La défaite de Manuel Valls à la primaire du PS a été célébrée, ou au moins appréciée, très au-delà des 1,2 million d’électeurs de Benoit Hamon. L’ex-Premier ministre est l’un des représentants les plus conséquents de la ligne droitière, pro-capitaliste, de la direction du Parti Socialiste. Lors de la primaire du PS de 2011, il fut très minoritaire : 5,6 % des suffrages. Malgré cela, le président Hollande lui confia d’abord le Ministère de l’Intérieur, puis Matignon. La logique de cette promotion était claire : face à la profonde crise du capitalisme, la classe dirigeante française exigeait de sévères contre-réformes – et donc, pour les mener, un chef du gouvernement doté d’une certaine poigne, d’un cynisme sans faille et d’un dévouement total à la cause du grand Capital. Bref, Manuel Valls.
Le voilà désormais relégué au second plan de la vie politique, au moins pour quelques mois. Tant mieux. Mais Manuel Valls ne représentait que l’avant-garde d’une longue dérive droitière de l’ensemble de la direction du PS. La politique antisociale du gouvernement Hollande avait le soutien de l’écrasante majorité des parlementaires « socialistes ». Quant à l’aile gauche du PS, elle suivait la droite comme son ombre. Elle était lâche et inconséquente. Les prétendus « frondeurs » protestaient, multipliaient les communiqués, exhortaient Hollande à mener une politique moins brutale – puis, le moment venu, rangeaient leurs frondes et votaient les textes réactionnaires du gouvernement (notamment les budgets). Lorsqu’ils poussaient la mauvaise humeur jusqu’à menacer de ne pas voter certains textes (lois Macron, loi Travail), Manuel Valls pouvait recourir au 49-3 avec l’assurance que les frondeurs ne voteraient pas de motion de censure. Tel est le pathétique bilan de la « gauche du PS », ces cinq dernières années.
Benoit Hamon ne fut pas un plus vigoureux opposant à la politique de François Hollande. En fait, pendant deux ans, il ne s’y opposa pas le moins du monde. Ministre de mai 2012 à septembre 2014, il défendait alors publiquement la politique du gouvernement, qui fut pourtant d’emblée marquée par un renoncement aux engagements de campagne et un alignement sur les intérêts du « monde de la finance ». De concert avec Arnaud Montebourg, Hamon fit même pression pour chasser Jean-Marc Ayrault de Matignon et le remplacer par Manuel Valls. Les deux conjurés furent récompensés par de plus importantes fonctions ministérielles. Mais nous l’avons dit : la promotion de Valls découlait de facteurs bien plus puissants que ce type de manœuvres. Elle annonçait une accélération de la politique droitière du gouvernement. Cinq mois plus tard, Hamon et Montebourg, qui commençaient à murmurer quelques critiques subliminales, furent lâchés par Valls et limogés par Hollande. En un sens, ils étaient les victimes collatérales de leurs propres magouilles.
En attendant la primaire du PS, Montebourg fréquenta les milieux patronaux. De son côté, Benoit Hamon intégra les rangs assoupis des députés « frondeurs », dont il adopta immédiatement les rites : protestations verbales le matin, vote de textes réactionnaires le soir. Mais dans le même temps, il eut tout le loisir d’apprécier la chute interminable du gouvernement et de la direction du PS dans l’opinion, ce qui lui ouvrait la possibilité de percer à la primaire. Comme ministre, il avait été moins exposé que Montebourg. Hollande et Valls étaient carbonisés. Il y avait donc une voie. Hamon bricola un programme « de gauche » et, sur la vague du rejet massif de Manuel Valls, remporta facilement la primaire.
Le « rassemblement » des carriéristes
Depuis, une injonction sature l’espace : « la gauche doit se rassembler ! » Cette formule creuse est répétée en boucle par Benoit Hamon, ses proches, la grande majorité des députés « socialistes », le gouvernement, les dirigeants écologistes et, lamentablement, la direction du PCF. Rassembler quoi, au juste ? Quelles forces ? Sur quel programme ? Dans quelle perspective ? Aucun des chantres du rassemblement ne pose clairement ces questions, car cela révèlerait le caractère frauduleux de toute l’affaire.
Benoit Hamon et ses proches se félicitent d’avoir déjà « rassemblé » une très grande majorité des députés socialistes. Mais tous ont voté la politique réactionnaire du gouvernement, pendant cinq ans, et nombre d’entre eux soutenaient Manuel Valls à la primaire. S’ils se « rassemblent » derrière Benoit Hamon, c’est par pur pragmatisme : à ce stade, ils considèrent que c’est la meilleure option du point de vue de leur candidature aux élections législatives de juin prochain. Il n’y a pas la moindre différence de principe entre ceux qui font ce calcul et ceux qui rallient Macron. Certains pourraient d’ailleurs changer d’option en cours de route, suivant l’évolution de la situation. Magnifique « rassemblement », en vérité !
Le programme sur lequel Benoit Hamon a remporté la primaire du PS est rejeté par l’écrasante majorité de l’appareil et des parlementaires du PS. Ils ont par exemple soutenu la loi Travail, que le vainqueur de la primaire propose d’abroger. Ont-ils changé d’avis sur le sujet ? Bien sûr que non. Mais Benoit Hamon ne leur en demande pas tant. Au lieu de s’appuyer sur sa victoire pour lancer une lutte sérieuse contre la droite du PS, il propose d’amnistier celle-ci de ses crimes récents sous couvert de « rassemblement de la gauche ». Ce faisant, Benoit Hamon expose l’inconsistance de ses propres idées, qui apparaissent comme les variables d’ajustement de combinaisons parlementaires et bureaucratiques.
Fort d’avoir ainsi « rassemblé le PS », c’est-à-dire la plupart de ses carriéristes, Benoit Hamon insiste pour que Jean-Luc Mélenchon monte dans cette galère. Le candidat de la France insoumise