Manon Baudry et Marie Mesmeur ont accepté de répondre aux questions de Révolution sur la situation et les revendications des étudiants à Brest (Université de Bretagne Occidentale – UBO). Manon est en L1 de Psychologie ; Marie prépare un doctorat en Sociologie. Elles sont membres de la direction collégiale du syndicat étudiant Alternative-UBO.


Révolution : Pouvez-vous présenter votre organisation syndicale ?

Marie : Ce syndicat de base s’est créé en 2018 avec la volonté de ne plus laisser le monopole au « syndicat » corpo autonome, et de porter les revendications sans se laisser parasiter par les bureaucraties nationales. Alternative-UBO est passé de 2 élus à sa création à 7 aujourd’hui dans les Conseils de l’Université ; il ne s’agit pas de prétendre « administrer », mais d’obtenir toutes les informations et faire entendre la voix des étudiants, en collaboration avec les syndicats du personnel. Alternative-UBO se veut un syndicat, solidaire des luttes des salariés, pas une « association ».

Quelle est la situation des étudiants en Psychologie (600 étudiants) ?

Manon : Depuis la rentrée de septembre, la situation est très difficile. Sur les 600, environ 300 ont « décroché ». On estime que c’est le cas d’un cinquième des effectifs pour toute la France. Pour ma part, je fais partie des « chanceux » : j’ai pu garder 4 h de travail dans la restauration (contre 15 avant) ; j’ai donc du chômage partiel, ma bourse et l’APL (Aide Personnalisée au Logement).

Comment la situation actuelle impacte-t-elle les conditions de vie matérielles des étudiants ?

Marie : 70 % des étudiants n’ont pas de bourse, et certains des 30 % restants n’ont que les taux minimaux (soit 103 ou 160 euros par mois). La réforme de l’APL (janvier 2021) a des conséquences dramatiques (diminution ou suppression des aides en raison de nouvelles modalités de calcul…), même si elle se traduit par une augmentation pour les boursiers. A cela s’ajoute le fait qu’un certain nombre d’étudiants ignorent purement et simplement leurs droits. Dans le même temps, il y a pénurie de logements pour étudiants, manque criant de places en Cité-U (avec des résidences fermées pour travaux). Certains privés en profitent de façon sordide : jusqu’à 370 euros par mois pour une simple chambre.

Le gouvernement met en avant le Resto-U à 1 euro…

Marie : Encore faut-il que les étudiants soient restés sur place pour en profiter, et qu’il y ait des Resto-U ouverts (à Brest, c’est le cas). La sinistre réalité, c’est qu’il y a de plus en plus d’étudiants qui s’endettent (pour des dépenses immédiates), et que cela les conduit à cesser de s’alimenter correctement. La mesure des repas à 1 euro est la bienvenue, mais elle relève surtout d’une opération de communication.

Qu’en est-il de la santé mentale des étudiants ?

Manon : Au niveau national, il apparaît que 70 % des étudiants craignent pour leur santé mentale. Localement, d’après l’enquête de notre syndicat, un tiers de ceux qui ont répondu ont déjà eu des pensées suicidaires. Pour ma part, arrivée à Brest en septembre, je n’aurais jamais tenu sans les liens qui se sont créés par Internet avec les autres étudiants et avec le syndicat. Se serrer les coudes a été salutaire ; ça a été le cas dans notre filière, mais dans d’autres, pas du tout. Certains ont sombré pendant le confinement, reliés simplement au monde par leur téléphone, ne sortant plus du lit, sans ordinateur pour travailler. La situation a été particulièrement dramatique pour les étudiants étrangers, nouvellement arrivés et aussitôt confinés, sans la moindre possibilité de se mettre à parler français.

Marie : L’effondrement psychologique est directement lié à l’absence d’interaction sociale. La désocialisation finit par faire disparaître toute possibilité de projection. L’idée même d’un avenir disparaît. En attendant, dans notre université, il faut deux semaines pour obtenir un rendez-vous avec une assistante sociale, deux semaines et demie pour un psychologue, un mois pour un psychiatre…

Les cours en présence ont-ils repris ?

Manon : Il est très difficile d’avoir une idée de qui a de l’enseignement en présence et qui non. Les cours magistraux, en principe la base de l’enseignement, n’ont pas repris. En médecine, tout est à distance. Les partiels ont eu lieu en novembre à distance, mais dans des conditions très difficiles, avec une sorte d’obsession d’empêcher la « triche » qui compliquait tout.

Qu’en est-il de l’atmosphère revendicative ?

Marie : A l’abattement a succédé la colère : le changement est palpable. Les revendications sont loin de se cantonner aux conditions d’études et d’examen. Elles se portent désormais sur un plan politique général. La question du financement de l’Université est clairement posée. L’épidémie n’a pas créé la crise que vivent les étudiants : c’est, depuis des années, la politique de sous-financement et de précarisation. Dans ce contexte, la campagne de la ministre Vidal contre « l’islamo-gauchisme » a fait l’effet d’une incroyable provocation et a porté l’exaspération à son comble.

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