Le 6 janvier dernier, Justin Trudeau a annoncé son intention de démissionner du poste de Premier ministre du Canada, qu’il occupait depuis 9 ans, et de celui de chef du Parti Libéral. Il a prorogé le parlement jusqu’au 24 mars, en attendant qu’un successeur soit nommé au sein de son parti et prenne sa place à la tête du gouvernement. Cette annonce marque une nouvelle étape de la crise politique que traverse le Canada.
Bilan de l’ère Trudeau
Trudeau est arrivé au pouvoir en 2015 en promettant aux Canadiens de nouveaux jours radieux, après 10 années du gouvernement conservateur de Stephen Harper. Trudeau se présentait comme le champion des droits des femmes et des minorités, sous les applaudissements des commentateurs bourgeois du monde entier. Mais s’il a pu maintenir, pendant un temps, une façade progressiste et une certaine popularité, c’est avant tout grâce à une situation économique relativement favorable.
La crise du capitalisme canadien a fait voler ces illusions en éclat. Ces dernières années, les conditions de vie de la classe ouvrière canadienne se sont continuellement dégradées. Aujourd’hui, l’économie canadienne est au bord de la récession. La moitié des Canadiens ont du mal à boucler les fins de mois et le chômage est plus important qu’il ne l’a été depuis 2017 (si l’on excepte la pandémie de COVID). Trudeau a continuellement attaqué le droit de grève en ayant recours à des « lois spéciales » pour obliger les grévistes à reprendre le travail.
Les Libéraux en crise
La crise politique couvait depuis un moment, mais le retour de Trump a accéléré le processus. A peine réélu, ce dernier a menacé d’imposer 25 % de taxes douanières aux marchandises canadiennes (en plaisantant, au passage, sur la possibilité d’annexer le Canada). Or, les exportations canadiennes vers les Etats-Unis représentaient 77 % de ses exportations totales en 2023, soit environ 400 milliards d’euros. Si cette menace était mise à exécution, elle plongerait à coup sûr l’économie canadienne dans une profonde récession.
Les menaces de Trump ont forcé la classe dirigeante canadienne à regarder la réalité en face, après des années à faire l’autruche. Mais les Libéraux eux-mêmes sont divisés entre ceux qui veulent encore accentuer les politiques de rigueur et ceux qui craignent l’impact de ces politiques sur l’Etat d’esprit des masses. C’est ce qui a provoqué, début décembre, la démission de la numéro deux du gouvernement, la ministre des Finances Chrystia Freeland, championne autoproclamée de l’austérité, qui accusait Trudeau.de mettre en danger « l’indépendance fiscale » canadienne. Son départ a accentué la pression qui pesait sur le Premier ministre – jusqu’à ce que son propre parti le force à démissionner. Mais son départ ne résoudra rien : l’impopularité de Trudeau est un symptôme de l’effondrement du libéralisme, et non sa cause. C’est l’ensemble de l’establishment libéral qui est détesté.
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Le futur gouvernement conservateur
Des élections fédérales sont prévues dans l’année. Il est probable que les Conservateurs remportent une large victoire. Dirigé par Pierre Poilievre depuis septembre 2022, le Parti Conservateur est crédité de 45 % d’intentions de vote dans les sondages. Poilievre est un populiste de droite, qui se présente comme le « champion du libre marché », dénonce l’inflation et promet de baisser les impôts. Grâce à ses discours démagogiques et (surtout) à l’absence de toute alternative politique à gauche, Poilievre a fait du Parti Conservateur un pôle d’attraction pour de larges couches de travailleurs et de jeunes.
Mais un gouvernement conservateur, même majoritaire, ne sera pas un gouvernement stable. Contrairement à Trudeau lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2015, Poilievre devra composer avec une économie au bord de la récession, une dette publique gigantesque et une guerre commerciale avec les Etats-Unis. Son gouvernement sera dès le premier jour un gouvernement de crise.
S’il tente de réduire le déficit, comme l’exige la bourgeoisie canadienne, il devra mener des coupes massives dans les services sociaux, des licenciements dans le service public et d’autres attaques contre les travailleurs canadiens. Son gouvernement sera rapidement aussi détesté que celui de Trudeau. S’il temporise et continue à augmenter la dette, il ne fera que repousser l’inévitable en préparant une crise encore plus forte.
Dans le Manifeste de l’ICR, nous écrivions : « Chaque fois qu’elle s’efforce de restaurer l’équilibre économique, la bourgeoisie détruit l’équilibre politique et social. Elle est piégée dans une crise dont elle ne voit pas l’issue. » Ces mots décrivent parfaitement la situation à laquelle est confrontée la bourgeoisie canadienne. La chute des Libéraux marque l’entrée du Canada dans une nouvelle ère d’instabilité politique. La colère croissante de la classe ouvrière canadienne devra s’exprimer par d’autres voies : celles de la lutte de classes.