés sans classes ni Etat étaient aussi marquées par une relative liberté sexuelle. La seule filiation sûre était par la mère ; la transmission des maigres possessions d’un individu se faisait donc par voie « matrilinéaire », à travers la famille de la mère.
La naissance des sociétés de classes
Tout commença à changer avec le néolithique, il y a environ 10 000 ans. L’apparition de l’élevage et de l’agriculture a permis la production d’un surplus de nourriture et de ressources, mais aussi l’appropriation par une minorité de la population des moyens de produire ce surplus. C’est la naissance de la propriété privée des moyens de production, qui débouche sur l’apparition de classes sociales, mais aussi sur l’oppression des femmes.
L’élevage et l’agriculture étaient à l’origine une évolution de la chasse ; elles se sont développées principalement comme des activités masculines, ce qui a fait basculer l’équilibre entre hommes et femmes dans la production, au profit des premiers. Parallèlement, la question s’est posée, pour les propriétaires, de transmettre leurs biens dans leur propre famille, et non dans celle de leur femme. La filiation matrilinéaire a donc cédé la place à une filiation patrilinéaire.
Pour être sûrs de léguer leurs biens à leurs fils et non à ceux du voisin, les hommes ont mis fin à la relative liberté sexuelle et sociale dont bénéficiaient les femmes jusqu’alors. Ils leur ont imposé une stricte monogamie et les ont reléguées dans la sphère domestique, qui devenait privée, familiale. Dans de nombreuses sociétés, comme la Grèce antique avec son « gynécée », cela a pris la forme d’un enfermement dans une partie spécifique des habitations – dont les femmes ne pouvaient sortir qu’accompagnées par un homme de la famille, qu’il s’agisse du mari, du frère ou du fils.
Au passage, ce bouleversement a provoqué la naissance de la prostitution, seul moyen de survie pour de nombreuses femmes pauvres.
Tout au long de l’évolution des sociétés de classes, l’oppression des femmes s’est maintenue sous des formes plus ou moins violentes. Seule l’apparition du capitalisme et du salariat a marqué un net changement. Si l’oppression des femmes s’est maintenue, la nécessité pour la bourgeoisie de disposer d’une masse de travailleurs salariés a arraché les femmes à la sphère domestique et les a intégrées à la production, comme partie de la classe ouvrière. Leur oppression les a alors poussées à l’avant-garde de la lutte des classes, comme en témoignent leur rôle dans la Commune de Paris de 1871 et la Révolution russe de 1917. Elles ont conquis de nouveaux droits, qui sont néanmoins insuffisants pour mettre fin à l’oppression qu’elles continuent de subir.
L’oppression des femmes est née avec la propriété privée des moyens de production et ne se maintient que pour la défendre. C’est seulement en renversant le capitalisme et en éliminant cette propriété privée que l’on pourra poser les bases matérielles d’une liquidation de l’oppression des femmes.