Le 1er septembre, Elisabeth Borne, alors ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, déclarait : « On a 99,9 % des postes qui sont bien pourvus dans le premier degré. Quasiment pas de postes non pourvus dans le second degré. Il y a, comme chaque année, des heures d’enseignement qui ne sont pas totalement couvertes. Ça représente 0,7 % des heures d’enseignement ».
En réalité, une enquête de la FSU a montré qu’à la rentrée 2025, 73 % des collèges et lycées avaient des équipes incomplètes, c’est-à-dire qu’il manquait au moins un professeur, un psychologue, un conseiller principal d’éducation (CPE), un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) ou un assistant d’éducation (AED). Ce sous-effectif s’inscrit dans un contexte où les effectifs « normaux » sont déjà insuffisants à cause des budgets austéritaires qui se sont succédé : le budget 2025, par exemple, a amputé un milliard d’euros à l’Education nationale et un autre milliard à l’Enseignement supérieur (en euros constants, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation).
Pour dresser un bilan de cette rentrée placée sous le joug de l’austérité, nous avons recueilli les témoignages d’une AED en collège, d’un professeur en lycée professionnel et d’un étudiant en licence.
« Il peut se passer quelque chose de très grave » Ananda, AED
Je suis assistante d’éducation (AED) dans un collège de région parisienne. AED, c’est le nouveau nom pour dire « surveillante » ou « pionne ». Sous prétexte de donner un titre moins péjoratif, cela a surtout permis de nous rajouter des missions pour pallier le manque de personnel – aider à faire l’accueil ou des tâches administratives pour les autres services, par exemple. On nous demande aussi régulièrement des choses qu’on n’a pas le droit de faire en tant qu’AED, comme surveiller des épreuves.
Cela fait plusieurs années que je suis AED en parallèle de mes études, mais cette rentrée a été particulièrement difficile. Le manque de moyens matériels et humains était flagrant. Dès le premier jour, il n’y avait même pas assez d’assiettes pour tous les élèves à la cantine. On devait les presser pour qu’ils mangent en moins de vingt minutes, pour pouvoir laver les assiettes et les redonner aux autres. Certains élèves ont dû rater une partie des cours pour pouvoir déjeuner. Les chaises de bureaux du service de la Vie scolaire sont toutes cassées, et malgré nos demandes, on n’en reçoit pas d’autres. L’année dernière on n’avait même pas de chauffage dans notre service. On a demandé au moins un petit radiateur d’appoint qu’on a reçu… cette rentrée. Problème : il ne fonctionne pas ! Cet hiver va être rude.
Aussi, et c’est plus grave, à la rentrée il n’y avait pas de directeur pour les trois classes de section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) que compte le collège, alors que c’est un poste essentiel. Ces élèves ont des besoins spécifiques et doivent être accompagnés. Dès la rentrée, les professeurs ont envoyé une lettre au rectorat en menaçant de faire grève si un directeur n’était pas rapidement nommé. Le rectorat a pris peur et a affecté un directeur SEGPA… mais qui n’a reçu aucune formation. En plus, certains postes d’AESH n’ont pas été pourvus.
Un directeur pas formé et des AESH qui manquent : tout retombe sur nous, les AED. Nous devons nous occuper de ces élèves en SEGPA, alors que nous non plus n’avons reçu aucune formation. Et même en effectif complet, on est déjà trop peu : entre trois et quatre AED par jour, sans aucun poste à temps plein. En fin de journée, il reste souvent deux AED seulement, parfois un seul. Et pour les profs c’est pareil, on leur a même demandé de faire des heures supplémentaires… bénévolement ! Parce que vous comprenez : « il n’y a plus de budget dans l’enveloppe ».
En plus de nous épuiser, ce manque d’effectif peut avoir de graves conséquences. Par exemple, un lundi, à midi, une bagarre a éclaté dans le hall pendant la récréation. Vu qu’on n’était pas assez nombreux, il n’y avait des AED que dans la cour et le réfectoire. Depuis la rentrée ce genre d’incidents se multiplient, alors que si on était assez nombreux, on pourrait les éviter. En moins de deux mois, il y a déjà eu cinq conseils de discipline et trois exclusions ! Trop d’élèves, pas assez de personnel… Les enfants sont plongés dans une agitation constante et les débordements sont inévitables. Il peut se passer quelque chose de très grave à tout moment. Mais la direction nous l’a affirmé, on n’aura pas
d’effectifs supplémentaires…
« Mon lycée va craquer » Rémy, professeur
Je suis contractuel dans un lycée professionnel de région parisienne. Dès la rentrée, je me suis rendu compte de l’ampleur du problème : manque de moyens, manque de personnel, surcharge d’élèves. En voie professionnelle, beaucoup d’élèves sont en difficulté, mais nous n’avons tout simplement pas les moyens de les accompagner. Je dis souvent « mon lycée va craquer », même si, parfois, je me dis qu’il a déjà craqué…
Dans une classe de 24 élèves, plusieurs auraient besoin d’un suivi individualisé avec un AESH. Or, bien souvent, il n’y en a qu’un pour huit enfants – parfois moins. Alors oui, il peut aider un élève, le guider pour comprendre un exercice ou lire un énoncé, mais dès qu’il s’éloigne, l’enfant se perd. Et c’est tout le reste de la classe qui en pâtit, parce qu’avec des niveaux très différents, faire avancer tout le monde devient un casse-tête.
La psychologue scolaire, elle, ne vient qu’une demi-journée par semaine… Il en faudrait une qui soit présente à plein temps sur l’établissement. De manière générale, il faudrait plus de personnel : plus de CPE, plus d’AESH, plus de moyens pour que les profs puissent se réunir, coordonner leurs cours et assurer un vrai suivi des élèves. Mais rien de tout cela n’existe. Nous n’avons pas le temps, parce qu’il n’y a pas assez de personnel.
Alors on court partout. Tout repose sur les profs et les AED, sur notre bonne volonté et notre énergie. Mais à force, on s’épuise. Les heures supplémentaires s’accumulent, et pour les élèves en difficulté, cela signifie moins d’attention, moins d’accompagnement – donc plus de risques de décrochage.
Les élèves, eux, sentent qu’on ne peut pas répondre à leurs besoins. Beaucoup arrivent en cours déjà en colère, démotivés et frustrés. Et on se sent impuissants… On est contraints d’exclure des élèves de cours juste pour pouvoir continuer à enseigner, mais ce n’est pas une solution satisfaisante. Cela ajoute encore du travail aux AED, déjà en sous-effectif, qui se retrouvent avec des salles d’étude bondées. C’est un cercle vicieux. Tout le système éducatif est dans un état de tension permanente, où les élèves finissent par exploser.
Pour les nouveaux profs, le choc est rude. Il faut être solide, car on entre dans un système déjà en tension. Le moindre moment d’inattention peut déstabiliser toute une classe. Les projets pédagogiques sont difficiles à mener, parce que tout repose sur la débrouille et la bonne volonté individuelle.
Il faudrait généraliser les classes de maximum 12 élèves pour pouvoir réellement accompagner chacun. Il faut des embauches massives dans l’éducation, du personnel éducatif et administratif, et du temps de coordination pour que l’enseignement ne dépende pas uniquement du dévouement individuel, mais soit pris en main collectivement et démocratiquement par le corps enseignant. Mais tout cela, le gouvernement des riches ne le permettra jamais.
« Faut lutter ensemble, étudiants et travailleurs » Charles, étudiant
Je suis étudiant en licence d’histoire à la fac du Mirail, à Toulouse. Cette année, c’était vraiment la galère. Déjà, on a connu la date de la rentrée seulement deux semaines avant qu’elle ait lieu, fin septembre ! Les rentrées étaient décalées selon les licences, et rien ne correspondait à ce qui avait été annoncé sur le site de la fac. Dès le début, on a vu que ça n’allait pas : manque d’organisation, manque de place… Par exemple, on doit faire un cours magistral dans une salle de TD, faute d’amphi disponible ! Il n’y a pas assez de place pour toute la promo.
Et ce n’est pas nouveau. L’année dernière, les rattrapages ont été supprimés définitivement… sûrement pour des raisons budgétaires. À la place, ils ont créé un système de « double contrôle » : les profs sont censés organiser un deuxième examen dans le semestre. Sauf qu’en pratique, il n’y a aucun accompagnement, aucune règle claire, et dans beaucoup de matières, on n’a qu’une seule session d’examen. Donc si tu es malade ou absent le jour J, tu n’as aucun moyen de te rattraper. Et c’est la double peine pour les étudiants qui travaillent et qui ne peuvent pas poser un jour pour passer leur partiel. C’est complètement injuste, et ça montre bien que les décisions sont prises sans penser aux étudiants.
Face aux coupes budgétaires, une mobilisation a démarré dès la rentrée. Le personnel s’est réuni en Assemblée générale après l’annonce d’une nouvelle mesure austéritaire : la moitié des enseignants du campus partant à la retraite d’ici 2028 ne seront pas remplacés ! Pour le département de psychologie, l’un des plus importants de l’université, cela veut dire au moins sept postes supprimés. Des filières vont disparaître… Les personnels ont fait grève les 14 et 15 octobre pour protester contre ces coupes.
Et pendant ce temps, le coût de la vie étudiante explose. J’ai regardé les chiffres de l’UNEF, et cette année, en moyenne, nous devrons dépenser 800 euros de plus que l’année dernière… C’est énorme : plus de 4 % en un an, et plus de 32 % depuis l’élection de Macron en 2017 ! Et le gouvernement annonce une année blanche en 2026, ce qui veut dire un gel des APL pour les étudiants alors que les loyers augmentent…
Moi, je touche 500 euros de bourse par mois, et c’est loin de suffire. De plus en plus d’étudiants sont obligés de travailler à côté à temps partiel, tout en galérant quand même à se loger, à se nourrir et à étudier. J’attends rien de ce gouvernement et de tous les gouvernements de Macron. On sait très bien qu’il ne fera pas d’autre politique. Faut lutter ensemble, étudiants et travailleurs, pour aller chercher Jupiter !

