L’impérialisme est souvent réduit à sa seule dimension militaire : la guerre impérialiste. Il est vrai que c’est sa manifestation la plus visible et celle qui suscite les mouvements d’opposition les plus massifs. Cependant, l’impérialisme est d’abord un phénomène économique. A un certain stade de son développement, le capitalisme devient impérialiste.
Dans son chef-d’œuvre intitulé L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Lénine a soumis cette question à une analyse approfondie. Il part de ce que Marx avait souligné dès le Manifeste du Parti communiste (1848) : au fur et à mesure que le capitalisme se développe et que le Capital se concentre, la « libre concurrence » aboutit à son contraire, c’est-à-dire aux monopoles, et finalement à la domination de l’économie par un petit nombre d’entreprises gigantesques.
Du vivant de Marx, au XIXe siècle, ce n’était encore qu’une brillante anti- cipation. Dans son livre, Lénine montre – chiffres et faits à l’appui – que c’est chose faite dès les premières années du XXe siècle. Or, depuis, ce processus s’est poursuivi sans interruption, pour aboutir de nos jours à une concentration dantesque du Capital.
En 2019, aux Etats-Unis, 500 entreprises se partageaient plus de 75 % du PIB. Au total, elles réalisaient plus de 800 milliards de dollars de profits annuels. En France, Carrefour et Leclerc contrôlent plus de 40 % des parts de marché de la grande distribution. Et ainsi de suite. On ne peut pas vivre sans, chaque jour, consommer des marchandises produites ou distribuées par les travailleurs de cette poignée de mastodontes économiques : Unilever, Vivendi, Total, Danone, Microsoft, Huawei, etc.
Le capital financier
Lénine analyse une autre caractéristique fondamentale de l’impérialisme : la « fusion du capital bancaire et du capital industriel » et « la création, sur la base de ce capital “financier”, d’une oligarchie financière. »
Dans la jeunesse du système capitaliste, les banques jouaient essentiellement un rôle d’intermédiaire dans les paiements. Au stade impérialiste, par contre, d’énormes banques dominent l’économie. Elles ont fusionné avec le capital industriel et tirent toutes les ficelles : sans elles, aucun investissement de grande envergure n’est possible. En 2013, parmi les 2000 plus grandes entre- prises au monde, il y avait 469 banques et institutions financières.
Soit dit en passant, on entend sou- vent les réformistes de gauche se plaindre de cette situation et réclamer une « dé-financiarisation » de l’économie. Cela revient à réclamer un retour au capitalisme pré-impérialiste, pré-monopolistique. C’est impossible. Pour en finir avec la domination du capital financier, il faut en finir avec le capitalisme lui-même – ce que, précisément, les réformistes n’envisagent pas.
L’impérialisme se distingue aussi par le rôle central qu’y joue l’exportation de capitaux – et non plus seulement de marchandises. Chaque semaine, dans le monde, des milliards de dollars de capitaux sont exportés. Et ce sont les grands groupes financiers, bien sûr, qui contrôlent cette activité. En 2020, les grands capitalistes français ont investi, au total, 45,6 milliards d’euros à l’étranger.
Les guerres impérialistes
Enfin, Lénine souligne que le stade impérialiste se caractérise par le parachèvement du « partage » du monde entre grandes puissances impérialistes. Dans son livre, il citait les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et la Russie. De nos jours, il faut ajouter la Chine. Ces pays dominent l’économie mondiale et se partagent des marchés, des zones d’influence et des sources de matières premières. Bien sûr, ce « partage » est le résultat d’un rapport de forces.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la décolonisation – arrachée par des luttes massives – a changé la forme politique de la domination impérialiste, mais celle-ci demeure. Elle s’est même renforcée à travers les mécanismes de la dette et du commerce mondial.
Le partage du monde n’est jamais stable et définitif, car le rapport de forces entre puissances impérialistes évolue sans cesse, comme on le voit bien aujourd’hui avec la montée en puissance de l’impérialisme chinois, par exemple. Il y a donc une tendance permanente à opérer un nouveau partage du monde. Dans un tel processus, les guerres commerciales sont permanentes – et leurs prolongements militaires inévitables. En dernière analyse, les deux guerres mondiales ne s’expliquent pas autrement, tout comme les « petites » guerres impérialistes qui ont ravagé le monde, depuis. La lutte contre les guerres impérialistes est donc indissociable de la lutte contre le capitalisme.