Ce document a été adopté par le Secrétariat international de l'Internationale Communiste Révolutionnaire le 9 juin 2025
Introduction
« Notre première tâche, et la plus importante, est d’apprendre à ne pas oublier le passé afin d’anticiper l’avenir » [1]
« Le principe fondamental de la dialectique est qu'il n'existe pas de vérité abstraite, la vérité est toujours concrète. » [2]
Ce document traite de la dégénérescence et de l’effondrement de la IVe Internationale, fondée par Trotsky en 1938, et de la défense des véritables idées et méthodes du trotskysme. Au premier abord, cette question peut sembler d’un intérêt uniquement historique, mais ce n’est pas du tout le cas.
En réalité, ces développements contiennent d’immenses leçons pour nous aujourd’hui. Ils permettent en particulier de mieux comprendre et expliquer qui nous sommes, et quel rôle joua notre camarade Ted Grant dans la défense de ces traditions.
Nous avons abordé la question de la dégénérescence de la IVe Internationale à de nombreuses reprises, notamment dans le Programme de l’Internationale, écrit par Ted Grant en 1970. Par le passé, cette histoire a joué un rôle crucial dans l’éducation de nos cadres.
Mais, étant donné la croissance rapide de notre Internationale dans la dernière période, il est important de rappeler notre histoire et nos traditions aux camarades, et en particulier aux nouvelles recrues.
Bien qu’elle ait été détruite, le programme et les méthodes de la IVe Internationale dirigée par Trotsky vivent toujours aujourd’hui dans l’action de notre Internationale, l’ICR. Ceci n’est pas une fanfaronnade. Cela peut être démontré, comme nous le verrons, par les contributions théoriques et les documents produits par notre tendance au cours des quatre-vingts dernières années.
Il est très important de défendre notre héritage et de rétablir la vérité historique. Ce devoir est d’autant plus grand que les sectes diffusent toutes sortes de distorsions et de mensonges pour couvrir les erreurs et les crimes qu’elles ont commis par le passé.
Cela implique avant tout de reconnaître le rôle indispensable que joua Ted Grant durant cette période dans la défense des idées et les méthodes authentiques du trotskysme.
Il poursuivit l’œuvre de Trotsky dans les circonstances les plus difficiles, et c’est à ce travail acharné que nous devons notre existence. C’est cela, et seulement cela, qui nous donne le droit d’exister et d’affirmer que nous représentons les véritables traditions du trotskysme révolutionnaire.
Notre tendance est née de la lutte pour défendre les idées du marxisme contre les idées pernicieuses du stalinisme et du réformisme, mais aussi contre les idées révisionnistes des prétendus chefs de la Quatrième Internationale. Cannon, Pablo, Mandel, Frank, Healy, Maitan, Lambert et leurs partisans enchaînèrent les bêtises ultragauchistes et opportunistes. Ces erreurs découlaient avant tout d’une méthode fondamentalement erronée.
Pour le démontrer de façon irréfutable, nous avons jugé nécessaire de citer comme preuves des documents d’archives. Cela peut rendre cette lecture plus compliquée, mais les exigences de l’exactitude historique l'emportent sur les considérations de style ou de facilité.
Des conditions difficiles
Alors qu’il agonisait sous les coups d’un assassin stalinien, les derniers mots de Léon Trotsky furent : « dites aux camarades que je suis convaincu de la victoire de la Quatrième Internationale. En avant ! »
Les années qui suivirent démontrèrent pourtant que le matériau humain rassemblé par Trotsky n’était pas à la hauteur des tâches posées par l’histoire.
Mais il faut expliquer les raison pour lesquelles le mouvement trotskyste fut agité, dès sa conception, par des tensions constantes, des crises et des scissions.
Dès le départ, l’Opposition de gauche était dans une posture difficile, en Russie comme à l'échelle internationale. Ses rangs numériquement faibles étaient remplis de toutes sortes d’éléments, qui étaient unis par leur opposition à Staline et à la bureaucratie, mais n’avaient pas forcément grand chose d’autre en commun.
Il y a peu d’exemples dans l’histoire de mouvements ayant subi une persécution aussi extrême. La fraction dirigée par Zinoviev et Kamenev s’en détacha rapidement, et capitula honteusement devant Staline. Ce retournement suscita la confusion et la démoralisation dans les rangs de l’Opposition.
Nombre de partisans de l’Opposition de gauche succombèrent à cette pression insoutenable, et suivirent Zinoviev, Kamenev et Radek pour capituler devant Staline. La plupart d’entre eux, sinon tous, furent ensuite liquidés physiquement.
Ces difficultés se répercutèrent dans les petits groupes adhérant à l’Opposition dans les partis communistes étrangers. Si nombre des partisans de Trotsky étaient des révolutionnaires honnêtes et courageux, il y en avait aussi de moins bons.
Ils étaient négativement influencés par des années de défaites, et en particulier par la victoire du stalinisme en Russie. Ils étaient donc déprimés et désorientés.
Il fallut un effort surhumain de la part de Trotsky pour donner une base politique solide à la nouvelle organisation qui émergea du naufrage de l’Internationale Communiste.
Nombre d’éléments étrangers au trotskysme gravitaient autour de l’Opposition. Il y avait des zinoviévistes, des anarchistes, des ultragauchistes, et des aventuriers sans principes - à l’instar de Raymond Molinier en France – sans parler d’un nombre conséquent d’énergumènes et de marginaux à la recherche d’une maison politique.
Il s’agissait naturellement d’éléments jeunes, inexpérimentés, et politiquement naïfs. Beaucoup étaient issus de milieux étudiants et petits-bourgeois. Ils apportèrent avec eux de nombreuses idées confuses et étrangères au mouvement ouvrier.
Même dans le SWP américain, il y avait des gens comme James Burnham, par exemple, qui ne fut jamais un trotskyste, ni même un marxiste, comme sa répudiation du matérialisme dialectique le démontra par la suite.
Mais Trotsky n’eut pas toujours l’occasion de choisir le matériel humain avec lequel il était forcé de travailler. En 1935, il eut une discussion avec Fred Zeller, un membre de l’aile gauche de la jeunesse socialiste en France, au cours de laquelle Zeller critiqua durement les trotskystes français.
Dans sa réponse, Trotsky ne tenta pas de défendre les membres de la section française. Il répondit laconiquement : « Il faut travailler avec le matériel que nous avons sous la main. » Cette réponse témoigne de ce qu’il pensait de beaucoup des soi-disant « trotskystes ». Elle en dit long sur les dirigeants de la future IVe Internationale, à propos desquels Trotsky ne s’est jamais fait beaucoup d’illusions. [3]
La même année, Trotsky faisait ce commentaire :
« Il serait absurde de nier l’existence dans nos rangs de tendances sectaires. Elles se sont manifestées à travers toute une série de discussions et de scissions. Comment n’y aurait-il pu avoir un élément de sectarisme dans un mouvement idéologique qui s’oppose de façon irréductible à toutes les organisations dominantes dans la classe ouvrière et qui est soumis dans le monde entier à de monstrueuses persécutions sans précédent ? » [4]
Démêler ce sac de nœuds, purger les éléments indésirables et étrangers à la classe ouvrière, fut un processus long et difficile. Ce fut la cause des nombreuses scissions et crises dans les années qui suivirent.
Pour reprendre les mots du poète allemand Heine, Trotsky avait « semé des dents de dragon et récolté des puces ».
Le SWP américain
La section américaine – qui allait devenir le SWP – joua un rôle dirigeant dans les premières années. Mais les événements démontrèrent qu’elle souffrait de graves déficiences politiques.
James Cannon, le principal dirigeant du groupe américain, était probablement le plus compétent des dirigeants internationaux de cette première période. Il avait une longue expérience dans le mouvement ouvrier américain, remontant à l'époque des IWW – ce que Trotsky appréciait beaucoup. Il avait de grands talents d’organisateur, mais aussi d’importants défauts.
Cannon avait d’abord été un partisan de Zinoviev, et il ne s’est jamais vraiment défait de ses tendances zinoviévistes. Ce n'était pas l'école du bolchevisme, mais celle des manœuvres, des intrigues, et de l’utilisation de mesures organisationnelles en lieu et place du débat politique.
Trotsky appréciait la loyauté de Cannon, mais il n’approuva jamais ses méthodes organisationnelles brutales. Il savait très bien que c’était la recette parfaite pour des crises et des scissions. Il fit ce commentaire pertinent dans Défense du marxisme :
« Nos propres sections ont hérité d'un peu du venin de l'Internationale communiste en ce sens que beaucoup de camarades sont enclins à abuser de mesures telles que l'exclusion, la scission ou les menaces d'exclusions et de scissions » [5]
Il est clair que Trotsky pensait à Cannon en écrivant ces lignes. Il défendit les positions politiques de Cannon contre l’opposition petite-bourgeoise de Burnham et Schachtman, mais il était très mal à l’aise vis-à-vis de l’attitude expéditive et excessivement administrative de Cannon à leur égard.
Tout en restant intransigeant sur les idées, il s’opposait à une scission de la section américaine, préférant comme toujours l’arme des arguments politiques et de la clarification théorique à celles du harcèlement, des menaces et des expulsions – qui rendaient la scission inévitable.
Tant que Trotsky fut en vie, il parvint à maintenir ses partisans sur une ligne politique correcte. Mais après sa mort en 1940, et confrontés aux transformations de la situation objective, ils furent incapables de réarmer le mouvement.
La IVe Internationale
La fondation de la IVe Internationale en septembre 1938 fut indubitablement un événement historique. Elle représentait une tentative de galvaniser les cadres politiquement et organisationnellement, en vue des tâches historiques qui les attendaient.
Trotsky prévoyait que la Seconde Guerre mondiale entraînerait une vague révolutionnaire, qui mettrait tous les partis et toutes les tendances à l’épreuve. Les anciennes internationales – la IIe, la IIIe, et le soi-disant Bureau de Londres – avaient dégénéré et étaient devenues un obstacle au succès de la révolution socialiste. Trotsky pensait que ces organisations seraient brisées par le cataclysme mondial qui s’annonçait et ses conséquences.
En 1938, il fit une prédiction audacieuse : d’ici dix ans, il ne resterait « pas pierre sur pierre de ces organisations moribondes » et le programme de la IVe Internationale guiderait des millions d’hommes. [6]
Mais ce n’était là qu’un pronostic provisoire. Une perspective n’est pas une boule de cristal permettant de prédire le cours précis des événements. C’est une hypothèse conditionnelle, qui doit être corrigée en fonction des développements réels. C’est le B.A.-Ba. pour quiconque connaît un peu la méthode du marxisme.
Trotsky le rappela, en novembre 1939, à propos de la guerre en Finlande :
« Quiconque désire obtenir une prédiction précise des événements concrets doit se tourner vers les astrologues. […] J'ai souligné plusieurs fois le caractère conditionnel de mon pronostic, défini comme l'une des variantes possibles. » [7]
Ce message est on ne peut plus clair. Mais pas pour les soi-disant dirigeants de la IVe, qui partirent du principe que ce que Trotsky avait écrit en 1938 était gravé dans le marbre et ne pouvait pas être modifié, quoi qu’il advienne.
C’était une attitude contraire au marxisme, et en contradiction flagrante avec tout ce qu’avait écrit Trotsky. Pour autant, les prédictions de Trotsky ne se révélèrent pas complètement erronées. Au contraire, son analyse de la situation mondiale révéla une bien plus grande capacité à comprendre et à anticiper les événements que n’importe quel autre dirigeant mondial.
Certains des politiciens bourgeois les plus clairvoyants comprenaient les possibles conséquences révolutionnaires de la guerre. Coulondre, l’ambassadeur français en Allemagne, s’adressa ainsi à Hitler le 25 août 1939 : « Vous pensez être vainqueur, avez-vous dit, et je pense le contraire. Mais n’avez-vous pas envisagé une autre éventualité, celle où le vainqueur serait Trotsky ? »
Ce faisant, Coulondre ne faisait bien sûr que personnifier la révolution sous le nom de Trotsky. Mais finalement, les événements se déroulèrent autrement à l’issue de la guerre.
L’assassinat de Trotsky
L’assassinat de Trotsky porta un coup mortel aux jeunes forces inexpérimentées de la IVe Internationale. Sans sa direction, les autres dirigeants se révélèrent complètement incapables.
Staline, qui de par son expérience du bolchevisme comprenait que même un petit mouvement révolutionnaire international pouvait menacer son régime, avait compris le rôle vital de Trotsky dans la IVe Internationale.
Lorsque certains de ses agents se plaignirent de la quantité de temps et d’argent qu’ils consacraient à assassiner un seul individu, Staline leur répondit qu’ils se trompaient : sans Trotsky, la IVe Internationale serait détruite car, assurait-il, « ils n’ont pas de bons dirigeants ». Il n’avait pas tort.
Face à une situation entièrement nouvelle, ils furent incapables d’opérer les ajustements nécessaires et furent complètement déboussolés. Cela eut un impact fatal sur le développement de la nouvelle Internationale.
La guerre se développa d’une façon que personne, pas même le plus grand génie, n’aurait pu prévoir. Son issue – et en particulier le renforcement du stalinisme – contredit les perspectives de 1938 de Trotsky.
Mais la perspective de Trotsky ne fut pas la seule à être réfutée. Ce fut aussi le cas des perspectives des impérialistes – Roosevelt et Churchill – sans parler de Hitler et Staline, qui commirent des erreurs énormes. L’issue de la guerre entre l’URSS et l’Allemagne nazie fut l’événement le plus décisif et détermina toute la situation.
L’erreur de Staline
Staline, ce soi-disant « génie militaire », avait en réalité mis l’URSS en très grand danger. L’Union soviétique avait été largement désarmée par des purges massives dans l’Armée rouge en 1937-38 puis en 1941, juste avant l’invasion de l’URSS par l’Allemagne.
Quand des généraux allemands s’opposèrent à l’idée d’attaquer l’Union soviétique, arguant que combattre sur deux fronts serait une erreur fatale, Hitler leur répondit que l’Union soviétique n’était plus un problème, car elle n’avait pas de bons généraux.
Le fameux pacte germano-soviétique de 1939 était en réalité une manœuvre défensive de la part de l’Union soviétique. Staline espérait qu’en signant un pacte de non-agression avec Hitler il repoussait le danger d’une invasion allemande. Il avait tort.
L’invasion de l’URSS par Hitler à l’été 1941 prit Staline par surprise. Le peuple soviétique en paya le prix fort.
Les impérialistes espéraient que l’Allemagne et l’Union soviétique s’épuiseraient mutuellement, et que les Américains et les Britanniques n’auraient qu’à se baisser pour ramasser la mise.
La Seconde Guerre mondiale en Europe se réduisit essentiellement à une lutte à mort entre la Russie stalinienne et l’Allemagne d’Hitler, qui disposait des ressources combinées de toute l’Europe.
La position de l’URSS parut d’abord désespérée.
Trotsky avait prévenu que le plus grand danger pour l’Union soviétique en cas de guerre résiderait dans les marchandises à bon marché qu’une armée impérialiste (les Américains, par exemple) apporterait avec elle. Mais les choses se passèrent différemment. L’invasion allemande n’offrit que des meurtres de masse, des camps de concentration et des chambres à gaz. Les nazis considéraient le peuple soviétique comme une race de sous-hommes et le traitèrent comme tel.
Par conséquent, malgré les crimes de Staline et de la bureaucratie, les masses soviétiques se mobilisèrent pour défendre les conquêtes de la révolution d’Octobre. Elles luttèrent héroïquement pour repousser les envahisseurs nazis. Déjouant tous les pronostics, l’Armée rouge stoppa l’invasion nazie, puis infligea une écrasante défaite à Hitler.
Ce fut décisif. La situation en fut complètement transformée. L’Union soviétique y gagna un prestige colossal, ce qui renforça le régime stalinien pour toute une période historique – contrairement à ce qu’avait envisagé Trotsky.
Cela permit aux staliniens de contrôler fermement les mouvements de masse, ce dont ils se servirent pour trahir la vague révolutionnaire qui suivit la guerre.
Cette trahison historique posa les bases politiques pour la reprise économique des « Trente glorieuses » : une période de croissance inédite dans l’histoire du capitalisme, qui permit au système de se rétablir.
Contrairement aux prévisions de Trotsky, le stalinisme ne fut pas renversé mais immensément renforcé. L’Armée rouge avait écrasé les armées d’Hitler et occupait une grande partie de l’Europe de l’Est.
Deux grandes puissances avaient émergé à l’échelle mondiale : d’une part l’Union soviétique, et de l’autre les Etats-Unis, qui étaient devenus la puissance impérialiste dominante.
Les Etats-Unis n’avaient pas connu les terribles destructions infligées à l’Europe pendant la guerre. Ils en sortirent avec une industrie intacte et des coffres remplis à ras bord.
Ils s’en servirent pour subventionner le capitalisme européen et lui procurer les financements nécessaires pour stimuler une période de reprise économique. La situation était radicalement différente de celle qui suivit la Première Guerre mondiale.
Les perspectives élaborées en 1938 par Trotsky furent donc réfutées par le cours de l’histoire. S’il avait survécu, il les aurait certainement révisées, et aurait réorienté le mouvement en conséquence.
Mais les dirigeants de la IVe Internationale – Cannon, Hansen, Pablo, Mandel, Maitan, Pierre Frank et leurs partisans – échouèrent lamentablement. Ils n’étaient pas à la hauteur de la tâche. Incapables de comprendre la méthode de Trotsky, c’est-à-dire la méthode du marxisme, ils se contentèrent de répéter les perspectives caduques de 1938 sur l’imminence de la guerre et de la révolution, comme si rien ne s’était produit depuis.
Ils répétaient comme des perroquets ce que Trotsky avait dit avant sa mort comme si le temps s’était arrêté. Ils n’ont jamais compris la méthode dialectique de Trotsky et son approche des perspectives.
Leur refus de regarder la réalité en face les mena d’une erreur à l’autre, ce qui devait provoquer une énorme crise dans l’Internationale.
L’importance de la direction
Pour la méthode marxiste du matérialisme historique, les forces fondamentales de l'histoire se trouvent dans des facteurs objectifs – en particulier dans le développement des forces productives. Cependant, le matérialisme historique n’a jamais nié l’importance du facteur subjectif, ni le rôle des individus dans l’histoire.
On peut faire de nombreux parallèles entre les guerres entre nations et la lutte des classes. Dans une guerre, la présence de bons généraux est un facteur crucial, qui peut s’avérer décisif. Avoir de bons généraux est évidemment nécessaire pour mener une offensive. Mais la qualité de la direction est encore plus importante lorsqu’une armée est forcée de battre en retraite.
Avec de bons généraux, on peut mener une retraite en bon ordre, avec un minimum de pertes, et préserver l’essentiel de ses forces. En revanche, de mauvais généraux peuvent transformer une retraite en déroute.
C’est précisément ce qui arriva à la IVe Internationale. Ses dirigeants incompétents transformèrent ce qui était une retraite nécessaire en une déroute. Leurs méthodes finirent par détruire le mouvement que Léon Trotsky avait eu tant de mal à construire.
Le rôle de Ted Grant
La seule tendance qui réussit à tirer son épingle du jeu, dans cette crise existentielle du trotskysme, fut la Workers’ International League (puis le Revolutionary Communist Party) en Grande-Bretagne.
Ils furent les seuls à évaluer correctement la nouvelle situation et à en tirer les conclusions. Ce sont les seuls à pouvoir prétendre au titre de défenseurs de la méthode de Trotsky et de continuateurs de son œuvre.
Lénine fut le véritable défenseur du marxisme après la mort de Marx et Engels. Après la mort de Lénine, ce rôle incomba à Léon Trotsky. De la même manière, après la mort de Trotsky, le véritable défenseur de ses idées et de sa méthode fut Ted Grant.
Nous ne pouvons pas développer toute la vie et toute l’œuvre de Ted dans ce document. Nous nous limiterons à un bref résumé. Pour en savoir plus, le lecteur peut lire sa biographie écrite par Alan Woods : Ted Grant, the Permanent Revolutionary.
Ted adhéra au mouvement trotskyste à Johannesburg en 1929. En 1934, à la recherche de plus vastes horizons, il émigra d’Afrique du Sud en Grande-Bretagne.
Il y rejoignit les trotskystes, qui menaient un travail dans l’Independant Labour Party (ILP). Mais les opportunités dans l’ILP devenaient de moins en moins nombreuses. Sur les conseils de Trotsky, les jeunes camarades s’orientèrent vers le Parti travailliste, et en particulier vers sa jeunesse.
En 1937, d’autres camarades sud-africains, dont Ralph Lee, arrivèrent à Londres et rejoignirent Ted et Jock Haston dans la cellule de Paddington du Militant Group. Ils devinrent de loin les membres les plus actifs de l’organisation.
Les méthodes de la direction du Militant Group reflétaient sa nature largement petite-bourgeoise, typique de la mentalité de petit cercle, avec des intrigues mesquines, et peu de liens avec la classe ouvrière. L’organisation connut des scissions régulières à partir de 1934.
Fin 1937, huit camarades décidèrent de fonder une nouvelle organisation, la Workers’ International League (Ligue Internationale des Travailleurs, WIL).
La fondation de la WIL fut une rupture décisive avec les vieux groupes « trotskystes » de la période précédente. Elle marqua la véritable naissance de notre tendance, le début du trotskysme authentique en Grande-Bretagne.
Ted émergea rapidement comme le principal théoricien du groupe, son secrétaire politique, et le rédacteur en chef de son nouveau journal, le Socialist Appeal.
La correspondance avec Trotsky
Six mois après avoir fondé la WIL, le 12 février 1938, ils envoyèrent une lettre à Trotsky à Mexico expliquant que leur groupe avait créé une imprimerie.
Trotsky fut très impressionné. Le 15 avril 1938, il écrivit au britannique Charles Summer – avec qui il était en contact depuis 1937 – pour l’informer d’un futur voyage de James Cannon en Grande-Bretagne, visant à établir une véritable section de la IVe Internationale.
Peu après, début juin, la WIL publia une nouvelle édition des Leçons d’Espagne de Trotsky, avec une introduction de Ted Grant et Ralph Lee. Ils lui en envoyèrent fièrement un exemplaire.
Le 29 juin 1938, Trotsky adressa une nouvelle lettre à Charles Summer, où il loua l’initiative de la WIL : « J’ai reçu votre édition de ma brochure sur l’Espagne, avec votre excellente introduction. »
Il félicita les camarades de la WIL en écrivant que « c’était vraiment une bonne idée révolutionnaire de créer sa propre imprimerie », et conclut en adressant ses « salutations les plus chaleureuses à vous et à vos amis. »
Cette lettre de Trotsky est extrêmement importante pour notre histoire. Elle n’apparaît nulle part dans les écrits de Trotsky en langue anglaise publiés par Pathfinder, la maison d’édition du SWP américain. Ils étaient pourtant certainement en sa possession.
La lettre n’est réapparue qu’en 2018, et nous l’avons acquise de façon complètement accidentelle. Ce fut un hasard extraordinaire, dont nous sommes éternellement reconnaissants. Cette lettre supprimée félicitant la WIL peut être considérée comme un certificat de naissance, longtemps perdu. C’est la seule lettre où Trotsky mentionne la WIL – et il le fait en des termes élogieux.
Elle fut délibérément cachée par les dirigeants du SWP (et par Cannon en particulier), qui cherchaient à rabaisser la WIL pour des raisons de prestige et de rancune personnelle, comme nous le verrons.
Le rôle pernicieux de Cannon
En août 1938, James Cannon se rendit en Grande-Bretagne pour fusionner les différents groupes trotskystes en une seule organisation, en vue de la conférence fondatrice de la IVe Internationale.
Il y avait alors quatre groupes en Grande-Bretagne : la Revolutionary Socialist League (dirigée par CLR James, Wicks et Dewar), le Militant Group (dirigé par Harber et Jackson), le Revolutionary Socialist Party (un groupe écossais dirigé par Maitland et Tait), et la WIL (dirigée par Ralph Lee, Jock Haston et Grant).
Mais ces groupes avaient des tactiques très variées, allant du travail indépendant à l’entrisme, et des divergences si la façon dont celles-ci devaient être appliquées en pratique. Ces désaccords tactiques représentaient des obstacles insurmontables sur la voie d’un travail commun.
Pour y remédier, il aurait fallu commencer par une discussion approfondie sur la tactique, le programme, et adopter une ligne d’action commune. La fusion aurait alors pu avoir lieu.
Mais Cannon ignora tout cela et tenta d’unifier ces groupes sur des bases purement organisationnelles. Il estimait que ces différences d’orientation avaient peu d’importance.
Cannon convoqua donc une conférence unitaire des différents groupes pour pousser à leur unification formelle. La WIL accepta d’y participer, mais s’opposa à une unification de façade, sans qu’une véritable discussion ne se tienne. Une telle unité sur des bases superficielles ne pouvait déboucher que sur de nouvelles scissions.
Mais Cannon voulait l’unité à tout prix. Il n’y eut donc pas de discussion sur les perspectives politiques et les différences tactiques lors de la conférence unitaire. Tous les groupes furent simplement appelés à signer un « accord de paix et d’unité » rédigé par Cannon, avec un délai de vingt minutes pour se décider.
La WIL estima que cette approche était dénué de principes, et resta donc à l’extérieur de l’organisation « unifiée ».
Le mois suivant, début septembre 1938, la conférence de fondation de la IVe Internationale se tint à Paris.
Bien qu’elle ne fût pas membre de l’organisation « unifiée », la WIL exprima le souhait de devenir sinon une section à part entière, du moins une section sympathisante de la IVe Internationale. Cannon semblait d’accord avec cette idée, et demanda à la WIL d’envoyer un délégué à la conférence de fondation. Malheureusement, ils n’en eurent pas les moyens financiers. Ils envoyèrent donc une déclaration exprimant leur position à un délégué, pour qu’il la transmette à la conférence.
Mais, à la conférence, Cannon avait clairement changé d’avis. Outré par le refus de la WIL de fusionner avec les autres groupes, il saisit l’occasion de la diffamer et d’entraver ses efforts pour devenir une section sympathisante de l’Internationale. La déclaration de la WIL au congrès ne fut pas distribuée aux délégués. Cette mesquinerie était révélatrice des méthodes de Cannon.
La conférence de fondation reconnut la nouvelle organisation unifiée, qui prit le nom de Revolutionary Socialist League (RSL), comme section britannique officielle.
Cannon, qui en voulait désormais à la WIL, rapporta à Trotsky que l’attitude de la WIL avait été « condamnée par la conférence internationale ». Il lui demanda de prendre « une position ferme et résolue » contre la WIL et de refuser « de reconnaître en aucun cas sa légitimité ». Mais il déplora aussi le fait que la RSL n’était « pas habituée à notre traitement “brutal” (c’est-à-dire bolchevik) des groupes qui jouent avec les scissions. » [8]
Ce dernier commentaire en dit long sur les méthodes de Cannon. C’est précisément ainsi qu’il opérait contre ses opposants dans le SWP. Ces méthodes finirent par imposer un régime bureaucratique à la soi-disant IVe Internationale.
On ne sait pas ce que Trotsky répondit aux calomnies de Cannon. Il semble les avoir ignorées. Sans information de première main, il préférait sûrement attendre de voir comment les choses allaient se développer. Trotsky, qui ne formait jamais de jugements hâtifs, se gardait bien de condamner la WIL, qu’il avait précédemment complimentée. Contrairement à ce que prétendent certains sectaires, il ne l’a jamais attaquée : les archives ne témoignent que de ses éloges pour les initiatives de la WIL.
« Dès lors », expliquait Ted Grant, « Cannon nourrit une profonde rancune à l’égard de la WIL et de sa direction, ce qui allait avoir de graves répercussions à l’avenir ». [9]
Cette rancune, qui devint une haine venimeuse, transparaît dans ce que déclara ensuite Cannon lui-même :
« Tous les crimes et les erreurs de cette fraction Haston, pourrie jusqu’à la moelle, trouvent leurs origines dans cette clique sans principes de 1938. Quand je me rendis en Angleterre un peu plus tard dans l’année, à la veille du premier congrès mondial, je dénonçai l’absence de principes de la jeune fraction Lee-Haston. Je n’ai jamais eu la moindre confiance en eux, quoi qu’ils aient pu écrire ou voter par la suite. » [10]
Cet extrait résume toute l’approche de Cannon. Parmi tous les « dirigeants » de la IVe Internationale, il était probablement le meilleur. Mais après la mort de Trotsky, il s’est pris pour le dirigeant : le seul homme digne de représenter l’héritage de Trotsky.
Il n’était pas à la hauteur de cette tâche. Cannon n’était certainement pas un théoricien. Et il en était même fier, déclarant qu’il avait « toujours durement sévi contre ceux qui le qualifiaient de théoricien ». [11]
C’était un homme d’appareil, un « praticien » à l’esprit étroit, qui n’avait qu’une conception rudimentaire du marxisme. Manquant d’une compréhension profonde de la théorie, il était incapable de répondre sérieusement aux critiques. Il se contentait de les dénoncer avec des mots très durs et, si nécessaire, recourait à des mesures administratives pour les réduire au silence. Il se vantait de son rôle de « dur à cuire » :
« Quand j’ai quitté le PC après neuf ans, j’étais un voyou fractionnel de première classe. Autrement, comment aurais-je survécu ? Je savais que quand quelqu’un veut se battre, il faut le cogner. C’est tout ce que je savais. »
Cette attitude transparut clairement dans les débats avec Schachtman et l’opposition du SWP en 1939-1940, et Trotsky la critiqua sévèrement. Cannon reconnut plus tard que Trotsky avait eu raison contre lui :
« Je pense que Trotsky avait raison quand il disait que dans la longue lutte entre Cannon et Abern la vérité historique était du côté de Cannon, mais que cela ne veut pas dire que j’avais raison sur tout. J’avais tort sur plein de choses, et notamment dans mes méthodes, dans mon impatience et dans ma brutalité avec les camarades. » [12]
En d’autres termes, Cannon était un pur produit de la tradition zinoviéviste, où l’on utilisait habituellement des manœuvres organisationnelles sans scrupules pour faire taire, dénoncer et couvrir la voix de ses opposants – plutôt que de leur répondre avec des arguments comme l’avaient toujours fait Lénine et Trotsky.
Il apparut bientôt que la conférence de fondation de la IVe Internationale avait commis une erreur en reconnaissant la RSL et en condamnant la WIL.
L’encre avait à peine séché sur l’accord « de paix et d’unité » quand les fissures au sein de la RSL « unifiée » apparurent. Elles s’élargirent jusqu’à la scission. Le RSP scissionna avant la fin de l’année. La « gauche » suivit et fonda sa propre Revolutionary Workers League (RWL). Puis ce fut la débandade.
Comme l’expliqua alors la WIL dans une déclaration :
« On en était revenu à l’ancienne situation, mais avec encore plus de chaos que par le passé. Notre mouvement continuait de ne consister qu’en une série d’« états-major » sans armées. »
Cannon le déplora, mais il n’était pas prêt à l’admettre. Quant à la WIL, elle allait de succès en succès.
Comme l’expliquait un rapport de la WIL :
« Durant cette période, la WIL poursuivit son travail, convaincue que le seul moyen de sortir le trotskysme britannique de son impasse était de tourner le dos au vieil esprit de clique et au milieu petit-bourgeois, et de recruter des travailleurs pour renforcer les rangs du mouvement. Il est clair que nous souffrions de la condamnation du SI. Mais vu que nous avions la bonne politique et une attitude correcte, l’harmonie générale de nos rangs nous donnait une supériorité dans l’orientation et l’organisation de nos cadres. Une nouvelle phase s’ouvrait dans le développement de notre mouvement. » [13]
Le déménagement de l’Internationale à New York
Lorsque la guerre éclata en septembre 1939, il fut décidé de transférer le siège de la IVe Internationale à New York. Cela signifie concrètement que le SWP dirigea l’organisation pendant la guerre. Sam Gordon, un larbin de Cannon, en fut nommé secrétaire administratif.
Avec la guerre et l’occupation de l’Europe par Hitler, les sections européennes furent forcées de passer dans la clandestinité ou cessèrent d’opérer. Même là où elles maintinrent une activité, elles étaient gangrenées par la confusion et les divergences politiques. Il n’y eut pratiquement aucun contact entre New York et les vestiges des groupes trotskystes européens.
Il y avait beaucoup de divergences sur la question de la politique militaire prolétarienne élaborée par Trotsky, à laquelle beaucoup s’opposèrent. Plusieurs sections allèrent jusqu’à accuser de « social-patriotisme ».
Ce n’était pas une divergence secondaire. La politique militaire prolétarienne était une contribution extrêmement importante, élaborée par Trotsky à la veille de la Seconde Guerre mondiale. C’était une extension de la politique de « défaitisme révolutionnaire » conçue par Lénine pendant la Première Guerre mondiale. Mais tandis que la politique de Lénine visait les cadres, celle de Trotsky s’adressait aux masses. Trotsky expliquait que les révolutionnaires devaient adapter leur programme aux besoins de la situation, en tenant compte des sentiments défensistes dans la classe ouvrière. Tout en s’opposant à la guerre impérialiste, il fallait arriver à entrer en contact avec les travailleurs qui voulaient combattre Hitler.
Les travailleurs ne pouvaient accorder aucune confiance aux capitalistes. Ils n’étaient pas pacifistes et avaient besoin de leur propre programme militaire révolutionnaire : la prise du pouvoir par la classe ouvrière, pour mener une guerre révolutionnaire contre le fascisme.
Mais beaucoup de sections de la IVe Internationale étaient gangrenées par le sectarisme, qu’elles avaient hérité de la période précédente.
La RSL britannique – qui était, rappelons-le, la section officielle de la IVe Internationale – s’opposa immédiatement à cette politique. La section belge retira toutes les références à la politique militaire prolétarienne dans sa version du Manifeste d’alarme rédigé en 1940 par Trotsky. Les Français aussi avaient leurs « réserves », de même que le Secrétariat Européen dirigé par Marcel Hic, puis par Raptis (Michel Pablo) après son arrestation. Comme on peut le voir, l’opposition à la politique militaire prolétarienne – sur des bases sectaires – se manifesta jusqu’au sommet de l’Internationale.
Un certain « Arn », militant français ou belge, envoya une contribution au SI, intitulée « Au sujet d’une politique militaire du prolétariat : le Vieux a-t-il tué le trotskysme ? ». Il y accusait Trotsky de « chauvinisme pur et simple » et affirmait : « il faut poser ouvertement et franchement la question de savoir si nous pouvons continuer à nous couvrir de l’appellation de trotskystes lorsque le leader de la IVe l’a galvaudée dans la boue du social-chauvinisme ».
Cet exemple donne un aperçu de la confusion qui régnait alors dans les rangs de la IVe Internationale.
L’effondrement de la RSL
A la mort de Trotsky en août 1940, la RSL était dans un état de déliquescence. La même année, la Conférence d’alarme de la IVe Internationale déplorait « que pas moins de quatre groupes se réclamant de la IVe Internationale existent en dehors de notre section officielle en Grande-Bretagne ». La résolution concluait dans un élan d’optimisme en saluant « la naissance prochaine de la section britannique unifiée. » [14]
Le problème était que la RSL était un groupe sectaire. Elle rejetait la politique militaire prolétarienne de Trotsky et avait fait de l’entrisme dans le parti travailliste un véritable fétiche, alors même que la vie intérieure du Labour s’était effondrée. L’activité de la RSL était réduite à des discussions internes, ce qui témoignait de son isolement. De fait, elle était passée « dans la clandestinité » – sans que personne ne s’en rende compte.
A l’inverse, les camarades de la WIL surent se mettre au travail et s’adapter à la situation quand la guerre éclata, en septembre 1939. Au cours de la guerre, les camarades menèrent une activité révolutionnaire plus efficace que tous les autres groupes de la IVe Internationale. Ils appliquèrent la politique militaire prolétarienne avec enthousiasme et efficacité, dans les usines et dans les forces armées, à une échelle inédite.
Parmi les groupes trotskystes, la WIL fut la plus efficace dans l’application de la méthode de Trotsky. Elle démontra sa profonde compréhension des idées et une grande flexibilité tactique. Cette approche transparaît dans le document Preparing for Power, écrit par Ted Grant, ainsi que dans sa Réponse à la RSL.
Au fil de la guerre, le sectarisme de la RSL devint de plus de plus gênant pour les Américains, et en particulier pour Cannon. Non contents de rejeter la politique militaire prolétarienne, ils avaient même fait de son rejet un critère d’adhésion à leur organisation ! A l’été 1943, leurs effectifs étaient tombés à 23 membres : ils s’étaient effondrés. Il fallait agir, mais Cannon avait besoin de le faire sans devoir reconnaître d’aucune manière que la WIL avait eu raison depuis le début. Il recourut donc à une série de manœuvres.
Dès juin 1942, la direction internationale écrivait à la RSL pour l’exhorter à préparer une fusion avec la WIL. La RSL rejeta la fusion, mais accepta de mener une série de débats politiques. Ces débats ne firent qu’approfondir les désaccords.
Le SI cherchait à résoudre le problème par des moyens organisationnels. Ils commencèrent donc à collaborer avec Gerry Healy, qui avait lui-même nourri une profonde rancune à l’égard des dirigeants de la WIL, Grant et Haston.
Gerry Healy
Healy était un des tout premiers membres de la WIL. Il avait un talent organisationnel certain et de l’énergie, mais c’était un élément instable. Il était enclin à démissionner de l’organisation à la légère, pour faire pression sur la direction. Malgré ses ultimatums et ses heurts avec les camarades, il finissait toujours par être réadmis, dans l’espoir que ses compétences organisationnelles puissent servir d’une façon ou d’une autre.
Lors d’une réunion du comité central en février 1943, Healy démissionna encore une fois, annonçant qu’il allait rejoindre l’ILP car il était impossible de « continuer à travailler avec J. Haston, M. Lee et E. Grant ». Suite à cet esclandre, il fut exclu par un vote unanime du CC.
Il fut encore une fois réadmis, mais au vu de son passé, il lui fut interdit d’exercer une quelconque responsabilité. Cela ne fit qu'approfondir sa rancune contre la direction. Il commença donc à mener un travail fractionnel au sein de la WIL pour le compte du SI et de Cannon, avec qui il était entré en contact en 1943.
Après la désintégration de la RSL, le SI dut intervenir pour la reconstituer en forçant ses différentes scissions à se recomposer. Puis, des « négociations » avec la WIL conduisirent à la formation du Revolutionary Communist Party (RCP) en mars 1944.
Vu l’état de la RSL, la fusion fut en fait en une absorption de celle-ci par la WIL. Cela se refléta dans la composition des délégués au congrès de fondation du RCP en 1944 : la WIL en envoya 52, contre seulement 17 pour les différentes composantes de la RSL.
Quelques mois à peine après la fusion, la direction internationale entama une campagne pour discréditer la nouvelle direction du RCP. Dans son bulletin international de juin 1944, le SWP publia un compte-rendu du congrès de fondation du RCP, qui était truffé d’erreurs, de distorsions, de calomnies et de critiques infondées contre la direction britannique, l’accusant d’etre marquée par une « déviation à coloration nationaliste ».
« Naturellement », affirmait le rapport, « la direction apporte dans le RCP toutes les caractéristiques positives, comme négatives, qui étaient celles de la WIL. »
Les dirigeants du RCP réagirent rapidement à ce « rapport » hostile. Ils adressèrent une réponse cinglante aux dirigeants du SWP, démontant systématiquement chaque calomnie.
Dans leur lettre, il attaquèrent aussi les méthodes sournoises de la direction du SWP, qui ne pouvaient que nourrir la défiance au sein de l’Internationale.
La réponse du RCP finit ainsi :
« Nous dirons, pour conclure cette lettre, qu’il ne nous a pas fait plaisir de l’écrire. Elle nous a forcé à nous détourner pour un temps de tâches politiques plus pressantes. Si des camarades trouvent notre ton plus dur qu’il ne faudrait dans ces circonstances, qu’ils sachent que nous l’avons modéré. Nous préférons minimiser la situation plutôt que de l’exacerber. La responsabilité du conflit repose entièrement sur les épaules de Stuart [Sam Gordon] et de ses amis proches. Nous souhaitons une collaboration internationale loyale avec le SWP et sa direction, avec qui nous sommes d’accord politiquement sur tous les sujets importants. Mais nous nous opposons à ce que la direction américaine, ou une fraction de celle-ci, introduise une fraction organisée ou une clique dans la section britannique. Ce sont les méthodes internationales de Zinoviev, et non celles de Trotsky. » [souligné dans l’original]
La lettre, datée de janvier 1945, était signée par le bureau politique du RCP.
Cannon la considéra sans aucun doute comme un affront. Il était plus que jamais déterminé à écraser par tous les moyens la « déloyale » direction britannique.
Morrow et Goldman
Puisque la direction de l’Internationale, et en particulier celle du SWP, refusait de reconnaître la réalité, une opposition commença à se former fin 1943 autour des dirigeants américains Albert Goldman et Felix Morrow.
Morrow et Goldman s’opposaient aux dirigeants du SWP qui prétendaient qu’il ne pourrait pas y avoir de démocratie bourgeoise après la guerre.
Au plénum d’octobre 1943 du SWP, la résolution de la majorité déclarait la chose suivante : « L’Europe, aujourd’hui sous l’esclavage nazi, sera demain envahie par l’impérialisme anglo-américain également pillard », qui compte « établir des dictatures militaires-monarchistes-cléricales sous la tutelle et l’hégémonie du grand capital anglo-américain. »
Plus loin : « L’alternative, du point de vue de Roosevelt-Churchill, est ou bien un gouvernement du type de Franco ou bien le spectre de la révolution socialiste. » [15]
La résolution finalement adoptée par la sixième conférence du SWP en novembre 1944 formulait cette position de la manière suivante :
« La démocratie bourgeoise, qui s’est épanouie avec l’ascension et l’expansion du capitalisme – et avec la modération des conflits de classes qui constituait la base de la collaboration entre les classes dans les pays capitalistes avancés – est aujourd’hui dépassée, en Europe. Le capitalisme européen agonisant est déchiré par de sanglantes et irréconciliables luttes de classes. Les impérialistes anglo-américains comprennent que la démocratie est désormais incompatible avec le maintien de l’exploitation capitaliste. » [16]
Morrow et Goldman estimaient au contraire que la bourgeoisie pourrait utiliser des méthodes démocratiques-bourgeoises pour contenir la révolution européenne. Ils pensaient que le stalinisme serait renforcé par les victoires de l’Armée rouge, et non affaibli comme le prétendaient les dirigeants du SWP. Ils croyaient aussi que la IVe Internationale devait lutter avec énergie pour des revendications démocratiques et transitoires.
Morrow et Goldman avaient raison de réclamer la mise à jour des perspectives de 1938 et de critiquer les dirigeants du SWP. Mais ils restaient très prudents dans leurs tentatives pour présenter une alternative.
Au vu de la faiblesse des forces du trotskysme, Morrow et Goldman finirent par proposer de mener un travail entriste dans les organisations de masse. Mais il n’y avait pas d'effervescence ni de courants oppositionnels massifs dans ces organisations, ce qui retirait toute base à une telle approche.
Malgré leurs erreurs, Morrow et Goldman eurent le mérite de tenter de réévaluer la situation en tenant compte des développements de la guerre. Leur position pointait dans la bonne direction sous de nombreux aspects. Le problème de Morrow et Goldman fut qu’ils étaient très minoritaires dans le SWP, un parti dominé par le régime de Cannon. Si le régime du SWP avait été sain, leurs idées auraient donné lieu à un débat démocratique, qui aurait pu aboutir à une position plus correcte.
Il est en tout cas certain que leur position était mille fois meilleure que celle de la direction de Cannon.
Le régime de Cannon
La direction Cannon s’en tenait à la perspective de 1938 de Trotsky. Elle refusait de reconnaître que la situation s’était changée et enfouit sa tête dans le sable. En 1945, Cannon alla jusqu’à nier que la Seconde Guerre mondiale était finie.
Le RCP britannique s’insurgea contre ces inepties. Cannon ne put le tolérer, et condamna à la fois Morrow-Goldman et le RCP.
Cannon passa à l’offensive lors d’une réunion du comité national du SWP, les 6 et 7 octobre 1945. Il prononça un discours au vitriol, qui se concluait par ces mots :
« Vous constituez un bloc, et vous vous en cachez déjà, mais nous dévoilerons ce bloc et tout ce qui va avec. Nous mènerons la lutte à l’échelle internationale. Allez donc vous ranger avec votre bloc. Nous, nous travaillerons avec ceux qui partagent nos principes, notre programme et nos méthodes. Nous nous battrons, et nous verrons ce qui adviendra dans l’Internationale. » [17]
Epuisé par un harcèlement constant, Goldman finit par s’en aller, tandis que Morrow fut exclu du SWP en 1946.
C’est lors de cette même réunion durant laquelle il attaqua le RCP que Cannon admit qu’il avait été un partisan de Zinoviev, lors de ses neuf ans à la tête du parti communiste américain : « comme tous les dirigeants du parti américain à cette époque, j’étais pourrait-on dire un zinoviéviste. » C’était une très mauvaise tradition, et les habitudes qu’il y prit le marquèrent toute sa vie.
Les méthodes en vigueur dans le SWP contrastaient avec le régime démocratique de la section britannique. Au sein du RCP, ceux qui cherchaient à réévaluer la situation en Grande-Bretagne étaient largement majoritaires. Ils appartenaient à un parti qui encourageait le développement de telles idées, sans obstacles bureaucratiques ni accusations de « scepticisme ».
Une analyse visionnaire
Le RCP fut la seule section de l’Internationale qui parvint à analyser correctement la nouvelle situation. Ted Grant expliquait que la situation était tout à fait différente de ce qui avait été anticipé en 1940. Elle posait des questions théoriques difficiles et inédites. Il leur apporta une réponse visionnaire dans Le nouveau rapport de forces en Europe et le rôle de la Quatrième Internationale, un document adopté par le comité central du RCP en mars 1945.
Ce document de perspectives expliquait que les prémisses politiques pour une relative stabilisation de la situation politique existaient alors en Europe de l’Ouest. La vague révolutionnaire, que Trotsky avait anticipée, avait été trahie par les dirigeants staliniens et sociaux-démocrates.
En Italie et en France, ils avaient rejoint des gouvernements bourgeois pour sauver le capitalisme. Les forces de la IVe Internationale étaient malheureusement trop faibles pour l’empêcher. Cette trahison forma la base de ce que Ted Grant qualifia de « contre-révolution sous un forme “démocratique” » :
« La social-démocratie a sauvé le capitalisme après la dernière guerre. Aujourd’hui, le capital a deux « internationales » traîtresses à son service : le stalinisme et la social-démocratie. [...]
« Les Anglo-américains doivent opérer des manœuvres complexes et très adroites pour rétablir « l’ordre » et la domination du capital en Europe. Le bâton ne suffira pas, à ce stade, pour diriger les masses : il faudra recourir à toutes sortes de carottes, comme le « progrès », les « réformes » et la « démocratie », présentées comme des antidotes aux horreurs du totalitarisme. »
A propos de l’Union soviétique, il expliquait que la lassitude vis-à-vis de la guerre, en particulier en Europe, l’admiration et le soutien pour l’Armée rouge, et les sympathies pro-soviétiques des masses rendraient extrêmement difficile, sinon impossible, pour les Alliés de lancer une attaque contre l’URSS dans l’immédiat après-guerre.
Ted développa ces idées en octobre 1945 dans Le caractère de la révolution européenne :
« La période de “démocratie” en Europe ne découlera pas de la nécessité d’une phase de révolution démocratique, mais des trahisons des vieilles organisations ouvrières. [...] Si le capitalisme peut respirer, c’est seulement en raison de la faiblesse du parti révolutionnaire et du rôle contre-révolutionnaire du stalinisme. Puisqu’il lui est pratiquement impossible de gouverner par le biais de dictatures fascistes ou militaires, la bourgeoisie s’en remet - pour le moment - aux manipulations bourgeoises-démocratiques de ses relais stalino-réformistes. Cela ne constitue pas une révolution démocratique, mais au contraire une contre-révolution démocratique préventive contre le prolétariat. »
Le RCP parvint ainsi à identifier et à comprendre les importantes transformations qui s’annonçaient. Dès le début de 1945, il développa des divergences politiques fondamentales avec la direction internationale, qui ne comprenait pas le nouveau rapport de forces et la nécessité de réarmer le mouvement avec de nouvelles perspectives.
Agrippés aux vieilles positions
Le SWP n’était pas seul à prétendre que la démocratie bourgeoise était impossible en Europe. Une conférence européenne se tint en France en février 1944. Les groupes qui y participèrent, actifs en France, en Belgique, en Grèce et en Espagne, adoptèrent un document dont les perspectives pour l'Europe étaient identiques à celles du SWP.
Bien sûr, une erreur n’est pas une tragédie si on la corrige. Mais si ce n’est pas le cas, elle conduit à d’autres erreurs. Et ces erreurs peuvent devenir une tendance.
C’est ce qui se produisit. Cannon expliquait que seule la première « étape » de la guerre s’était achevée, et que les impérialistes préparaient activement la deuxième : une Troisième Guerre mondiale. Il commença immédiatement à proclamer l’imminence d’une guerre impérialiste contre l’Union soviétique.
L’idée d’une guerre imminente contre l’Union soviétique fut constamment répétée, de plus en plus fort, au cours de cette période.
Cette position était aussi la conséquence logique de leur idée fausse selon laquelle l’Union soviétique aurait été affaiblie par la guerre. En réalité, le stalinisme s’était massivement renforcé, aussi bien militairement que du point de vue de l’autorité de l’URSS aux yeux des masses de la planète.
Comme l’écrivait Ted Grant en mars 1945 : « Le développement le plus important à l’échelle mondiale est, sans conteste, l’émergence de la Russie, qui est désormais – et pour la première fois – la plus grande puissance militaire d’Europe et d’Asie. »
Mais les dirigeants du SWP allèrent encore plus loin dans leur erreur. Puisqu’ils pensaient que le stalinisme était très faible, ils affirmèrent que le capitalisme pourrait être restauré en Union soviétique sans même une intervention militaire, « par la simple combinaison de pressions économiques, politiques et diplomatiques, et de menaces des impérialismes américain et britannique. » [18]
Une erreur grotesque avait simplement mené à une autre.
Les perspectives économiques
Ces « dirigeants » nièrent ensuite qu’il puisse y avoir une reprise économique en Europe. En novembre 1946, ER Frank (Bert Cochran) ouvrit la 12e convention nationale du SWP par ces mots :
« Dans les conditions actuelles, la reprise et la reconstruction en Europe seront très lentes et auront des résultats très faibles, qui n’atteindront même pas les niveaux d’avant-guerre. Sous tutelle américaine, l’économie européenne est condamnée à la stagnation et au déclin. » [19]
En réalité, une reprise économique était bien en train de démarrer.
En juillet 1947, pour soutenir la minorité menée par Healy contre la majorité du RCP, le « grand économiste » de l’Internationale Ernest Mandel déclara qu’il fallait « dès maintenant abandonner toute jonglerie avec un boom qui n’a pas existé et que le capitalisme britannique ne connaîtra plus jamais. »
Il affirma ensuite la chose suivante :
« Si les camarades de la majorité du RCP voulaient prendre au sérieux leur propre définition, ils devraient en conclure que nous sommes en présence d’un “boom” dans TOUTE L’EUROPE CAPITALISTE, car dans tous ces pays la production se “développe”. » [20]
Ces arguments n’étaient qu’une répétition de ceux des staliniens durant la « troisième période », qui défendaient l’idée absurde d’une « crise finale du capitalisme ».
Une préconférence internationale fut organisée à Paris en avril 1946 avec des représentants de 15 groupes, dont Haston pour la majorité du RCP et Healy et Goffe pour la minorité.
La résolution du SI pour la préconférence, soutenue par la minorité de Healy en Grande-Bretagne, affirmait :
« La reprise de l'activité économique des pays capitalistes atteints par la guerre, en particulier des pays de l'Europe continentale, sera caractérisée par des rythmes particulièrement lents qui la maintiendront pour longtemps à des niveaux voisins de la stagnation et du marasme. » [21]
Selon eux, la production ne pourrait plus jamais dépasser son niveau de 1938. Mais elle le surpassa pourtant rapidement, car la croissance avait repris.
La résolution répétait toutes les erreurs précédentes et soutenait la position du SWP américain. Elle expliquait qu’il ne pourrait pas y avoir de période de démocratie bourgeoise, mais seulement du bonapartisme, qu’il n’y aurait pas de croissance, et que la Russie pourrait bientôt connaître une contre-révolution, même uniquement par des méthodes diplomatiques pacifiques.
Seule la majorité du RCP se dressa contre ces inepties. Le capitalisme n’était pas confronté à une crise de surproduction, mais plutôt à une crise de sous-production. Un cycle de croissance était donc inévitable. Le RCP l’expliqua dans un amendement à la résolution de la préconférence internationale :
« Tous les facteurs, à l'échelle mondiale et européenne, indiquent que l'activité économique en Europe occidentale dans la prochaine période ne peut être caractérisée par "la stagnation et le marasme", mais comme une période de reprise et d'essor. » [22]
Tous les amendements du RCP qui tentèrent de corriger la position du SI sur ces questions furent largement rejetés.
Dictatures militaires
Les idées et perspectives erronées du SI ne pouvaient que désorienter et affaiblir les petites sections européennes de l’Internationale. Par exemple, la section française, qui était persuadée que la démocratie bourgeoise ne durerait pas et qui craignait la répression, refusa de sortir de la clandestinité après l’arrivée des troupes alliées. Pierre Frank avait alors réussi à réintégrer le mouvement trotskyste, et était devenu un dirigeant du Parti Communiste Internationaliste (PCI). Il était tellement convaincu par cette théorie qu’il affirma non seulement que la France de 1946 était soumise à un régime de dictature militaire, mais que cet état de fait durait depuis 1934 !
Frank, qui avait aussi intégré le SI, déclara que l’idée d’une « contre-révolution démocratique » était une « expression dépourvue de sens ».
Ted Grant lui répondit, dans le document Démocratie ou bonapartisme en Europe : une réponse à Pierre Frank (août 1946), qu’il « aurait alors du mal à expliquer ce qu’était la république de Weimar, instaurée par la social-démocratie allemande. » Il démonta un à un les arguments de Frank.
« Les événements ont démontré la justesse de cette analyse. Plutôt que d’admettre une erreur de perspective, Frank nie la réalité et tente de faire de son erreur une vertu. [...] La déclaration de 1940 du SI était incorrecte. Nous avons commis la même erreur. C’était excusable, au vu des circonstances. Mais répéter en 1946 une erreur qui était déjà évidente en 1943 est inexcusable. » [C’est nous qui soulignons.]
Cette contribution de Ted Grant est l’une des œuvres cruciales qui tracèrent la limite entre la méthode et l’approche du marxisme authentique et le point de vue éclectique et petit-bourgeois du Secrétariat international.
Pierre Frank
Il faut mentionner le parcours politique et l’opinion de Trotsky sur Pierre Frank. Fin 1935, Molinier et Frank rompirent avec le mouvement trotskyste pour fonder un soi-disant journal « de masse ». Dans une lettre du 3 décembre 1935, Trotsky écrivit :
« Il n’y a aucun contenu politique dans l’attitude de Molinier et de Frank. Ils capitulent devant la vague patriotique. Tout le reste n’est que phrases, sans valeur aux yeux d’un marxiste sérieux. [...] Il vaut cent fois mieux une rupture ouverte et honnête que des concessions ambiguës à ceux qui capitulent devant la vague patriotique. » [23]
Il insista, dans une lettre du 4 décembre 1935, en condamnant « l’abdication des principes » par Pierre Frank :
« Nous avons lutté en permanence contre les Pierre Frank, en Allemagne et en Espagne, contre les sceptiques, contre les aventuriers aussi qui ont voulu faire des miracles — en se cassant le cou. » [24]
Trotsky insista pour que Pierre Frank soit exclu, et avertit qu’il ne devrait pas être réadmis dans les rangs de l’Opposition. Mais après la guerre, Frank soutint Healy dans le RCP britannique, avant de retourner en France où il adhéra au PCI. Il fut élu délégué à la conférence de 1946, puis au SI. En se faufilant, il parvint ainsi à réintégrer la IVe Internationale malgré les sérieuses réticences de Trotsky.
L’accord diplomatique de Pablo
Le SI était désormais revenu en Europe et Cannon voulait le tenir à l’écart des questions américaines. Il voulait que les Américains puissent gérer leurs propres affaires sans ingérences étrangères.
Comme il le reconnut plus tard :
« Nous avions une relation de collaboration et de soutien étroit avec la direction européenne à l’époque. Nous étions largement d’accord. Ces gens étaient inconnus dans notre parti. Personne n’avait entendu parler d’eux. Nous avons aidé à faire connaître ces dirigeants, en les mettant en valeur auprès de nos membres, et en les aidant à construire leur prestige. Nous l’avons fait parce que nous étions d’accord avec eux et parce qu’ils avaient besoin de notre appui. Ils avaient besoin de gagner en autorité, ici et partout dans le monde. Le fait d’être soutenus par le SWP les a grandement aidés à renforcer leur position, et leur a permis de faire du bon travail. »
Plus loin, il admet même : « Nous sommes allés jusqu’à minimiser nos désaccords avec eux. » [25]
C’est donc sans surprise que Cannon fit l’éloge du nouveau secrétaire de l’Internationale, Michel Pablo, qui était sur la même longueur d’onde : « C’est un écrivain prolifique, mais nous ne recevons aucune directive personnelle de sa part. Il n’écrit jamais de lettres personnelles pour critiquer ou féliciter le SWP, ni pour nous dire quoi faire. »
Michel Pablo (Raptis) fut élu secrétaire du SI reconstitué lors de la préconférence mondiale de 1946, avec le soutien du SWP. Devenu l’homme de Cannon en Europe, il se rendit à New York début 1947 pour consolider cette relation.
Il fut accompagné par Sam Gordon, l’agent du SWP en Europe. Ce voyage fut clairement organisé pour des raisons « diplomatiques », et Pablo resta très discret à son sujet. Il s’agissait de renforcer les liens entre le SI à Paris et Cannon à New York. Désormais main dans la main, ils s’engagèrent sur la voie qui devait mener à la destruction de la IVe Internationale.
Début février 1947, Cannon écrivit au comité national du SWP : « Le SWP ne tolérera plus les bêtises avec la discipline. Nous ne laisserons aucune place aux manœuvres unitaires [avec le Workers Party de Schachtman]. » Il décrivit ensuite la visite de Pablo :
« Comme vous le savez, nous avons reçu la visite de Ted [Sam Gordon] et Gabe [Michel Pablo]. Nous avons échangé avec eux et établi un plan pour mettre un terme à toute ambiguïté, et traiter définitivement toutes les questions en vue du congrès mondial, qui se tiendra cet automne. [...]
Les informations fournies par Gabe [Pablo] et Ted [Gordon] permettent d’affirmer que la véritable tendance marxiste orthodoxe aura une large majorité au congrès sur toutes les questions en débat. L’expérience et les discussions passées ont préparé cette victoire du trotskisme authentique dans le mouvement mondial. »
Il fixa ensuite les règles, dans ses termes habituels :
« Ceux qui accepteront les décisions du congrès et se plieront à les appliquer pourront rester dans l’organisation. Ceux qui refuseront d’accepter les décisions seront automatiquement exclus. Et ceux qui “accepteront” les décisions en paroles seulement pour les violer ensuite seront exclus également. » [26]
Le « plan » dont parlait Cannon consistait clairement à chasser toute opposition (les « bêtises »), dans le cadre d’une alliance internationale contre la majorité du RCP. La tactique était de faire scissionner le RCP et de reconnaître deux sections en Grande-Bretagne : la majoritaire, dirigée par Haston et Grant, et la minoritaire, dirigée par Healy. Ils utilisèrent les mêmes méthodes contre les dirigeants oppositionnels français Demazière et Craipeau.
Les faits donnèrent raison à la direction du RCP sur toutes les questions fondamentales, ce que les « chefs » de la Quatrième ne pouvaient pas supporter tant ils tenaient à leur prestige. Il leur fallait urgemment résoudre le « problème » britannique. C’est pourquoi, à partir de 1945, Cannon, Pablo, Mandel, Frank et leurs acolytes complotèrent pour détruire le RCP, la section la plus visionnaire de la Quatrième Internationale, dont la ligne politique aurait pu réarmer le mouvement et le sauver de la destruction.
Mais c’était précisément cela que les soi-disant chefs de la IVe ne pouvaient supporter. Cannon en particulier détestait avoir tort – bien que ce fût souvent le cas. Il exprima ses intentions dans une lettre à Healy :
« Il faudra faire sauter tout le système Haston pour qu’une véritable organisation trotskyste puisse se constituer en Angleterre. Le plus dommage et le plus regrettable, c’est que ce fait n’ait pas été compris plus tôt. » [27]
Il ne souhaitait pas « faire sauter » seulement le RCP, mais toute forme d’opposition. Son plan criminel pour détruire le RCP devenait chaque jour plus urgent, car les dirigeants de la Quatrième commettaient toutes les erreurs imaginables - et même d’autres encore.
L’entrisme
Cannon était en contact régulier avec Healy en Grande-Bretagne, comme ce dernier l’expliqua lui-même :
« Les membres du SWP nous furent particulièrement utiles entre 1943 et 1949, dans la lutte contre la clique de Haston. Ce groupe, qui constituait la majorité de l’organisation trotskyste en Angleterre était essentiellement dirigé par Haston, sa femme Mildred Haston et Ted Grant. » [28]
Gerry Healy était donc une créature de Cannon. Il intensifia ses manœuvres et fonda une fraction « anti-direction » dans le RCP, sur la base de divergences artificielles. Lors de la conférence du RCP en 1945, Healy proposa d’abandonner le travail indépendant du parti et d’entrer dans l’ILP, une idée qui lui avait été soufflée par Pierre Frank.
Mais, les trotskystes ayant été exclus de l’ILP, Healy ne convainquit personne et abandonna discrètement cette proposition. Il revint peu après avec une autre idée, qu’il lança à la légère : entrer dans le Parti travailliste. Les conditions pour l’entrisme, qui avaient été élaborées par Trotsky, n’étaient pourtant pas réunies. Il aurait fallu :
- Une crise prérévolutionnaire ou révolutionnaire ;
- Une fermentation dans une des organisations de masse ;
- La cristallisation d’une tendance de gauche ou centriste en son sein ; et
- La possibilité de cristalliser rapidement une tendance révolutionnaire.
Aucune de ces conditions n’était présente, ce qui n’arrêta pas Healy. Il déclara simplement qu’elles se développeraient bientôt, car la Grande-Bretagne allait connaître une récession cataclysmique. Mais les perspectives de Healy, empruntées au SI, étaient totalement erronées.
Selon les dirigeants du RCP, loin d’une récession, le capitalisme britannique connaissait « une situation économique bien plus stable que ce que les capitalistes, les réformistes, et même les trotskystes imaginaient auparavant. »
Le gouvernement travailliste appliquait véritablement son programme - contrairement à celui de 1929-1931. Les idées du réformisme étaient donc renforcées, et il n’y avait pas de perspective à court terme pour un courant de gauche de masse, ni pour une quelconque fermentation, dans le Parti travailliste. Plutôt qu’une tactique entriste dans le Labour, il fallait mener un travail indépendant sous le drapeau du parti révolutionnaire. Même Van Gelderen, le dirigeant de la fraction du RCP dans le Labour [un petit groupe de camarades du RCP qui animaient une fraction dans le parti travailliste pour voir comment les choses s’y développaient] s’opposa à l’entrisme.
Les dirigeants du RCP étaient conscients des difficultés qui les attendaient : « La crise, bien qu’inévitable, ne sera pas immédiate. Elle aura du retard », expliquait l’éditorial de leur revue théorique. « Le Revolutionary Communist Party base fermement son orientation et sa stratégie sur la perspective d’une crise et d’un déclin à long terme, mais il regarde avec lucidité la reprise conjoncturelle actuelle. » [29]
Pour Healy, tout était bon pour attaquer - et tenter de discréditer - la direction du RCP. Il était bien sûr aidé en cela par la direction de l’Internationale (et par Cannon derrière eux).
En juin 1946, le comité exécutif international (CEI) adopta une résolution appelant à « la concentration de la plus grande partie des forces du RCP dans le Labour Party lui-même, avec pour objectif d’y construire patiemment une aile gauche organisée » et à « peser les possibilités pratiques d’entrée dans ce parti. » Seul un délégué s’y opposa, celui du RCP.
Comme on peut le voir, il n’était plus question d’intervenir dans l’aile gauche, mais de construire une aile gauche – précisément parce qu’il n’y avait pas d’aile gauche dans le parti travailliste. Ainsi naquit l’idée fausse selon laquelle la tâche des trotskystes était de « construire l’aile gauche ».
Healy commença à reprendre les vieilles calomnies de Cannon sur les « déviations nationales insulaires » de la WIL, qui n’avait pas voulu rejoindre la RSL en 1938. Il demanda le remplacement de la direction « anti internationaliste » du RCP par une nouvelle direction plus loyale et fidèle aux idées de l’Internationale.
Avec cette agitation sur l’entrisme, et avec le soutien de l’Internationale, Healy réussit à convaincre environ un quart de la base du RCP. Mais les lignes fractionnelles étaient très nettes, et il ne progressa pas davantage. En 1946 et 1947, il ne recueillit les voix que de sept délégués pour l’entrée immédiate et totale dans le Labour, contre vingt-huit pour la majorité.
Par conséquent, à l’été 1947, la fraction de Healy proposa de scissionner le parti pour permettre à la minorité de mener son propre travail entriste. La question fut étudiée en septembre par le CEI, qui valida la proposition de Healy avec le soutien du SI.
Un mois après, une conférence spéciale du RCP entérina la décision à contrecœur. Le « plan » de Cannon avait réussi.
Il fallut néanmoins plus d’un an à Healy pour lancer son journal, Socialist Outlook, en décembre 1948. Il y développait une timide ligne réformiste de gauche, dans l’espoir de « construire la gauche ». Cette politique fut plus tard appelée « entrisme profond ».
Le deuxième congrès mondial
Le deuxième congrès mondial se tint en Belgique en avril 1948 et réunit des délégués de 19 pays. La direction y réitéra ses perspectives erronées de récession, de fascisme et de guerre mondiale. Elle adopta une résolution générale sur cette base :
« En l’absence d’une issue révolutionnaire, la crise accentuée du capitalisme menace de mener à nouveau au fascisme et à la guerre qui, cette fois-ci, mettrait en péril l’existence et l’avenir de l’humanité tout entière. » [30]
Cette perspective d’une guerre nucléaire et du fascisme était typique de Cannon, Pablo, Mandel et Frank. Ils voulaient absolument maintenir la perspective de 1938, en lui donnant un ton encore plus apocalyptique. Ils n’avaient rien compris à l’expérience de la guerre mondiale et à ses suites.
Ces soi-disant grands « théoriciens » se perdirent également en cafouillages à propos des processus à l'œuvre en Europe de l’Est.
Dans le sillage des victoires de l’Armée rouge, les staliniens avaient établi des régimes alliés, baptisés « démocraties populaires », dans ce qu’on appela le « glacis » soviétique. Ces gouvernements étaient contrôlés par leurs marionnettes. La IVe Internationale, qui continuait de défendre l’Union soviétique en tant qu’Etat ouvrier déformé, devait néanmoins prendre position sur le caractère de classe de ces Etats.
Dès mars 1945, Ted Grant expliquait que Staline avait maintenu le capitalisme dans ces pays, mais que la situation pouvait évoluer, au vu de l’instabilité. Il formulait l’alternative suivante : soit le maintien du capitalisme en Europe de l’Est conduira à la restauration du capitalisme en Russie, « soit la bureaucratie sera forcée, au risque de se mettre à dos ses alliés impérialistes, de nationaliser les industries des pays durablement occupés – si possible par en haut, sans participation des masses. »
Les dirigeants du RCP avaient discuté à nouveau de la nature de classe de la Russie après la guerre. Ils avaient même envisagé la théorie du collectivisme bureaucratique, avancée par Schachtman, selon laquelle la bureaucratie était devenue une nouvelle classe dirigeante. Après une étude attentive, ils avaient décidé de rejeter cette théorie : l’Union soviétique demeurait un Etat ouvrier, monstrueusement déformé.
Bien entendu, la « direction » de la IVe fut incapable de comprendre ce qui se passait en Europe de l’Est. Le SI désigna d’abord ces pays comme de simples Etats capitalistes, et se moqua de la perspective du RCP qui envisageait leur possible transformation en Etats ouvriers déformés.
Des années après, Cannon continua de déformer les positions des camarades du RCP. Début 1953, il écrivait ainsi à Farrel Dobbs :
« Peu après la guerre, Haston et sa clique se prirent de passion pour l’expansion du stalinisme, qu’ils voyaient comme “le courant de l’avenir”. Ils attribuèrent le titre honorifique d’“Etat ouvrier” au moindre bout de territoire occupé par l’Armée rouge. »
Comme toujours, Cannon déformait la position du RCP en prétendant la décrire. Le RCP n’a jamais prétendu que l’entrée de l’Armée rouge en Europe de l’Est avait transformé les territoires occupés en Etats ouvriers.
Le RCP expliquait au contraire que les « démocraties populaires » restaient des régimes capitalistes. A l’origine, Staline n’avait pas l’intention d’exproprier les capitalistes. Il avait ordonné aux partis communistes de former des gouvernements de coalition avec des partis bourgeois. Mais la bourgeoisie avait fui avec les occupants nazis, si bien que ces coalitions ne pouvait en réalité se faire qu’avec « l’ombre de la bourgeoisie ». Le pouvoir restait entre les mains des staliniens et de l’Armée rouge. Cette alliance instable ne fit pas long feu.
Lorsque les impérialistes américains lancèrent le Plan Marshall pour rétablir l’ordre des choses et redonner de la substance à ces « ombres », les staliniens furent contraints de réagir. Il s’appuyèrent donc sur les masses pour exproprier le capitalisme - mais de façon bureaucratique ; pour établir des régimes à l’image de Moscou.
Mais l’Internationale refusa violemment de l’admettre. Mandel interrogeait ainsi Schachtman, sur le ton du sarcasme : « Pense-t-il réellement que la bureaucratie stalinienne a réussi à abattre le capitalisme sur la moitié de notre continent ? » [31]
L’ironie du ton montre que la réponse ne pouvait être que négative. Pour Mandel et les autres dirigeants de la IVe, une telle hypothèse était absolument exclue. Le projet de thèses du SI pour le deuxième congrès mondial d’avril 1948 continuait de souligner la nature capitaliste des pays du « glacis » :
« La nature capitaliste des rapports de production dans les pays du “bloc de l’Est” et les différences fondamentales entre leurs économies et celles de la Russie, même à l’époque de la NEP, ressortent nettement. » [32]
Ces thèses enfoncèrent l’Internationale dans une impasse, en excluant toute transformation de la nature de classe de ces régimes :
« Nier la nature capitaliste de ces pays revient à accepter sous une forme ou une autre les théories révisionnistes des staliniens, c’est-à-dire à envisager la possibilité historique d’une destruction du capitalisme par “la terreur au sommet”, sans l’intervention révolutionnaire des masses. »
Et, plus loin :
« Le fait que le capitalisme subsiste dans ces pays côte-à-côte avec l’exploitation par la bureaucratie stalinienne doit déterminer fondamentalement notre stratégie. Du caractère capitaliste de ces pays découle la nécessité du défaitisme révolutionnaire le plus strict en temps de guerre. »
L’indigence de cette argumentation témoigne d’une approche schématique et abstraite, qui consiste à plaquer des notions préconçues sur la réalité, sans lien avec le cours réel des événements.
Cette approche était en totale contradiction avec la méthode dialectique dont Trotsky s’était servie pour analyser l’attitude des staliniens en Pologne. Il avait alors correctement conclu qu’il était possible que les staliniens introduisent de nouveaux rapports de propriété, semblables à l’économie nationalisée d’Union soviétique, sans participation démocratique de la classe ouvrière.
Comme toujours, Mandel et Pablo tentèrent de couvrir leurs arrières : « On ne peut pas exclure par avance qu’une évolution déterminée des rapports de forces nécessite une véritable assimilation structurelle de tel ou tel pays du “glacis” », ajoutèrent-ils à la résolution, lui faisant donc dire une chose et son contraire.
Mais pour ajouter encore à la confusion, ils précisaient que ce n’était pas la direction dans laquelle allaient les choses. Le secteur privé n’était pas « orienté » en ce sens, et la bureaucratie stalinienne mettait en place de « nouveaux et puissants obstacles » pour parer à cette éventualité.
A cette confusion, les camarades britanniques opposèrent un exemple de clarté et de cohérence politique. Au congrès mondial de 1948, Haston présenta les amendements du RCP qui expliquaient la chose suivante :
« L'économie de ces pays [le “glacis”] s'aligne peu à peu sur celle de l'Union soviétique :
a) fondamentalement, les rapports de propriété capitalistes ont déjà été renversés ou ce renversement est en train de s'accomplir ;
b) le contrôle capitaliste du gouvernement et de l'appareil d'Etat a déjà été anéanti ou est en voie d'anéantissement ;
c) ce processus d'assimilation est le produit nécessaire et inévitable, d'une part, du caractère de classe de l'économie russe et de la prépondérance de l’Etat russe en tant que force militaire et politique dominante dans les rapports actuels des puissances mondiales. » [33]
Comme on pouvait s’y attendre, ils furent largement rejetés.
En avril 1949, douze mois après le coup de Prague, le septième plénum du CEI refusait toujours de reconnaître que le capitalisme avait été aboli en Europe de l’Est. Les pays du “glacis” furent définis comme des Etats bourgeois « d’un type particulier ». Dans son style inimitable, Pierre Frank alla jusqu’à parler d’« Etats bourgeois dégénérés ».
Dans un jeu de cache-cache théorique sur la nature de classe de ces Etats, ils les décrivirent comme « le type même d'une société hybride et transitoire, en pleine transformation, aux contours encore flous et imprécis, dont il est extrêmement difficile de résumer la nature fondamentale dans une formule concise. » [34]
En juillet 1949, dans son rapport au comité politique du SWP sur la résolution du CEI, Max Stein fut forcé de reconnaître les nationalisations qui avaient eu lieu depuis, mais il persistait à balayer les idées du RCP, déclarant qu’il ne traiterait pas « des positions du RCP britannique, qui ne sont pas un facteur nouveau dans la discussion, et dont le point de vue a déjà été présenté au congrès mondial, qui l’a largement rejeté. »
Dans sa conclusion, il mettait à nu la faillite théorique de la majorité :
« Plutôt que de se précipiter à tirer des conclusions sur le caractère social des Etats d’Europe de l’Est, mieux vaut attendre les prochains développements. » [35]
Mais un tournant spectaculaire se produisit avec la rupture entre Tito et Staline. Fidèle à lui-même, Mandel essaya de renforcer sa stature de « théoricien » en écrivant un long document sur la nature de classe de la Yougoslavie et des Etats du « glacis ». Il le publia en octobre 1949 dans le bulletin interne de l’Internationale.
Il commençait par affirmer qu’il fallait étudier les faits, avant d'ignorer l’intégralité des faits connus et de répéter sa position erronée, selon laquelle les pays du « glacis » étaient des Etats capitalistes « en transition ». C’était un élément typique de la méthode malhonnête de Mandel : empiler des qualificatifs sur d’autres qualificatifs, pour pouvoir dire tout et son contraire.
Mandel s’en prenait indirectement au RCP, en leur attribuant des propos qui n’étaient pas les leurs et ne les citant jamais directement. En 1948, le RCP était parvenu à la conclusion que ces régimes étaient des Etats ouvriers déformés staliniens, où le capitalisme avait été éliminé et remplacé par le pouvoir d’une caste dirigeante bureaucratique.
La bureaucratie stalinienne s’était appuyée sur les travailleurs pour exproprier le capitalisme. Mais elle l’avait fait de façon bureaucratique, en veillant soigneusement à empêcher l’instauration d’Etats ouvriers démocratiques comme celui que les bolcheviks avaient créé en Russie en 1917.
Mandel, qui tenait à nier tout rôle progressiste aux staliniens, expliquait que le stalinisme était toujours et invariablement contre-révolutionnaire - et donc organiquement incapable d’aller dans une telle direction :
« Evidemment, si le capitalisme était détruit non seulement en Estonie, en Roumanie, ou même en Pologne, mais dans toute l’Europe et une bonne partie de l’Asie, notre rapport au stalinisme changerait du tout au tout. [...]
Les camarades qui défendent le caractère prolétarien des pays du glacis sont loin d’envisager cela, mais ce serait pourtant la conclusion logique de la voie dans laquelle ils se sont engagés. Cela nous forcerait à revoir tout notre jugement historique sur le stalinisme. Il faudrait expliquer pourquoi le prolétariat s’est montré incapable de renverser le capitalisme sur tous ces territoires, alors que la bureaucratie y est parvenue.
Il nous faudrait expliquer, comme l’ont déjà fait certains camarades du RCP [?], que la mission historique du prolétariat n’est pas de renverser le capitalisme, mais de construire le socialisme, une tâche que la bureaucratie est organiquement incapable d’accomplir. Nous devrions par conséquent abandonner tous les arguments du trotskysme contre le stalinisme depuis 1924, car ils se basent sur l’inévitabilité de la destruction de l’URSS par l’impérialisme en cas d’ajournement prolongé de la révolution mondiale. » [36]
Le premier mot, « évidemment », permettait d’anticiper le résultat de l’argumentation. Si quelque chose est « évident », il n’est pas besoin de le justifier. Si on part du principe que le stalinisme est contre-révolutionnaire par essence, comment pourrait-il abolir les rapports de propriété capitalistes en Europe de l’Est ?
Trotsky a maintes fois expliqué que, dans certaines circonstances exceptionnelles, même les politiciens réformistes pouvaient être forcés d’aller plus loin qu’ils ne le voulaient.
Staline n’avait probablement pas l’intention d’éliminer le capitalisme en Europe de l’Est. Mais il y fut forcé par les manœuvres agressives de l’impérialisme américain, qui tentait d’utiliser le Plan Marshall comme un levier pour renforcer les éléments bourgeois dans les gouvernements de coalition en Pologne et en Tchécoslovaquie.
Staline fut forcé d’agir pour empêcher cela, et il n’eut pas de mal à le faire. Comme le disait Trotsky, il faut un fusil pour tuer un tigre, mais un ongle suffit pour tuer une puce.
La bourgeoisie faible et dégénérée d’Europe de l’Est fut facile à éliminer. Il suffit de simples manœuvres, certes menées par en haut, mais avec le soutien actif des travailleurs qui se mobilisèrent contre les partis bourgeois et pour l’expropriation du capital.
Ces méthodes n’avaient bien sûr rien à voir avec le modèle classique de la révolution prolétarienne – théorisé par Marx, Lénine et Trotsky – qui repose sur le mouvement conscient de la classe ouvrière elle-même.
C’étaient des caricatures bonapartistes de révolutions prolétariennes, qui empêchèrent délibérément les travailleurs de prendre le contrôle de l’Etat et de le gérer démocratiquement par eux-mêmes. Un tel développement aurait posé un danger mortel à Staline et à la bureaucratie de Moscou. Mais l’instauration d’Etats ouvriers déformés, sur le modèle du stalinisme russe, ne les menaçait en rien. Au contraire, Staline et la bureaucratie en furent renforcés.
Ces nouveaux régimes n’avaient rien à voir avec l’Etat ouvrier démocratique instauré par Lénine et Trotsky en Russie en 1917. Mais ils procédèrent bel et bien à l’abolition du capitalisme et à l’établissement d’économies nationalisées et planifiées. En ce sens – et en ce sens seulement – ils accomplirent une des tâches fondamentales de la révolution prolétarienne.
Malgré les distorsions de Mandel, Ted Grant démontra qu’on pouvait tout à fait expliquer les événements d’Europe de l’Est avec la méthode marxiste.
Mandel refusait de voir les choses en face, car elles contredisaient trop frontalement ses idées préconçues. Pour lui, reconnaître que le capitalisme avait été renversé en Europe de l’Est revenait à admettre que le stalinisme pouvait jouer un rôle « révolutionnaire ».
Il est élémentaire pour les marxistes que le véritable socialisme ne peut être réalisé qu’à travers le mouvement conscient de la classe ouvrière. Mais les révolutions d’Europe de l’Est ne furent pas de véritables révolutions prolétariennes. C’en étaient des caricatures bureaucratiques, menées au sommet par la bureaucratie stalinienne – même si elle fut soutenue par des millions de travailleurs, qui applaudirent à l’expropriation de leurs patrons.
Ces méthodes ne pouvaient pas aboutir à des Etats ouvriers sains, et le RCP ne prétendit jamais que cela fut le cas. Elles ne produisirent que de monstrueuses caricatures bureaucratiques du « socialisme » – c’est-à-dire des Etats ouvriers déformés semblables à la Russie stalinienne.
La méthode dialectique de Trotsky était un livre scellé de sept sceaux pour Mandel et les autres « dirigeants » de la IVe Internationale. Partant d’une série de concepts abstraits, ils étaient incapables de comprendre les phénomènes réels qui se déroulaient concrètement sous leurs yeux.
Comme l’expliquait souvent Lénine, la vérité est toujours concrète. Il faut partir des faits, et non d’une théorie préconçue qu’on plaquerait sur la réalité. Trotsky aussi le soulignait :
« Rien n'est plus dangereux que d'éliminer, en poursuivant la précision logique, les éléments qui contrarient dès maintenant nos schémas et peuvent demain les réfuter. » [37]
Ce n’était pas une question secondaire. Cette discussion touchait à la nature de classe de l’Etat, une question cruciale pour la révolution prolétarienne et la théorie marxiste. Ce fut une épreuve révélatrice.
Il est intéressant de comparer la position de l’Internationale à celle que le RCP adopta en 1948, l’année du deuxième congrès mondial.
En Europe de l’Est, expliquait Ted Grant, « nous sommes parvenus à la conclusion qu’il s'agit d’une forme de bonapartisme prolétarien. » Les événements de février 1948 en Tchécoslovaquie avaient confirmé que le processus allait en ce sens. Dans un article sur le « coup de Prague », publié en avril dans Socialist Appeal, Ted expliquait que le gouvernement à dominante stalinienne, qui s’appuyait sur la classe ouvrière à travers des « comités d’action », avait réalisé d’importantes nationalisations dans les principaux secteurs de l’économie, et que « la base économique pour un Etat ouvrier [avait été] établie. »
Mais Ted précisait qu’« il ne suffit pas d’exproprier les capitalistes pour que l’Etat agisse dans l’intérêt de la classe ouvrière. Le contrôle démocratique sur l’appareil d’Etat est une condition essentielle pour avancer vers une société communiste. Tous les grands marxistes l’ont souligné. » Il exposait ensuite les quatre conditions de Lénine pour la démocratie ouvrière, héritées de la Commune de Paris et instaurées par la Révolution russe en 1917.
Les « dirigeants » de la IVe restèrent muets à ce sujet, refusant comme toujours de reconnaître ce qu’ils avaient sous les yeux. Pour eux, la Tchécoslovaquie et le reste de l’Europe de l’Est étaient toujours des Etats capitalistes.
Max Shachtman, qui - à défaut d’autre chose - avait le sens de l’humour, fit cette remarque :
« Tandis que les Britanniques célébrèrent le coup [de Prague] comme une victoire de la classe ouvrière, le reste de la presse trotskyste officielle le décrivit comme une victoire de la bourgeoisie qui, dans son impardonnable perversité, célébrait son triomphe en se défenestrant. »
Ce n’est qu’en juillet 1951, trois ans plus tard, que Mandel et compagnie reconnurent à contrecœur que l’Europe de l’Est avait cessé d’être capitaliste.
La rupture Staline-Tito
Un exemple encore plus frappant de cette méthode fut la position scandaleuse adoptée par ces dirigeants à propos de la situation en Yougoslavie, suite à la rupture entre Staline et Tito en juin 1948.
Le 28 juin 1948, un communiqué extraordinaire du « Bureau d’information communiste » (Cominform) – l’organisation mise sur pied par Moscou pour remplacer l’Internationale Communiste dissoute en 1943 – fit l’effet d’une bombe.
Publié à l’initiative des Russes, il annonçait l’exclusion du Parti communiste yougoslave. Cet événement bouleversa le mouvement staliniste mondial.
La bureaucratie stalinienne de Moscou passa à l’attaque contre Tito, qualifié de « nationaliste » contre-révolutionnaire, de « laquais de l’impérialisme » et de « trotskiste ». En réalité, Tito n’était ni un « trotskiste », ni un « agent fasciste », comme le prétendaient les staliniens. Il était devenu le dirigeant du Parti communiste yougoslave dans les années 1930, après que ses anciens dirigeants aient été assassinés durant les purges staliniennes. Tito, en réalité, était lui-même responsable de l’élimination physique de « trotskistes ».
Alors que l’Armée rouge déferlait sur l’Europe, ce sont les troupes paysannes des Partisans de Tito qui défirent l’occupation nazie de la Yougoslavie. Cela ne concordait pas avec les accords conclus durant la conférence de Moscou en 1944, durant laquelle Staline et Churchill s’étaient entendus pour se partager la Yougoslavie à parts égales.
Dans le cadre de cet accord, Staline soutint l’instauration d’un gouvernement bourgeois monarchique en Yougoslavie, pour tenter de contenir Tito. Il refusa même de fournir des armes et des munitions aux Yougoslaves. Mais, face à la rapide avance des Partisans de Tito, la bourgeoisie – qui avait collaboré avec l’occupant nazi – s’était enfuie en même temps que les troupes allemandes. Ayant remporté la victoire grâce à ses propres forces, Tito refusa de se soumettre aux pressions de Staline. Il occupa rapidement le vide laissé par la fuite des capitalistes et des propriétaires terriens et, s’appuyant sur le soutien des ouvriers et des paysans qui formaient la base de son armée partisane, il élimina le capitalisme et instaura un régime copié sur le modèle de la Russie stalinienne.
C’était, en pratique, un processus semblable à celui qui s’était déroulé en Pologne et en Tchécoslovaquie – mais avec une différence décisive. La libération de la Yougoslavie n’avait pas été menée par l’Armée Rouge soviétique, mais par la puissante armée partisane que commandaient les staliniens yougoslaves.
Cela fournit à Tito une solide base de soutien national, sur laquelle il s’appuya pour mettre en œuvre une politique indépendante de Moscou. Mais les étroits intérêts nationaux des bureaucraties russe et yougoslave entrèrent vite en conflit. La crise éclata lorsque, au début de 1948, les gouvernements yougoslave et bulgare proposèrent la création d’une Fédération balkanique des « démocraties populaires ».
Staline y opposa son véto, mais il rencontra de la résistance. Les staliniens russes envoyèrent des agents du GPU au sein du PC yougoslave pour en prendre le contrôle. Ils furent purgés par Tito, qui contrôlait étroitement l’appareil d’Etat, et disposait d’une base de soutien massive. Ce fut la base sur laquelle se développa la rupture entre Staline et Tito.
Ces événements plongèrent la direction de la Quatrième dans une confusion totale. Malgré les décisions du Congrès mondial, Pablo, dirigeant du SI, vit dans cette crise une occasion en or de rallier les titistes au trotskisme.
Du jour au lendemain, ils abandonnèrent leur idée précédente selon laquelle la Yougoslavie était un Etat capitaliste, adopté à peine deux mois plus tôt, et se précipitèrent pour soutenir Tito.
Deux jours après la déclaration du Cominform qui annonçait la rupture, le SI écrivait aux sections nationales de la Quatrième, pour attirer leur attention sur l’affaire Tito, qui revêtait une « importance exceptionnelle ».
Le jour suivant, le SI publiait une remarquable « Lettre ouverte » au Parti communiste yougoslave. Elle affirmait : « vous êtes maintenant en position de comprendre, à la lumière de l'infâme campagne dont vous êtes les victimes, la véritable signification des Procès de Moscou et de la lutte menée par les staliniens contre le trotskisme [le fait que les dirigeants yougoslaves avaient participé avec enthousiasme à cette lutte n’était pas mentionné]. Nous souhaitons que vous preniez note de la promesse de votre résistance - la promesse d’une résistance victorieuse par un parti ouvrier révolutionnaire face à la plus monstrueuse machine bureaucratique qui ait jamais existé au sein du mouvement ouvrier, la machine du Kremlin. »
La Lettre appelait ensuite le parti yougoslave à « établir un régime de véritable démocratie ouvrière dans votre parti et votre pays ! » et s’achevait par les mots : « Vive la révolution socialiste yougoslave! »
Deux semaines plus tard, le 13 juillet, le SI publiait une deuxième « Lettre ouverte », plus longue, mais encore plus flatteuse, adressée au « Congrès, au Comité central et aux membres du Parti communiste yougoslave ».
Elle appelait le parti yougoslave à introduire la démocratie ouvrière et à revenir au léninisme à l’échelle nationale et internationale : « Nous ne vous cachons pas qu’une telle politique rencontrerait de grands obstacles dans votre pays et même dans vos propres rangs. Une complète rééducation de vos cadres dans l’esprit du véritable léninisme sera nécessaire. [...] nous comprenons parfaitement l'énorme responsabilité qui pèse sur vous… »
La Lettre s’achevait en demandant qu’une délégation de « notre direction puisse assister à votre congrès, pour établir le contact avec le mouvement communiste yougoslave et nouer des liens fraternels [...]. Communistes yougoslaves, unissons nos efforts pour une nouvelle internationale léniniste ! Pour la victoire mondiale du communisme ! ».
Bien entendu, cette flagornerie était en contradiction avec toutes les déclarations sur la nature de classe de l’Europe de l’Est « capitaliste ». En avril de la même année, ils avaient rejeté fermement les amendements du RCP, qui reconnaissait que la bourgeoisie d’Europe orientale avait été expropriée ou était en train de l’être. La direction internationale maintenait sa position selon laquelle le stalinisme contre-révolutionnaire ne pouvait mener une révolution, alors même que Trotsky avait expliqué que c’était possible, dans certaines conditions exceptionnelles. Maintenant, le SI faisait un virage à 180 degrés et proclamait que la Yougoslavie de Tito était un Etat ouvrier relativement sain, dans lequel n’existaient pas les déformations bureaucratiques qu’on retrouvait en Russie !
Le SWP américain adopta d’abord une position rejetant yougoslaves et russes dos à dos. Mais, quand les Lettres ouvertes furent publiées par le SI, le SWP n’éleva aucune objection. Ils les publièrent même dans leur presse, sans réserves ni critiques.
La réponse du RCP
La réponse du RCP britannique à la crise yougoslave fut entièrement différente. Ils défendirent d’abord les principes fondamentaux du trotskisme, y compris le droit des yougoslaves à l’autodétermination, que le SWP refusait de leur reconnaître.
« Il est clair que tout léniniste doit soutenir le droit de toute petite nation à la libération nationale et à la liberté si elle le désire » écrivaient Ted Grant et Jock Haston. Ils continuaient :
« Tous les socialistes apporteront un soutien critique à l’aspiration des yougoslaves à se fédérer avec la Bulgarie et à s’émanciper de la domination directe de Moscou. Dans le même temps, les travailleurs de Yougoslavie et de ces autres pays lutteront pour l’instauration d’une véritable démocratie ouvrière, pour prendre le contrôle de l’administration de l’Etat et de l’industrie, comme c’était le cas à l’époque de Lénine et Trotsky en Russie. Ceci est impossible sous l’actuel régime de Tito. » [38]
Ted et Jock déclarèrent ensuite, dans la brochure Derrière le conflit Staline-Tito, que le conflit « devait être un moyen d’éduquer la classe ouvrière aux différences fondamentales de méthode entre le stalinisme et le léninisme. » A ce titre, estimaient-ils :
« Cette division du front stalinien international peut constituer une étape dans la longue lutte de Trotsky et de la IVe Internationale pour dénoncer le stalinisme. [...] Ce sera une étape vers la construction d’une véritable Internationale communiste, la IVe Internationale, et l’établissement un système mondial de républiques communistes librement fédérées. »
Mais quand ils lurent les Lettres ouvertes du SI aux Yougoslaves, les dirigeants du RCP furent horrifiés. Contrairement au SWP américain, le RCP n’était pas prêt à tolérer cette capitulation devant le stalinisme et s’y opposa publiquement. Au nom du comité central du RCP, Jock Haston envoya une lettre de protestation à l’Internationale pour réitérer ses critiques et rejeter l’orientation des Lettres ouvertes :
« La querelle entre les Yougoslaves et le Cominform offre à la Quatrième Internationale de grandes possibilités pour dénoncer auprès des militants staliniens de base les méthodes bureaucratiques du stalinisme. [...] Cependant nous devons aborder cet événement majeur d'une façon principielle. Nous ne pouvons pas, par le silence sur des aspects de la politique et du régime du PC yougoslave, permettre qu l'on ait une impression quelconque que Tito et les dirigeants du PC yougoslave sont des trotskystes et que de grands obstacles ne les séparent pas du trotskysme. Notre dénonciation de la façon bureaucratique dont le PC yougoslave a été exclu ne doit pas signifier que nous devenons des avocats des dirigeants du PC yougoslave ou que nous créons même la moindre illusion qu'ils ne restent pas, malgré la rupture avec Staline, des staliniens par leur méthode et par leur formation. [...]
Les Lettres semblent être basées sur la perspective que les dirigeants du PC yougoslave peuvent être gagnés à la Quatrième Internationale. Sous la pression des événements, il s'est produit d'étranges transformations chez des individus, mais il est extrêmement improbable, pour ne pas dire plus, que Tito et autres leaders du PC yougoslave puissent devenir à nouveau des bolcheviks-léninistes. Des obstacles énormes se trouvent sur la voie d'une telle éventualité: les traditions passées et la formation dans le stalinisme, et le fait qu'ils reposent eux-mêmes sur un régime bureaucratique stalinien en Yougoslavie. Les lettres omettent de souligner la nature de ces obstacles, omettent de souligner que pour que les dirigeants du PC yougoslave deviennent des communistes il leur faut non seulement rompre avec le stalinisme, mais aussi répudier leur propre passé, leur méthodes staliniennes actuelles, et reconnaître ouvertement qu'ils portent eux-mêmes une responsabilité dans la création de la machine qui est à présent utilisée pour les écraser. Ce n'est pas une question de communistes en face d'un "terrible dilemme" avec une "énorme responsabilité" pesant sur eux, à qui nous offrons un modeste avis; c'est une question de bureaucrates staliniens à qui nous proposons de devenir communistes. [...]
Telles qu'elles sont, par leur silence sur les aspects fondamentaux du régime en Yougoslavie et de la politique du PC yougoslave, les Lettres ont un ton opportuniste. [...]
Les Lettres du SI analysent la querelle seulement sur le plan de "l'interférence" des dirigeants du PC de l'Union Soviétique, comme s'il s'agissait là seulement d'une question de cette direction cherchant à imposer sa volonté sans considération pour "les traditions, l'expérience et les sentiments" des militants. Mais la querelle n'est pas simplement une lutte d'un Parti communiste pour être indépendant des décrets de Moscou. C'est la lutte d'une section de l'appareil bureaucratique pour cette indépendance. La position de Tito représente, il est vrai, d'une part la pression des masses contre les exigences de la bureaucratie russe, contre "l'unité organique" exigée par Moscou, le mécontentement à l'égard du standard des spécialistes russes, la pression de la paysannerie contre une collectivisation trop rapide. Mais d'autre part, il y a le désir des dirigeants yougoslaves de maintenir une position bureaucratique indépendante et des aspirations ultérieures propres. [...]
Non seulement en ce qui concerne la Yougoslavie mais aussi en ce qui concerne d'autres pays, la Lettre Ouverte donne l'impression complètement fausse que la direction russe est la seule responsable. [...] [Cela] peut créer l’illusion que les dirigeants des partis staliniens nationaux pourraient être de bons révolutionnaires si seulement Moscou voulait bien les laisser faire. [...] Ces dirigeants participent activement à la préparation des crimes. De même pour Tito, ce n' était pas une question d'avoir été "forcé" à réaliser les désirs de Moscou dans le passé.
Nous ne pouvons pas ignorer que votre lettre acritique au PC yougoslave donne du poids à l’idée selon laquelle Tito serait un “trotskyste inconscient”. »
Plus loin dans la lettre, le RCP notait que les dirigeants de la IVe avaient retourné leur veste à propos de la nature de classe de la Yougoslavie et des pays du « glacis ». La position du RCP, rejetée lors du congrès mondial d’avril 1948, était finalement reconnue comme étant correcte, à peine quelques mois plus tard.
« La majorité du Congrès Mondial a adopté une position selon laquelle les pays du glacis [Yougoslavie comprise] étaient des Etats capitalistes. Elle a repoussé la résolution du RCP selon laquelle ces économies étaient alignées sur celle de l'Union Soviétique et ne pouvaient être caractérisées de capitalistes. L'amendement du parti britannique à la partie sur "l'URSS et le stalinisme" fut battu. Mais il est évident à la lecture de ces lettres que le SI a été forcé par les événements à partir du point de vue du Parti britannique, à savoir que les rapports productifs et politiques en Yougoslavie étaient fondamentalement identiques à ceux de l’URSS.
S'il existait vraiment en Yougoslavie un Etat capitaliste, les lettres du SI ne pourraient être caractérisées que comme du pur opportunisme. Car le SI ne pose pas les tâches en Yougoslavie qui découleraient si des rapports bourgeois y existaient comme forme dominante. Les lettres sont basées sur des conclusions qui ne peuvent que découler de la prémisse que le renversement fondamental du capitalisme et de la propriété foncière a eu lieu. » [souligné dans l’original] [39]
Dans sa Réponse à David James (printemps 1949), Ted déclarait :
« La seule différence entre les régimes de Staline et Tito est que ce dernier en est encore aux premiers stades. On est frappé par la ressemblance entre le premier élan d’enthousiasme en Russie, quand la bureaucratie lança le premier plan quinquennal, et l’enthousiasme en Yougoslavie aujourd’hui. [...]
Tito a d’ores et déjà ordonné ses premiers procès de “saboteurs”, qui font retomber sur ses opposants la responsabilité de la moindre erreur de planification. Il répète à petite échelle le système des “aveux”, propre aux procès staliniens. La ressemblance avec l’Etat policier russe est frappante. Au-delà des différences superficielles, les traits fondamentaux sont les mêmes. »
Les « chefs » de la IVe Internationale ignorèrent ces critiques accablantes. A ce stade, ils ne voyaient pas la nécessité d’y répondre, puisqu’ils avaient déjà opéré leur scission criminelle du RCP. Dans les faits, c’était la minorité de Healy qu’ils reconnaissaient comme section officielle en Grande-Bretagne.
La seule autre section de l’Internationale qui émit des objections fut la section française, mais ses critiques restèrent faibles et timides : « Nous ne reprochons pas du tout au SI de s'être adressé au PC yougoslave et à son CC. Cette démarche est juste, étant donné les relations entre les masses et le PC yougoslave. » La direction française s’inquiétait seulement du ton employé : « nous reprochons à ces lettres d'idéaliser Tito et le PC yougoslave. » Ils rentrèrent cependant vite dans le rang et affichèrent leur soumission à la discipline internationale.
En 1949 et 1950, le SI devint de plus convaincu que la Yougoslavie de Tito était un Etat ouvrier « relativement sain ». En 1951, le CEI adopta même une résolution proclamant que « la dynamique de la révolution yougoslave confirme en tout point la théorie de la révolution permanente » et qu’en Yougoslavie, « le stalinisme n'existe pratiquement plus aujourd'hui en tant que facteur important du mouvement ouvrier. »
Quant au reste de l’Europe de l’Est, ils continuaient d’expliquer qu’il s’agissait de pays capitalistes, tout en développant une théorie confuse et malhonnête sur leur « assimilation graduelle à l’URSS ». Ils ajoutaient qu’il s’agissait du « type même d'une société hybride et transitoire, en pleine transformation, aux contours encore flous et imprécis, dont il est extrêmement difficile de résumer la nature fondamentale dans une formule concise. » Cette formulation extrêmement vague leur permettait de s’abstraire de la réalité tout en protégeant leurs arrières.
Il va sans dire que les amendements du RCP au deuxième congrès mondial ne furent jamais publiés par le SWP, qui ne se priva pas d’attaquer et de déformer ses positions.
Toujours est-il que le RCP fut le seul à défendre une position claire, qui permit à Grant et Haston d’annoncer que « loin d’attaquer les vrais crimes de la bureaucratie stalinienne, Tito tentera de parvenir à un compromis ». C’est exactement ce qui se produisit.
Les brigades de travail
En 1950, l’Internationale émit l’idée d’envoyer des brigades de travail en Yougoslavie. La section française, le Parti Communiste Internationaliste (PCI), dont on a vu qu’elle avait initialement émis des réserves sur le ton de la “Lettre Ouverte” du SI, était devenue, sous la direction de Bleibtreu et Lambert, un véritable fan-club des staliniens yougoslaves.
Avec le soutien enthousiaste de Lambert, le PCI envoya des brigades de jeunes et de syndicalistes aider à « construire le socialisme » en Yougoslavie. En janvier 1950, le rapport du sixième congrès du PCI affirmait qu’« il est faux de parler d'une caste bureaucratique yougoslave de même nature que la bureaucratie russe » et « qu'il est faux d'accepter l'idée que le PCY a capitulé ou est en voie de capituler devant l'impérialisme. » [40]
Leur résolution de congrès déclarait que le PC yougoslave opérait « un retour au léninisme sur une série de problèmes stratégiques importants. » Elle définissait le PCY comme « un centrisme de gauche en pleine évolution », que le circonstances « poussent objectivement sur la voie d’un programme révolutionnaire. » [41]
Le PCI encourageait ses partisans à écouter Radio Belgrade. Dans un article intitulé « La magnifique campagne électorale du PCY », Gérard Bloch affirmait :
« Le PCY et la IVe Internationale encourent les mêmes haines pour la même raison: parce qu'ils expriment la plus grande force de notre époque, la force de la révolution prolétarienne, la puissance invincible des travailleurs de tous les pays. » [42]
Une délégation française du PCI alla visiter Belgrade le 1er mai 1950. A son retour, Lambert exprima toute son admiration pour le régime de Tito :
« Personnellement j'estime que j'ai vu en Yougoslavie une dictature du prolétariat, dirigée par un Parti qui veut passionnément combattre la bureaucratie et imposer la démocratie ouvrière. »
Dans le même temps, il rapporta fièrement les slogans qu’il avait entendus dans la rue : « Tito, Comité Central, Parti, peuples yougoslaves » et « Tito est avec nous, nous sommes avec Tito ». [43]
Lambert, qui était responsable de la commission syndicale du PCI, lança avec d’autres syndicalistes opposés au PCF un bulletin syndical intitulé L’Unité, qui fut financé par l’ambassade yougoslave.
Ils organisèrent des brigades de travail, les « Brigades Jean Jaurès ». Dans La Vérité, le PCI publia le rapport d’une délégation sous le titre suivant :
« Ceux qui ont vu la vérité en Yougoslavie la disent : OUI, c’est un Etat où se construit le socialisme ; OUI, c’est la dictature du prolétariat. »
Répondant aux staliniens qui accusaient la Yougoslavie d’être un “Etat policier”, le rapport déclarait :
« A la différence de ce qui se passe en URSS, c'est la classe ouvrière elle-même qui exerce le pouvoir en Yougoslavie. [...] Cet Etat est un ETAT OUVRIER, s'engageant résolument sur la voie de la DEMOCRATIE SOCIALISTE. » [44]
Healy soutenait aussi Tito. Il organisa une « Brigade de travail de jeunesse John MacLean » pour envoyer des jeunes travaillistes en Yougoslavie.
Pour ne pas être en reste, Cannon se joignit à la flatterie à l’égard du régime. Il envoya un télégramme au comité central du PC yougoslave pour les féliciter pour leur manifeste du 1er mai :
« Partout, les travailleurs acclameront votre appel à défendre la Yougoslavie et à ramener le mouvement révolutionnaire vers le léninisme, contre le stalinisme et la social-démocratie. » [45]
Deux mois plus tard, The Militant, le journal du SWP, faisait l’éloge de Tito – en titrant « Tito dénonce la bureaucratie, ennemie du socialisme » – et de ses attaques contre Staline, qualifiées de « tournant pour le développement du mouvement ouvrier et socialiste international. » [46]
Au huitième plénum du CEI en avril 1950, Mandel déclara carrément que la Yougoslavie était dorenavant un « Etat ouvrier non dégénéré ».
Mais, en juillet 1950, le régime de Tito capitula ouvertement devant l’impérialisme en s’abstenant à l’ONU sur l’intervention militaire contre la Corée durant la guerre de Corée. Déçu, le journal du PCI écrivit quelques mois plus tard :
« Tout cela est extrêmement pénible pour les amis révolutionnaires de la Yougoslavie, qui ont espéré que ses dirigeants tiendraient vraiment leurs promesses de défendre conséquemment le marxisme-léninisme contre le révisionnisme stalinien. » [47]
Mais tous les « dirigeants » de la IVe, sans exception, avaient capitulé au stalino-titisme : Cannon, Mandel, Pablo, Frank, Maitan, Healy, etc. Ted Grant disait que leur Internationale était devenue « une agence de propagande touristique pour la Yougoslavie ».
Quand Cannon, Healy et Lambert accusèrent Pablo d’être pro-stalinien en 1953, ils tentèrent de cacher qu’ils avaient eux-même tenu un fan-club du stalinisme quelques années auparavant. L’histoire de la IVe Internationale en sept volumes écrite par Healy ne commence d’ailleurs qu’en 1952-1953. La période précédente est glissée sous le tapis.
La Révolution chinoise
De nouvelles erreurs furent commises à propos de la Chine, à l’occasion de la révolution de 1949.
Incapable de penser par lui-même, le SI répétait que Mao allait inévitablement capituler devant Tchang Kaï-chek. Les trotskystes chinois furent donc profondément désorientés lorsque les choses se déroulèrent différemment.
Les armées paysannes dirigées par les staliniens écrasèrent celles de Tchang Kaï-chek et renversèrent le capitalisme. Elles établirent un régime bonapartiste prolétarien sur le modèle de la Russie stalinienne. Seul Ted Grant comprit ce qui était en train de se passer. Il anticipa ce qui allait se produire par la suite, avant même que Mao lui-même en ait conscience.
Le SI s’enfonça dans le ridicule en niant la réalité. Lors d’une réunion internationale, Cannon et les autres – dont un camarade chinois – affirmèrent que les armées de Mao n’oseraient jamais traverser le fleuve Yangtsé pour attaquer les forces de Tchang. C’est pourtant ce qui se produisit avant que la réunion ne soit finie. Les perspectives de Cannon pour la Chine donnèrent une bonne occasion à Schachtman de faire rire ses partisans : « Oui, Mao veut capituler devant Tchang Kaï-chek. Le seul problème, c’est qu’il n’arrive pas à le rattraper ! »
Les armées de Tchang Kaï-chek s’étaient tout simplement décomposées face au programme agrarien révolutionnaire de Mao et à son slogan « la terre aux laboureurs ». Mais en parallèle, Mao réprimait brutalement tout mouvement indépendant du prolétariat dans les villes.
D’avance, Ted Grant annonça que le développement de la Révolution chinoise serait « le plus grand événement de l’histoire humaine » après la Révolution russe.
La prédiction de Ted Grant
Quand Mao prit le pouvoir en octobre 1949, il proclama que la Chine devrait passer par 100 ans de capitalisme avant que se pose la question du socialisme. Mais l’analyse de Ted était si pertinente qu’il a pu prévoir ce qui allait se passer avant même que Mao ait pu y penser.
Les événements chinois étaient une énigme pour les « dirigeants » de la IVe. Ils en étaient restés à une hypothèse formulée par Trotsky avant la guerre, à savoir que les chefs des armées maoïstes trahiraient leur base paysanne s’ils l’emportaient contre Tchang. Et, dans les villes, la passivité des ouvriers allait pousser les sommets de l’Armée rouge à fusionner avec la bourgeoisie, ce qui mènerait au capitalisme. Mais ce n’est pas ce qui advint, car la voie du développement capitaliste en Chine était bloquée. La faillite de la bourgeoisie avait été mise à nu sous le régime de Tchang : elle s’était montrée incapable de résoudre la question agraire et de libérer le pays de la domination impérialiste.
En 1950, Ted exposa les processus qui allaient mener à l’établissement d’Etats ouvriers bureaucratiquement déformés :
« Si la révolution a pu se développer de façon déformée en Chine et en Yougoslavie, c’est en raison des facteurs mondiaux suivants :
(a) La crise du capitalisme mondial.
(b) L’existence d’un puissant Etat ouvrier déformé, doté d’une grande influence
sur le mouvement ouvrier, à côté de ces pays.
(c) La faiblesse du courant marxiste de la IVe Internationale.
Ces facteurs ont donné lieu à un développement inédit, qu’aucun des premiers théoriciens du marxisme n’aurait pu prévoir : l’expansion du stalinisme comme phénomène social dans plus de la moitié de l’Europe, sur le sous-continent chinois, et potentiellement dans toute l’Asie.
Cela pose des questions théoriques inédites pour le mouvement marxiste. Dans les conditions actuelles, où nos forces sont maigres et isolées, l’émergence de nouveaux facteurs historiques ouvrira nécessairement une crise théorique dans notre mouvement, qui pourrait remettre en question jusqu’à son existence et sa survie. » [48]
Il s’agissait en effet de l’existence et de la survie du mouvement, qui étaient gravement menacées. L’incapacité des chefs de la IVe à apprendre de leurs erreurs répétées avait profondément discrédité l’Internationale.
Le SWP maintint jusqu’en 1954 que la Chine était un pays capitaliste. Ce n’est que l’année suivante qu’il admit qu’il s’agissait d’un Etat ouvrier déformé.
Ted fit un bilan en juin 1951 dans le document « Le stalinisme et l’ordre mondial d’après-guerre » :
« Le marxisme n’admet ni le pessimisme ni l’optimisme douteux dans l’analyse des événements. Il s’agit d’abord comprendre le sens de la conjonction de forces historiques qui a produit la situation mondiale actuelle. »
Il prédisait aussi que la création d’un Etat ouvrier déformé en Chine finirait, comme avec Tito, par entraîner un grave conflit avec la bureaucratie russe. En d’autres mots, il anticipa la future rupture sino-soviétique.
Tout ceci demeurait un mystère pour Cannon, Mandel, Pablo, Frank etc., qui ne comprenaient pas ce qui se passait. A les écouter, il y avait un Etat ouvrier relativement sain en Yougoslavie, des Etats capitalistes dans le reste de l’Europe, et un Etat ouvrier déformé en Russie. Comme le soulignait Ted, « cette position était incohérente même du point de vue de la logique formelle, sans parler du marxisme. »
La destruction du RCP
Les zigzags et les erreurs constates des « dirigeants » de la IVe finirent par détruire l’Internationale. Mais ils jouèrent aussi un rôle dans la destruction de sa meilleure section, le RCP.
Même si le mouvement était confronté à des difficultés objectives, dans une période de croissance économique et de renforcement du stalinisme, une politique et des perspectives correctes auraient pu permettre de préserver les cadres. Mais les manœuvres et les erreurs politiques de la clique dirigeante ne firent que les désorienter et les démoraliser.
Cette démoralisation contamina même les dirigeants du RCP, et notamment Jock Haston. Les chefs de l’Internationale proposèrent de dissoudre le RCP dans le Labour – pour mener un « entrisme profond ». Haston savait bien que les conditions définies par Trotsky pour l’entrisme n'étaient pas réunies. Mais il était prêt à tout pour rester dans les rangs de l’Internationale, et proposa donc d’accepter.
Ted et le reste de la direction n’étaient pas d’accord, mais ils acceptèrent finalement pour maintenir l’unité. Quand ils s’adressèrent à la direction internationale pour en discuter, on leur répondit qu’ils ne devaient pas en parler avec elle, mais avec son représentant en Grande-Bretagne, Gerry Healy. En somme, ils furent forcés de fusionner avec le groupe de Healy sous peine d’être exclus de l’Internationale.
Healy imposa des conditions scandaleuses : interdiction de discuter des divergences pendant six mois, après quoi l’organisation tiendrait une conférence. C’était censé être un moyen de faciliter l’unification, mais en réalité, c’était une manœuvre cynique.
Healy voulait absolument obtenir la majorité à la conférence. Jusqu’alors, il n’était jamais parvenu à gagner une majorité dans le RCP. Maintenant qu’il en avait les moyens, il n’hésita pas à s’en servir. Il commença immédiatement à exclure ses opposants, tirant avantage de la situation pour user des méthodes les plus arbitraires et bureaucratiques.
Healy était désormais le chef incontesté de l’organisation, où il ne toléra aucune opposition. Il tenait enfin la revanche qu’il attendait depuis dix ans.
Haston, qui était alors complètement démoralisé, démissionna avec dégoût quand il vit ce qui était en train de se passer. Ce n’était pas assez pour Healy, qui réclama son exclusion formelle.
Début mars 1950, il annonça au bureau politique que Haston devait être exclu en tant que « renégat », l’accusant d’être « un incorrigible opportuniste ».
La démission de Haston plaçait Ted dans une position impossible. Il comprit que cette affaire n’était qu’une farce répugnante et s’abstint. Healy exclut ensuite Tony Cliff, qui avait des divergences politiques, pour empêcher que son document soit discuté lors de la conférence. Ted refusa de soutenir l’exclusion de Cliff et fut exclu à son tour.
C’est sur la base de ces manœuvres éhontées et de purges systématiques que Healy gagna sa « majorité ».
Ces méthodes étaient tout à fait étrangères au mouvement trotskyste. Elles venaient en droite ligne des manuels du zinoviévisme - qui n’est qu’une étape sur la voie du stalinisme.
Cela n’avait rien à voir avec les traditions du bolchevisme, les traditions saines et démocratiques que le RCP avait toujours maintenues. Trotsky expliquait que les désaccords internes devaient être gérés de la façon suivante :
« Avant tout, il est important de respecter de façon très stricte les statuts de l’organisation — réunions régulières de la base, discussions avant les congrès, congrès réguliers et droit de la minorité d’exprimer son opinion (il faut une attitude de camaraderie et pas des menaces d’exclusion). Vous savez que jamais, jamais, on n’a fait cela dans le vieux parti [russe]. L’exclusion d’un camarade était un événement tragique et on ne la faisait que pour des raisons morales, jamais à cause d’une attitude critique. » [49]
Ted et Jock Haston étaient fermement opposés à la théorie révisionniste de Tony Cliff sur le capitalisme d’Etat. Mais ils lui répondaient politiquement, de façon à élever le niveau des cadres. Ils ne songèrent jamais à l’exclure pour ses idées erronées.
Mais les méthodes infectes du zinoviévisme étaient devenues la norme dans la soi-disant IVe Internationale, dont les dirigeants essayaient de résoudre les divergences politiques par des mesures administratives, des pressions et du harcèlement.
Après son exclusion de l’organisation de Healy, qu’on appelait le « Club », Ted fut formellement exclu de la IVe Internationale lors du troisième congrès d’août 1951, sur proposition de Mandel.
Le compte-rendu dans le bulletin d’information international de décembre 1951 annonça :
« L’exclusion de Haston, membre de plein droit du CEI et de Grant, membre suppléant, représentants de l’ancienne majorité du RCP et de cette tendance dans le trotskysme britannique qui a obstinément refusé de s’intégrer à l’Internationale et d’adopter le nouveau cours du trotskysme. »
Le RCP fut caractérisé comme « l’exemple typique de la dégénérescence rapide de toute tendance cherchant son salut dans le particularisme national, à l’écart des amples voies de développement de l’Internationale. »
Et ils poussèrent le cynisme jusqu’à déclarer :
« L’exclusion [de Haston] du CEI au huitième plénum, après son départ de l’organisation et ses actes de traîtrise, a mis fin à une longue lutte politique, dans laquelle la direction de l’Internationale a fait preuve d’une patience et d’une souplesse indéniables, tentant tout son possible pour intégrer véritablement la tendance de Haston dans l’Internationale. »
Healy, Cannon et les autres avaient enfin obtenu ce qu’ils voulaient. Mais, le RCP et tout le reste de la IVe Internationale de Trotsky furent finalement détruits. Le trotskysme authentique était vaincu, et le zinoviévisme régnait en maître dans l’organisation.
Une scission sans principes
Ted Grant expliqua à plusieurs reprises que la seule autorité dont une authentique direction léniniste puisse se targuer est morale et politique. Sans cela, il ne reste qu’un régime bureaucratique corrompu, où les chefs entretiennent artificiellement leur propre prestige.
Un dirigeant bien armé idéologiquement et formé à la méthode du matérialisme dialectique n’a jamais peur de répondre aux critiques et aux divergences politiques.
Mais les dirigeants qui n’ont pas le niveau pour répondre à leurs détracteurs en employant des faits, des chiffres et des arguments finissent toujours par recourir à des mesures administratives pour se débarrasser des difficultés internes. Et ces méthodes conduisent inévitablement à la destruction de l’organisation.
Les dirigeants de la IVe, qui n’avaient ni le niveau politique ni l’autorité morale pour imposer leurs décisions, usèrent de méthodes zinoviévistes – sources de démoralisation politique, de crises et de scissions sans principes.
Combinées avec une ligne politique systématiquement fausse, ces méthodes achevèrent de détruire la IVe Internationale.
Le RCP était le seul obstacle sérieux sur la voie de la dégénérescence complète de la IVe Internationale.
Une fois qu’ils l’eurent détruit, Pablo, Mandel et Frank purent écraser toutes les sections de l’Internationale. Ils n’avaient aucune autorité politique et morale, ce qui transparaissait dans leurs perspectives et leur politique systématiquement erronées.
En 1951, au troisième congrès mondial, Pablo et le SI abandonnèrent l’idée d’un stalinisme affaibli par la guerre, au profit d’une nouvelle perspective selon laquelle les impérialistes allaient bientôt lancer une guerre nucléaire contre l’Union soviétique – une troisième guerre mondiale qui finirait en révolution.
Cette guerre devait s’inscrire dans le cadre d’une lutte de classe internationale entre le prolétariat et la bourgeoisie, avec les Etats-Unis à la tête du camp bourgeois, et l’Union soviétique à la tête du prolétariat international - malgré les réticences de sa direction stalinienne. Cette perspective leur semblait d’autant plus réaliste que la guerre de Corée faisait toujours rage. Selon Pablo :
« Les deux notions de la révolution et de la guerre, loin de s'opposer ou de se distinguer en tant que deux étapes considérablement différentes de l'évolution, se rapprochent et s'entrelacent au point de se confondre par endroits et par moments. À leur place, c'est la notion de la révolution-guerre, de la guerre-révolution qui émerge, et sur laquelle doivent se fonder les perspectives et l'orientation des marxistes-révolutionnaires de notre époque. » [50]
Quant à la victoire finale, expliquait-il : « cette transformation occupera probablement une période historique entière de quelques siècles et qui sera remplie entre-temps par des formes et des régimes transitoires entre le capitalisme et le socialisme, nécessairement éloignés des formes « pures » et de normes. »
En d’autres termes, il prévoyait « quelques siècles » d’Etats ouvriers déformés, au sein desquels les trotskystes devraient jouer le rôle d’opposants loyaux.
L’échéance prochaine de la « guerre-révolution » et l’agitation subséquente dans les organisations de masses justifiaient, selon Pablo, que les trotskystes adhèrent aux partis staliniens ou sociaux-démocrates pour rompre leur isolement. C’était une politique d’entrisme sui generis – un entrisme « d’un type particulier ». Elle devait consister en un « entrisme profond », dans l’attente du “grand dénouement mondial” que représenterait la victoire des Etats ouvriers déformés.
Pablo déclara que le stalinisme et le nationalisme petit-bourgeois pouvaient jouer un rôle progressiste dans la transition entre le capitalisme et le socialisme. C’était précisément ce que les dirigeants de la IVe avaient accusé le RCP de défendre – même si ce ne fut en réalité jamais la position du RCP.
Le neuvième plénum du CEI (novembre 1950), le troisième congrès mondial (août 1951), puis le dixième plénum du CEI (février 1952) adoptèrent l’analyse de Pablo ainsi que sa nouvelle stratégie entriste en prévision de la prochaine guerre mondiale.
Ce tournant poussa le POR – la section bolivienne de la IVe Internationale – à soutenir le Mouvement National Révolutionnaire (MNR) qui mena le prolétariat à la défaite lors de la Révolution bolivienne de 1952.
Le 12e plénum du CEI (décembre 1952) adopta une résolution sur la Bolivie, approuvant l’attitude du POR et défendant explicitement le « soutien critique accordé au MNR ». [51]
La majorité de la section française s’opposa à certains aspects de la nouvelle ligne de Pablo. Marcel Bleibtreu lui répondit [sous le pseudonyme de Pierre Favre] dans un document intitulé « Où va le camarade Pablo ? ». Tandis que Pablo s’adaptait à la bureaucratie stalinienne de Moscou, Bleibtreu s’en tenait à la position précédente : les illusions au sujet des staliniens yougoslaves et du Parti communiste chinois :
« Ce qui définit comme stalinien un parti ouvrier par opposition à un parti révolutionnaire ou à un parti social-démocrate (liens avec la bourgeoisie), ou à un parti centriste quelconque, ce qui définit totalement le stalinisme d’un parti ouvrier, ce n’est ni une idéologie stalinienne (qui n’existe pas) ni des méthodes bureaucratiques (qui existent dans toute sorte de partis) mais sa subordination mécanique et totale au Kremlin.
Lorsque, pour une raison ou une autre, cette subordination cesse d’exister, ce parti cesse d’être stalinien et exprime des intérêts autres que ceux de la caste bureaucratique de l’URSS. C’est ce qui s’est produit, du fait de l’action révolutionnaire des masses, en Yougoslavie, bien avant la rupture, et que la rupture n’a fait qu’officialiser. C’est ce qui s’est déjà produit en Chine et qui se manifestera inévitablement par la rupture quel que soit le cours que prendra la révolution chinoise. » [52]
C’est sur cette base que la majorité du PCI s’opposa à Pablo. Sans surprise, Pablo recourut à des méthodes bureaucratiques pour écraser cette opposition. Il refusa d’abord de soumettre le document de la majorité française aux voix du congrès mondial de 1951. Puis il força la majorité française à établir une commission pour déterminer la tactique en France. C’était un compromis précaire.
En janvier 1952, le SI ordonna à la section française d’entrer dans le PCF. Cela impliquait d’abandonner le travail syndical que Lambert menait à travers L’Unité avec des éléments anticommunistes (qui avaient depuis rejoint le syndicat Force Ouvrière) pour adhérer à la CGT. La majorité du CC s’y opposa. Pablo intervint alors et suspendit bureaucratiquement les 16 membres du CC qui avaient voté contre ! Cette décision fut annulée par le CEI un mois plus tard.
Mais, à la mi-1952, à l’approche de la conférence nationale, la minorité pabliste de la section française cambriola le siège du PCI et déroba du matériel. Ils furent vite exclus par la majorité, ce qui donna deux organisations portant le même nom et publiant le même journal.
La majorité française de Lambert et Bleibtreu fut mise en minorité au CEI de novembre 1952, avant d'être exclue de l’Internationale par le SI en janvier 1953. Cette décision, et la ligne politique générale de Pablo, furent alors soutenues par une large majorité, comprenant le SWP américain et le groupe de Healy, qui étaient encore de fervents pablistes.
Daniel Renard de la section française avait précédemment écrit à Cannon pour demander son soutien contre la ligne pro-stalinienne de Pablo. En mai 1952, Cannon lui répondit pour nier l’existence d’une tendance pro-stalinienne dans l’Internationale :
« Nous ne voyons pas une telle tendance dans la direction internationale de la IVe Internationale ni aucun signe ou symptôme d'une telle tendance.
Nous jugeons la politique de la direction internationale par la ligne qu'elle élabore dans les documents officiels — dans la récente période par les documents du IIIe Congrès mondial et du Xe Plénum. Nous n'y voyons aucun révisionnisme. [...] Nous considérons que ces documents sont entièrement trotskystes. [...]
C'est l'opinion unanime des cadres dirigeants du SWP que les auteurs de ces documents ont rendu un grand service au mouvement, service pour lequel ils méritent d'être appréciés et soutenus fraternellement, et non d'être soupçonnés et dénigrés. » [53]
Comme l’indique cette déclaration, tous ces gens étaient alors « pablistes ». Ils répétaient tous la même ligne politique. Il suffit pour le prouver de rappeler que les résolutions adoptées lors du troisième congrès mondial de 1951 furent rédigées par le SI pabliste.
Cannon soutenait inconditionnellement Pablo : « De ce que je comprends, la résolution [de Pablo] vise à prendre acte de la nouvelle situation mondiale et à en tirer les conclusions nécessaires pour notre stratégie et notre tactique. Je suis d’accord avec ces conclusions. » [54]
Il estimait que cette résolution confirmait ses “Thèses américaines”, comme il l’écrivit dans une lettre à Dan Roberts :
« En réalité, les événements analysés lors du troisième congrès confirment nettement les Thèses américaines et leur donnent plus de substance. Le monde tend désormais irréversiblement vers la révolution, et l’Amérique n’y échappera pas. » [55]
Après avoir lu la brochure de Pablo sur La guerre qui vient, développant la perspective d’une guerre mondiale qui allait se développer en guerre-révolution, Cannon se déclara « totalement d’accord avec la brochure de Pablo ».
La scission de 1952-1953 ne fut donc pas provoquée par des divergences politiques, car il n’y en avait pas. Quand Pablo proposa son document intitulé Montée et déclin du stalinisme comme base pour les discussions du quatrième congrès mondial, Healy valida sa diffusion à toutes les sections au nom du SI, avec seulement quelques critiques secondaires.
Healy était devenu un très proche allié de Pablo. En mai 1953, il écrivait à Cannon : « J’ai été extrêmement proche de lui ces dernières années et je me suis mis à beaucoup l’apprécier. [...] Il a fait un travail remarquable et a maintenant besoin de notre aide. » [56]
La scission fut en fait motivée par la rivalité qui s’était installée entre Pablo et les dirigeants du SWP. Cannon soutenait la politique de Pablo, mais il ne supportait pas son ingérence dans le SWP. Lorsqu’une fraction minoritaire, dirigée par Bert Cochran, se constitua dans son parti, Cannon accusa Pablo de l’avoir « fomentée depuis Paris » et de se mêler indûment des « affaires » de la section américaine.
Cannon lança une offensive contre « Paris », cet organisme étranger qui tentait d’interférer dans les affaires du parti américain et d’y soutenir les dissidents. Il fit campagne pour destituer Pablo « et ses laquais invertébrés ».
Fidèle à son style agressif, il déclara que « la tâche révolutionnaire n’est pas de “vivre avec” cette tendance [...] mais de la faire sauter. [...] Telle que je la conçois, la prochaine étape de notre stratégie découlera d’une lutte déterminée et sans merci pour annihiler le pablisme, politiquement et organisationnellement. »
Telle fut la trajectoire de Cannon, en l’espace de quelques mois : de l’accord total et du soutien inconditionnel au pablisme dans toutes ses manifestations à la « lutte déterminée et sans merci » pour l’annihiler et l’extirper de l’organisation ! Il opéra ce virage à 180° sans effort, sans sourciller, et sans donner aucune explication.
La scission réjouit Healy. Il se prépara pour une nouvelle division du travail, où il allait devenir l’homme de Cannon en Europe – ce qui lui permettrait de mener tranquillement ses propres affaires. Le PCI français de Bleibtreu et Lambert les rejoignit, pour former le soi-disant « Comité international » de la IVe Internationale.
Pendant ce temps, Healy menait une politique d’entrisme profond en Grande-Bretagne. Il publia le journal Socialist Outlook en collaboration avec des éléments réformistes de gauche, jusqu’à ce que le comité exécutif du Labour l’interdise en 1954. Privés de leur journal, les healyistes se mirent à vendre et à contribuer au Tribune, un journal réformiste dirigé par Michael Foot. Ils préféreraient aujourd’hui que cet épisode opportuniste tombe dans l’oubli.
De l’ultragauchisme à l’opportunisme
Pendant des années, Mandel, Pablo et Cannon avaient obstinément refusé de reconnaître la réalité de la nouvelle situation après la Seconde Guerre mondiale.
Puis, sans explication ni critique de leurs erreurs passées, ils passèrent de l’ultragauchisme à l’opportunisme. Après avoir prédit un effondrement économique imminent, ils se mirent à flirter avec des idées révisionnistes comme le keynésianisme, qu’ils empruntèrent aux réformistes et aux économistes bourgeois.
Mandel était fasciné par l’intervention de l’Etat dans l’économie, tandis que Tony Cliff l’idée que la reprise d’après-guerre était due à une « économie permanente d’armement ». Seule notre tendance, représentée par Ted Grant, comprenait ce qui se passait.
Ted analysa la croissance d’après-guerre dans un brillant article de 1960, intitulé « Y aura-t-il une récession ? » :
« Il est vrai que le taux de croissance de la période 1870-1914 était plus élevé que celui de l’entre-deux-guerres. Cela reflétait le fait que le capitalisme était en train de perdre son caractère relativement progressiste. La guerre mondiale de 1914-1918 fut un jalon dans le développement du capitalisme. La propriété privée des moyens de production et l’Etat-nation avaient conduit la société dans l’impasse.
La croissance économique consécutive à la Seconde Guerre mondiale découle de toute une série de facteurs. Elle n’a rien d’“unique”. Trotsky avait anticipé la possibilité d’une telle reprise économique de la société capitaliste dans sa critique des conceptions mécaniques aveugles des staliniens. »
Il analysa les facteurs qui avaient permis cette reprise, notamment l’expansion inédite du commerce mondial.
« Depuis la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme connaît une période de “renaissance” – sur un mode inégal et contradictoire. Il s’agit certes de la reprise temporaire d’une économie pourrissante et malade, qui porte les stigmates du déclin du système et non les signes de résilience de sa jeunesse. Mais même dans le cadre du déclin général du capitalisme, de telles phases sont inévitables, tant que la classe ouvrière freinée par ses directions ne parviendra pas à renverser le système. Il n’y aura pas de “crise finale” du capitalisme, pas de “dernière récession”, pas de “plafond productif”, ni aucune autre de ces idées primitives que les staliniens avançaient lors de la grande dépression de 1929-1933. Néanmoins, les événements révolutionnaires d’après-guerre témoignent de l'affaiblissement du capitalisme. »
Pierre Lambert, le dirigeant de la section française qui avait été exclu de la IVe en 1952, critiquait lui aussi le révisionnisme des autres dirigeants de l’Internationale. Mais il le faisait en s’accrochant aux perspectives erronées développées par l’Internationale dans l’immédiat après-guerre.
Il s’obstina a nier l’évidence, refusant jusqu’à sa mort en 2008 de reconnaître qu’il ait pu y avoir le moindre développement des forces productives au cours du XXe siècle.
En réalité, lors des décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme connut sa plus grande période de croissance depuis la Révolution industrielle. Ces conditions compliquèrent drastiquement le travail de la IVe Internationale.
La reprise économique permit au capitalisme de concéder des réformes et une certaine amélioration des conditions de vie. En Grande-Bretagne, les travaillistes furent plébiscités aux élections de 1945. Pour la première fois de leur histoire, ils mirent en œuvre leur programme de réformes, y compris des nationalisations. Cela nourrit grandement les illusions dans le réformisme.
En parallèle, le renversement des régimes capitalistes en Europe de l’Est et la grande Révolution chinoise de 1949 engendrèrent de nouvelles illusions dans le stalinisme parmi une large couche de travailleurs et de jeunes.
La voie de la IVe Internationale était donc bloquée par une série d’obstacles objectifs, qui l’empêchaient de développer rapidement ses forces dans la plupart des pays.
Même si Marx, Lénine et Trotsky avaient été vivants, la situation objective aurait rendu ce travail fondamentalement difficile. Mais, comme nous l’avons dit, une armée forcée de battre en retraite peut s’en sortir en bon ordre si elle a de bons généraux. Elle peut préserver l’essentiel de ses forces, les regrouper, et se préparer pour repasser à l’attaque lorsque la situation aura changé.
Mais de mauvais généraux transforment toujours les retraites en déroutes. C’est exactement ce qui arriva à la IVe Internationale.
De son côté, Ted parvint à développer une perspective correcte, à réarmer les camarades, et à préparer le terrain pour l’avenir :
« Du point de vue du marxisme, cette reprise économique du capitalisme n’est pas un phénomène totalement négatif. Elle renforce énormément les effectifs, la cohésion, et la position de la classe ouvrière au sein de la nation. La prochaine rupture de la conjoncture économique posera au capitalisme des problèmes plus graves encore que par le passé. »
Ted concluait qu’une récession était inévitable :
« Quelle qu’en soit la date, il est absolument certain que le boom inouï de l’après-guerre sera suivi d’une crise catastrophique. Celle-ci aura nécessairement un profond impact sur la conscience politique du mouvement ouvrier, dont les rangs se sont grandement renforcés. »
C’est cette capacité à analyser la situation concrète telle qu’elle était – et non telle que les imbéciles sectaires auraient préféré qu’elle soit – qui permit à Ted de consolider les maigres forces que nous avions alors. Il put ainsi les préparer pour la crise économique qui s’annonçait, et qui allait entraîner un tumultueux élan de la lutte des classes.
A contre-courant !
Au cours des années qui suivirent la destruction du RCP, Ted Grant et son petit groupe de partisans furent forcés de lutter à contre-courant, dans des conditions objectives extrêmement difficiles.
En 1956, des événements titanesques transformèrent la situation. Le discours de Khrouchtchev au XXe congrès du PC soviétique, puis l’écrasement de l’insurrection héroïque des travailleurs hongrois par les chars russes, secouèrent le mouvement stalinien de fond en comble.
Le parti communiste de Grande-Bretagne connut une grave scission et perdit beaucoup de ses principaux cadres, dont d’importants dirigeants syndicaux. Malheureusement, nous étions trop petits pour gagner ces éléments. Certains rejoignirent l’organisation de Healy, et la poussèrent dans une direction ultragauchiste. D’autres dérivèrent très à droite, jusqu’à devenir des agents de la classe dirigeante.
La IVe Internationale officielle avait perdu sa base en Grande-Bretagne en 1953, quand Healy avait rejoint le soi-disant Comité international. Ils tentèrent de reconstruire une section en partant de zéro, à travers une annonce publiée dans le journal The Tribune, invitant tous les trotskystes intéressés par la IVe Internationale à participer à une conférence.
Ted et les autres camarades n’avaient aucune illusion dans cette organisation, mais ils se dirent qu’ils n’avaient rien à perdre en répondant à l’appel. Ils s’y rendirent donc et acceptèrent de fusionner avec un autre petit groupe pour refonder la section britannique de la IVe. Ils ne firent aucune concession d’ordre politique et savaient à quoi s’attendre. Ils ne voyaient là qu’un moyen de rompre leur isolement et d’entrer en contact avec de bons militants dans d’autres pays.
Dans un premier temps, l’expérience donna de bons résultats. Mais les vieilles divergences se manifestèrent rapidement – de même que les vieilles manœuvres et intrigues.
Ted devint membre du comité exécutif international, et put y observer toutes les conséquences des erreurs de Pablo. Celui-ci proclamait à nouveau l’imminence d’un conflit nucléaire qui devait conduire, par des voies mystérieuses, à la révolution socialiste.
Ted s’amusait des effets qu’avait cette propagande stupide, même sur les cadres dirigeants. Il racontait qu’une fois une camarade l’avait salué les larmes aux yeux, à la fin d’une réunion, en lui disant : « Au revoir camarade, c’est peut-être la dernière fois que nous nous voyons. »
Ted lui répondit : « Pas d’inquiétude, tu peux dormir tranquille. Il n’y aura pas de guerre et nous nous reverrons à la prochaine réunion. » L’histoire ne dit pas si elle fut convaincue.
Il remarqua aussi un bloc compact de camarades argentins, dirigés par un certain Posadas, qui étaient toujours d’accord à 1000 % avec Pablo. Ils levaient la main comme un seul homme à tous les votes, sans hésitation.
Après un de ces votes, Ted avertit Pablo : « Fais attention à ces gens. Aujourd’hui ils votent systématiquement avec toi, demain ils voteront systématiquement contre toi. » C’est ce qui arriva.
La plus grosse section de l’Internationale était le LSSP au Sri Lanka – qui s’appelait alors Ceylan. Mais Ted avait noté que, lors des réunions du CEI, les dirigeants sri-lankais avaient une attitude plutôt méprisante à l’égard de la direction internationale.
Le dirigeant du LSSP, NM Pereira, montrait de nettes tendances opportunistes. Selon Ted, « NM n’a jamais été trotskyste. » Mais la direction internationale ne fit absolument rien pour le corriger.
De son vivant, Trotsky jouissait malgré son isolement d’une immense autorité morale et politique, qui inspirait le respect de tous les cadres dirigeants de l’Internationale.
Mais ces dirigeants n’inspirèrent jamais la même autorité. Leurs innombrables erreurs les décrédibilisèrent, en particulier aux yeux des camarades sri-lankais qui, après tout, dirigeaient une organisation de masse.
L’affaire ne pouvait que mal tourner. Le LSSP entra dans un gouvernement de Front populaire au Sri Lanka. Les dirigeants internationaux furent consternés, mais c’était le résultat inévitable de leur incapacité à orienter correctement et fermement les camarades sri-lankais. Dans la panique, ils exclurent la totalité du LSSP, sans même essayer de mener une lutte politique pour en gagner la majorité.
Les divergences entre la section britannique et la direction internationale se creusèrent au début des années 1960, quand Mandel, Pablo et compagnie entrèrent en discussion avec le SWP américain en vue de rétablir « l’unité de tous les trotskystes ».
Sur la base de l’expérience passée, Ted Grant prédit qu’ils ne parviendraient qu’à unir ces deux internationales pour en créer dix. C’était une remarque très appropriée.
Les sommets de l’Internationale se déchirèrent sur toute une série de questions, et notamment la nature du conflit sino-soviétique et de la révolution coloniale.
Pablo était partisan de soutenir la bureaucratie russe contre la bureaucratie chinoise, tandis que les autres voulaient défendre Pékin contre Moscou. La position de Ted était que le conflit sino-soviétique était un affrontement entre deux bureaucraties rivales, dans lequel la IVe Internationale ne devait pas prendre parti.
Face à la révolution coloniale, les dirigeants de l’Internationale accordèrent un soutien acritique au guérillérisme, tandis que les Américains soutenaient sans réserves le régime de Castro à Cuba, qu’ils caractérisaient comme un Etat ouvrier plus ou moins sain.
C’était la répétition à l’identique de leurs erreurs concernant la Yougoslavie de Tito. Ils cherchaient désespérément un raccourci sous la forme de « trotskystes inconscients ». S’étant brûlés les doigts avec Tito, ils se mirent à idolâtrer Castro.
Ils commirent ensuite la même erreur avec Mao Zedong, allant jusqu’à décrire la soi-disant « Révolution culturelle » chinoise comme une nouvelle version de la Commune de Paris ! C’était un abandon des idées les plus fondamentales du trotskysme, qui pava la voie pour la liquidation complète de la IVe Internationale.
Le petit groupe irlandais de la IVe Internationale était en contact étroit avec les camarades britanniques. L’Internationale leur conseilla de fusionner avec une petite organisation maoïste irlandaise ultra-stalinienne, dirigée par un certain Clifford.
Clifford leur imposa l’interdiction de débattre des différences entre stalinisme et trotskysme dans les premier temps de l’unification, et ils commirent l’erreur d’accepter cette condition. Aussitôt après la fusion, Clifford lança une offensive féroce contre le trotskysme « contre-révolutionnaire ». Les trotskystes irlandais furent bien sûr incapables de répondre à son document, et en appelèrent à Ted Grant. Ted répondit à Clifford, mais cela ne suffit pas à empêcher le naufrage de l’organisation unifiée.
Ce fut encore plus frappant en Italie, où il n’y avait pas de véritable organisation maoïste - jusqu’à ce que la IVe Internationale s’en mêle ! Le dirigeant de la section italienne, Livio Maitan cherchait en effet à diffuser le Petit livre rouge de Mao.
Vu qu’il n’y avait pas d’ambassade chinoise en Italie, il se rendit en Suisse, où il en acquit un grand nombre d’exemplaires. Grâce à ses efforts, le Petit livre rouge se répandit à travers toute l’Italie. Le livre eut beaucoup d’effet, mais la IVe Internationale ne put rien en tirer : elle renforça seulement des illusions maoïstes dans la jeunesse radicalisée. Maitan pensait que les idées de Mao pouvaient servir de pont entre le stalinisme et le trotskysme, mais c’est l’inverse qui arriva : Une fraction de l’organisation de Maitan scissionna sur des bases maoïstes pour fonder ce qui allait devenir un des principaux groupes d’ultragauche en Italie.
De nouvelles intrigues
Ted et les autres camarades maintinrent tout du long une opposition constante à la ligne erronée de l’Internationale. Sans surprise, la direction n’y répondit pas par des arguments, mais par des manœuvres et des intrigues.
Paris s’appuyait sur une petite clique sans principes basée à Nottingham pour intriguer contre la direction de la section britannique.
A cette époque, notre organisation était faible, petite, et sans ressources financières. Nous n’avions ni locaux ni permanents. Ted Grant travaillait dans un central téléphonique et consacrait tout son temps libre à l’organisation.
L’Internationale annonça qu’elle allait nous aider en envoyant un permanent – un camarade canadien, salarié par l’Internationale. C’était une excellente nouvelle.
Mais il apparut rapidement que cet individu n’avait pas été embauché pour construire la section britannique, mais pour comploter contre sa direction en lien avec le groupe de Nottingham.
Ces intrigues furent révélées au grand jour à l’issue d’un scandale où le permanent claqua la porte en emportant tous les livres de la librairie pour laquelle il était censé travailler. Ce sabotage flagrant donna la mesure de ce dont ces gens étaient capables. Mais ce n’était qu’un début.
Le « Secrétariat unifié »
En 1963, l’Internationale se réunifia finalement dans un Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale (SUQI)... et se remit aussitôt à scissionner.
Pablo s’en alla, suivi par Posadas, tandis que Lambert et Healy refusèrent de fusionner. L’unification de « tous les trotskystes » était restée lettre morte. C’était l’inévitable résultat de ce mélange entre une politique erronée et un régime interne toxique.
Les camarades britanniques avaient toujours maintenu une position de principe. Lors du congrès de 1965, ils présentèrent un document exposant leurs divergences. Dans le conflit sino-soviétique, ils défendaient une position d’indépendance complète aussi bien à l’égard de Moscou que de Pékin : il s’agissait d’un affrontement entre deux bureaucraties rivales, dont aucune ne représentait les intérêts de la classe ouvrière et de la révolution socialiste mondiale.
Concernant la révolution coloniale, ils expliquaient que la IVe Internationale devait fermement défendre la lutte des peuples opprimés contre l’impérialisme tout en maintenant une position d'indépendance de classe, sans se soumettre aux dirigeants petits-bourgeois.
Nous rejetions les méthodes du terrorisme individuel et du guérillérisme, qui jouaient alors un rôle très néfaste en Amérique latine, et que les dirigeants de l’Internationale soutenaient de façon acritique.
Le document écrit par Ted Grant et présenté par la section britannique, intitulé La révolution coloniale et la rupture sino-soviétique, était le seul à défendre une véritable politique prolétarienne trotskyste. Puisque nous ne faisions pas confiance à l’Internationale pour l’imprimer, nous le publiâmes nous-mêmes, malgré nos très maigres ressources.
Mais quand les camarades arrivèrent au congrès, ils découvrirent que notre document n’avait pas été distribué, et que donc personne n’avait eu le temps de le lire. Ted Grant fit ce commentaire ironique :
« Lénine avait qualifié la Deuxième Internationale de simple « bureau de Poste ». La clique dirigeante du SUQI ne s’élève même pas au niveau d’un bureau de Poste. Elle a fait complètement faillite sur les plans politique et organisationnel. » [57]
Lors du débat du congrès, Ted eut droit à quinze petites minutes (sept minutes plus traduction) pour présenter le document, qui fut évidemment rejeté. Puis les dirigeants de l’Internationale soumirent au congrès une mesure qui revenait à exclure les camarades britanniques.
Sous le prétexte fallacieux que les camarades britanniques auraient été « incapables de construire une organisation », ils proposèrent de les faire passer de section de plein droit à section sympathisante, tout en accordant le même statut à une petite clique qui défendait la ligne officielle de l’Internationale.
Les camarades dénoncèrent à raison une exclusion dissimulée. Nous partîmes pour ne plus jamais revenir. La rupture avec la soi-disant IVe Internationale était permanente et irréversible. Des décennies d’expérience nous avaient convaincus que l’organisation dans laquelle Léon Trotsky avait fondé tant d’espoirs avait finalement été avortée.
Conclusion
Aujourd’hui, la IVe Internationale n’existe plus, aussi bien en termes de programme que d’organisation. La myriade de sectes qui continuent de se disputer ce nom glorieux n’ont réussi qu’à le discréditer totalement.
Aucune des sectes qui ont émergé de son naufrage n’a quoi que ce soit de commun avec ses idées initiales. Bien qu’elles invoquent rituellement le nom de Trotsky, elles n’ont jamais compris sa méthode, et ont toutes contribué à la destruction de la IVe.
Elles n’ont rien à voir avec le véritable bolchevisme-léninisme, c’est-à-dire avec le trotskysme. Chacune a bricolé une caricature bizarre qui ne réussit qu’à discréditer l’idée même du trotskysme aux yeux des travailleurs et des jeunes. C’est un crime impardonnable.
Nous avons donc eu mille fois raison de nous détourner d’elles et de condamner leur stérilité, il y a maintenant des décennies.
Aujourd’hui, une seule organisation peut brandir le drapeau du trotskysme, et affirmer sans mentir qu’elle l’a défendu avec détermination pendant des décennies. C’est l’Internationale Communiste Révolutionnaire.
Un parti révolutionnaire consiste, en dernière analyse, en un programme, des idées, des méthodes et des traditions.
Nous avons constamment souligné l’importance de la théorie révolutionnaire dans la construction de l’Internationale.
Comme l’écrivait Lénine, « sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » C’est tout à fait vrai, et les soi-disant dirigeants de la IVe Internationale n’y ont rien compris.
Mais la IVe Internationale a beau avoir été détruite, les idées, le programme, les traditions et les méthodes élaborés par Léon Trotsky sont toujours aussi pertinents.
Nous héritons du plus vaste corpus d’idées jamais possédé par une organisation politique. Tel est l’héritage que nous défendons. C’est notre arme la plus puissante, qui nous permet d’affirmer que l’avant-garde révolutionnaire n’a jamais été aussi préparée théoriquement aux tâches qui l’attendent.
Nous nous basons sur les plus grands accomplissements des trois premières Internationales, et sur le congrès fondateur de la IVe.
Ted Grant a sauvé ces idées, les a développées et enrichies au cours d’un demi-siècle. La publication de ses œuvres complètes sera un ajout précieux pour notre arsenal théorique.
Notre cause est grande, car nous nous tenons sur les épaules de géants. Notre mission est maintenant de compléter cette œuvre monumentale, en hissant nos modestes forces à la hauteur de nos immenses tâches historiques.
[1] Léon Trotsky, « Un document misérable », 27 juillet 1929
[2] Vladimir Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière
[3] cité dans Fred Zeller, Trois points, c’est tout, 1976
[4] Léon Trotsky, « Sectarisme, centrisme et IVe Internationale » in Œuvres, tome 7
[5] Léon Trotsky, Défense du marxisme
[6] Léon Trotsky, « La fondation de la Quatrième Internationale » in Œuvres, tome 19
[7] Léon Trotsky, « Bilan de l’expérience finlandaise », in Défense du marxisme
[8] cité dans Joseph Hansen, James Cannon – The Internationalist
[9] Ted Grant, History of British Trotskyism
[10] James Cannon, Speeches to the Party
[11] James Cannon, Writings & Speeches 1940-43
[12] James Cannon, “The Problem of Party Leadership” in Socialist Workers Party in World War II
[13] « The WIL view » in Revolutionary History, vol. 1, n°1
[14] Les congrès de la Quatrième Internationale, La Brèche, Volume 1, p.385
[15] « Perspectives et tâches de la Révolution européenne » in Quatrième Internationale n°11/12/13, sept. Oct. 1944
[16] « The European Revolution and the Tasks of the Revolutionary Party » in Fourth International, Vol. 5 No. 11, décembre 1944
[17] James Cannon, Writings & Speeches, 1945-47, pp.181-183
[18] Cité dans le bulletin interne du RCP, 12 août 1946
[19] Fourth International, Vol. 8, No.1, janvier 1947
[20] E. Germain, « De l’A.B.C. à la lecture courante : Boom, reprise ou crise ? » in Bulletin intérieur du Secrétariat international de la IVe Internationale, volume 2 n°16, juillet 1947
[21] « La nouvelle paix impérialiste et la construction des partis de la IVe Internationale » in Quatrième Internationale n°29, avril-mai 1946
[22] Les congrès de la 4e, volume 2, p.442
[23] Léon Trotsky, “Une capitulation devant les centristes” in Oeuvres, tome 7, p.189
[24] Léon Trotsky « Un abandon des principes » in Oeuvres, tome 7, p.197
[25] James Cannon, Speeches to the Party, p.73
[26] James Cannon, Writings 1945-47, pp.323-324
[27] Lettre du 5 septembre 1953, ibid. p.262
[28] Gerry Healy, « Problems of the Fourth International », août 1966, in Trotskyism versus Revisionism, volume 4, p.298
[29] « Editorial Notes » in Workers’ International News, septembre-octobre 1946
[30] « La situation mondiale et les tâches de la IVe Internationale » in Les congrès de la 4e Internationale, volume 3, p.94
[31] E. Germain, « De l’abstentionnisme à l’intervention active » in Quatrième Internationale, n°33, décembre 1946
[32] « La question russe aujourd’hui – le stalinisme et la IVe Internationale », novembre-décembre 1947
[33] « Amendements soumis par le RCP de Grande-Bretagne » in Les congrès de la 4e Internationale, tome 3, p.160
[34] « Résolution sur l'évolution des pays du “glacis” », Ibid, p.330
[35] Bulletin interne du SWP, volume XI, n°5, octobre 1949
[36] E. Germain, « The Metaphysics of Nationalized Property » in International Information Bulletin, janvier 1950
[37] Léon Trotsky, La Révolution trahie, chapitre 9
[38] Socialist Appeal, juillet 1948
[39] Bulletin intérieur du Secrétariat International de la IVe Internationale, février 1949
[40] La Vérité, n°246, janvier 1950
[41] La Vérité, n°247, février 1950
[42] La Vérité, n°251, avril 1950
[43] La Vérité, n°254, mai 1950
[44] La Vérité, n°258, octobre 1950
[45] The Militant, volume XIV, n°19, mai 1950
[46] The Militant, volume XIV, n°28, juillet 1950
[47] La Vérité, n°263, décembre 1950
[48] Ted Grant, Lettre ouverte à la section britannique de la IVe Internationale, septembre-octobre 1950
[49] Léon Trotsky, « La discussion au congrès et à la conférence internationale », Oeuvres, tome 15, pp.160-161
[50] Michel Pablo, « Où allons-nous ? » in Bulletin intérieur du Secrétariat International de la IVe Internationale, n°1, janvier 1951
[51] Bulletin international d’information, janvier 1953
[52] Marcel Bleibtreu, « Où va le camarade Pablo ? », Bulletin intérieur du PCI, juin 1951
[53] James Cannon, “Réponse à Daniel Renard” in Les congrès de la 4e Internationale, tome 4, p.328
[54] James Cannon, Speeches to the Party, p.141
[55] Ibid, p.271
[56] « Lettre de Gerry Healy à James Cannon, 27 mai 1953 » in Trotskyism versus Revisionism, volume 1, pp.112-114
[57] Ted Grant, Le programme de l’Internationale, mai 1970