Nous publions un témoignage des conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs d’un des plus importants producteurs de cuivre et de cobalt de la République Démocratique du Congo. Il nous a été transmis par Maurice Odingo, le secrétaire général du Comité de Kinshasa. Il donne un aperçu éclairant des conditions épouvantables dans lesquelles travaillent les mineurs congolais, mais aussi du rôle que joue aujourd’hui la Chine en Afrique.
Tenke Fungurume Mining (TFM) n’est pas une entreprise minière comme les autres. Elle incarne l’un des bastions modernes de l’exploitation impérialiste en République Démocratique du Congo. Implantée dans la province du Lualaba, cette société est spécialisée dans l’extraction du cuivre et du cobalt, deux minerais cruciaux pour l’industrie technologique mondiale, notamment dans la transition énergétique.
Derrière le discours du « développement » et du « partenariat international », TFM fonctionne en réalité comme une enclave économique étrangère, totalement déconnectée de la population locale. À l’intérieur de ses murs fortifiés, tout est organisé pour maximiser la production de richesse, au profit des multinationales chinoises, en maintenant les travailleurs congolais dans la misère et la dépendance.
TFM agit comme une colonie industrielle autonome : les Congolais y sont les serviteurs, les Chinois les seigneurs. Langue, nourriture, accès aux soins, droits fondamentaux… Tout y est hiérarchisé sur une base raciste et brutale. L’entreprise est une micro-dictature économique protégée par la passivité voire la complicité des autorités nationales.
Mon entrée dans l’enfer industriel
Je m’appelle Maurice Odingo. Comme des millions de jeunes Congolais, j’ai terminé mes études dans un pays rongé par le chômage, abandonné par son propre État. Cherchant simplement de quoi vivre dignement, j’ai été recruté chez TFM comme opérateur d’usine à 30K, un des pôles centraux du complexe industriel.
Au début, tout semblait bien cadré : induction, formation technique, encadrement. On nous présentait l’entreprise comme un modèle de rigueur et de stabilité. Mais rapidement, une fois la période d’essai passée et le contrat annuel signé, le masque est tombé. Le vrai visage du capitalisme chinois s’est révélé :
- Pressions constantes et inhumaines sur la productivité,
- Autoritarisme raciste et mépris culturel,
- Déshumanisation systématique des ouvriers.
L’objectif était clair : produire au maximum, réduire les coûts humains au minimum.
Vivre comme des esclaves modernes dans notre propre pays
Pour 358 dollars par mois, voici notre quotidien à TFM :
- Journées de 12 heures sans pause suffisante,
- Un pain sec et une petite bouteille de jus pour toute la journée,
- Accès interdit aux réfectoires réservés aux travailleurs chinois,
- Logements précaires, insécurité sanitaire et hygiène absente,
- Une hiérarchie qui nous traite comme du matériel jetable.
Pendant ce temps, les Chinois gagnaient jusqu’à 5 000 dollars par mois, bénéficiaient de trois repas chauds par jour, de congés médicaux tous les six mois, et travaillaient dans des conditions bien plus sûres. Le contraste était criant, humiliant, insupportable. Et tout cela se faisait avec la complicité active de l’Etat congolais, qui préfère protéger les investissements étrangers que défendre ses propres citoyens.
Syndicalisme interdit, droits piétinés, loi bafouée
Un jour, je suis allé voir les représentants de la Confédération Démocratique du Travail (CDT) pour comprendre pourquoi nous n’avions pas le droit de nous syndiquer. On m’a répondu froidement : « Les contrats à durée déterminée ne donnent pas accès au syndicat. » C’est un mensonge grossier, contraire au Code du travail congolais et aux conventions internationales. Aucune loi n’interdit à un travailleur sous contrat à durée déterminée d’adhérer à un syndicat. Cette réponse montre bien la volonté délibérée d’empêcher toute organisation collective.
À TFM :
- Les réunions sont interdites sans autorisation,
- Aucune représentation ouvrière indépendante n’est tolérée,
- Les syndicats présents sont infiltrés, contrôlés ou cooptés.
La direction applique une politique de répression préventive, en s’appuyant sur des contremaîtres congolais dociles, chargés d’éteindre toute étincelle de révolte.
Un système mortel
La « sécurité » au travail est une illusion pour les ouvriers congolais. Nous étions exposés chaque jour à des substances chimiques hautement toxiques (acides, solvants). Les équipements de protection étaient inexistants ou inadéquats et les procédures de sécurité s’appliquaient uniquement aux travailleurs chinois.
J’ai vu un collègue mourir d’intoxication. Quand j’ai signalé la situation, le superviseur chinois a répondu, sans émotion apparente : « No mabo, kogoli fulufulu » (« Pas de problème, il y en a plein d’autres pour le remplacer »). Cette phrase résume tout le cynisme du capitalisme colonial : la vie d’un ouvrier congolais ne vaut rien aux yeux de ses exploiteurs.
Naissance d’un militant révolutionnaire
Devant tant d’injustice, j’ai refusé de me taire. J’ai commencé à parler avec mes collègues, à les conscientiser sur leurs droits, à leur transmettre les bases de la lutte de classe et du socialisme. Des petits cercles de discussions ont vu le jour. Des solidarités sont nées.
Mais la répression a vite suivi. J’ai été dénoncé par des collègues opportunistes, harcelé et piégé par ma hiérarchie, convoqué et menacé par les ressources humaines.
Finalement, j’ai dû quitter l’entreprise. Mais j’en suis sorti plus fort que jamais, décidé à consacrer ma vie à la lutte pour la libération du prolétariat congolais.
Notre avenir ne se joue pas dans les usines des multinationales, mais dans la révolution sociale
Ce que j’ai vécu, des milliers d’ouvriers le vivent chaque jour au Congo. Ce pays, riche en ressources, est saigné à blanc par l’impérialisme, hier occidental, aujourd’hui chinois. La misère n’est pas une fatalité. C’est le produit d’un système : le capitalisme colonial, qui ne peut être réformé, seulement renversé.
Nous devons :
- Construire une organisation révolutionnaire de la classe ouvrière,
- Eduquer politiquement les masses, en dehors des partis bourgeois et syndicats corrompus,
- S’unir avec les travailleurs du monde entier, dans un esprit internationaliste.
Nous avons deux options : soit continuer à vivre à genoux, exploités dans notre propre pays ; ou nous lever, nous organiser et renverser le système. Comme le disait Karl Marx : « Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. »
Annexe : témoignages d’ouvriers congolais dans les mines chinoises
« On travaille de 6h à 18h, parfois plus. Pour manger : un pain sec et un sachet d’eau. Les Chinois mangent chaud, à l’ombre. Nous, dehors, comme des chiens. » – Paul Shomba, 31 ans, ouvrier à Kolwezi
« Le superviseur chinois a insulté un collègue en lingala approximatif : "Nzoba ! Na beti yo !". On n’a rien dit. Si tu parles, tu perds ton contrat. » – Jeans Kasongo, 28 ans, mécanicien à Fungurume
« Je gagne 350 $. Un chauffeur chinois gagne dix fois plus pour moins de travail. Nous, on nous donne les routes les plus longues et dangereuses. » – Héritier, 38 ans, chauffeur de camion
« Eux ont tout : masques, bottes, gants. Nous, parfois même pas de gants. J’ai manipulé des acides à mains nues. Ma peau est brûlée. » – Jonathan Ilunga, 26 ans, ouvrier d’usine
« Pas de syndicat. Pas de représentants. Quand j’ai demandé pourquoi on n’était pas traités comme les Chinois, on m’a dit : "Y en a mille pour te remplacer". » – Anonyme, ancien ouvrier TFM
« Un collègue est tombé dans une cuve d’acide. Les Chinois ont dit : "Ce sont les risques du métier." Aucune aide à la famille. Le travail a repris. » – Marc, témoin d’un accident mortel
« Le vrai problème, ce ne sont pas seulement les Chinois. C’est l’Etat congolais, complice et silencieux. Ils préfèrent protéger les investisseurs que leur peuple. » – Un ouvrier anonyme