Dans un précédent article de cette rubrique, nous avons réfuté l’idée selon laquelle la « nature humaine » serait un obstacle à l’avènement d’une société sans classes, sans exploitation et sans oppressions.
Les hommes et les femmes ne sont pas « naturellement » égoïstes. En fait, il n’y a pas de « nature humaine » invariable et transcendant l’histoire. La psychologie et les comportements humains sont déterminés – en dernière analyse – par des facteurs matériels. De nos jours, ce sont les rapports de production capitalistes, où règne la concurrence entre bourgeois, mais aussi entre travailleurs, qui forment la base matérielle des comportements égoïstes.
Ceci dit, les travailleurs se syndiquent et s’organisent. Ils luttent ensemble pour leurs intérêts collectifs. Même sous le capitalisme, il y a de la solidarité, soit l’exact contraire de l’égoïsme.
Travailleurs et parasites
Reprenons cette question à propos d’une idée qui, au fond, relève de la même erreur : « dans une société socialiste », nous dit-on, « tout le monde recevra le même salaire, quoi qu’il fasse, et donc plus personne n’aura intérêt à se distinguer – pour être mieux payé – par la quantité et la qualité du travail qu’il fournit. En conséquence, l’économie sombrera dans des abîmes de fainéantise et de médiocrité. » Conclusion : seul le système capitaliste – avec ses inégalités, et même grâce à ses inégalités – peut inciter l’humanité à produire plus et mieux, c’est-à-dire à développer l’économie.
Première objection : sous le capitalisme, ceux qui travaillent le plus ne sont pas les plus riches ! Les plus grandes fortunes ne se sont pas enrichies par leur travail, mais grâce au fait qu’elles possèdent des moyens de production (usines, etc.). C’est cela qui leur permet de s’approprier le fruit du travail des autres, et plus précisément le travail des salariés, qui ne possèdent pas de moyens de production. Les milliardaires ne font rien (ou presque) de productif. Ils payent même des gens pour gérer leur fortune !
Par contre, des millions de personnes, en France, sont obligées de travailler 35 heures par semaine, et souvent davantage, pour un salaire de misère. Sous le capitalisme, il n’y a donc pas de rapport direct entre la quantité de travail fournie et les revenus. Si c’était le cas, tous les salariés seraient bien plus riches que Bernard Arnaud et Vincent Bolloré !
Socialisme et communisme
Deuxième objection : en réalité, jamais les marxistes n’ont prétendu que le renversement du capitalisme déboucherait sur une société dans laquelle tous les travailleurs recevront « le même salaire ». Expliquons pourquoi.
Notre but final est une société communiste, une société d’abondance dans laquelle chacun pourra consommer gratuitement tout ce dont il aura besoin. L’égalité salariale n’y aura plus aucune base, car il n’y aura plus d’argent – et donc plus de salaires. Mais une telle société n’adviendra pas du jour au lendemain ; elle reposera sur un puissant développement de la productivité du travail. Tant que la société ne sera pas assez riche – assez productive – pour satisfaire gratuitement tous les besoins, elle ne sera pas « communiste » à proprement parler. Cela signifie qu’il y aura d’abord une phase de transition (socialiste) au cours de laquelle la société portera encore « les stigmates de l’ancienne société, des flancs de laquelle elle est issue » (Marx). Les inégalités ne pourront pas être supprimées d’un claquement de doigts.
Sur la base d’une économie socialiste, démocratiquement planifiée, on pourra très vite éliminer le chômage, réduire le temps de travail et garantir la gratuité de l’énergie, des transports, de la santé, etc. Mais tant que l’abondance générale ne sera pas une réalité, le système monétaire et le travail salarié seront toujours nécessaires. En effet, il serait utopique de croire que les travailleurs accepteront d’être tous payés le même salaire, indépendamment de la quantité et de la qualité du travail qu’ils fournissent.
Sous le socialisme, le montant du salaire jouera toujours un rôle dans la « motivation » des travailleurs (et donc leur productivité). Mais d’une part, l’écart entre les revenus sera d’emblée beaucoup moins important que sous le capitalisme. D’autre part, cet écart diminuera sans cesse, pour finalement se fondre dans la gratuité universelle, conformément à la formule du communisme donnée par Marx : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Chacun contribuera librement à la production sociale, et chacun y puisera librement ce dont il a besoin.

