narcotrafic

En France, le nombre d’inculpations pour trafic ou pour consommation de drogue explose, tout comme le nombre d’assassinats ou de tentatives d’assassinat liés au trafic : 110 morts en 2024. Des fusillades entre bandes rivales font des victimes collatérales. Des adolescents sont engagés par les réseaux de trafiquants pour aller assassiner des concurrents. Dans les grandes villes apparaissent de nouveaux lieux de consommation à ciel ouvert, du type « colline du crack » à Paris. Sur fond de crise du capitalisme, le trafic de drogue prospère et génère un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros par an.

La « loi narcotrafic »

Cette situation catastrophique sert de prétexte à Darmanin et Retailleau pour battre les tambours de guerre. Selon eux, la France serait en passe de devenir un « narco-Etat ». En réalité, la situation en France reste incomparable avec celle des véritables « narco-Etats » – comme le Mexique, par exemple, où le narcotrafic a fait 450 000 victimes au cours des 18 dernières années. Les « narcos » y corrompent des dizaines de milliers de juges, d’avocats, de hauts fonctionnaires, de politiciens, de policiers et de militaires. Ils font partie intégrante de l’appareil d’Etat dans bien des territoires. Les déclarations catastrophistes du tandem Darmanin-Retailleau visent essentiellement à détourner l’attention des fléaux du chômage et de la misère, tout en stigmatisant les quartiers pauvres et les immigrés, qu’ils rendent responsables de la situation.

Cette campagne de propagande autour du narcotrafic est alimentée par l’examen au Parlement de la « loi narcotrafic ». Elle prévoit notamment la reconversion de deux prisons en « narco-prisons », dans lesquelles sera institué un nouveau régime carcéral pour les condamnés de longue durée et les détentions provisoires. Ce régime exceptionnel exclut les promenades collectives et l’accès aux unités de vie familiale. Les communications téléphoniques seront limitées à deux heures par semaine. Au parloir, une vitre blindée séparera les détenus de leur famille. Ce régime ne sera réexaminé que tous les deux ans, contre trois mois pour le régime d’isolement qui existe aujourd’hui. A terme, 700 détenus liés au trafic de drogue y seront enfermés.

L’objectif revendiqué par le gouvernement est d’isoler totalement les chefs de bande de leur organisation. Même si cela fonctionnait, cela signifierait simplement que les sous-chefs en liberté prendraient la relève de leurs chefs emprisonnés.

La loi prévoit aussi de modifier le statut de « repenti », qui offrirait l’immunité aux trafiquants acceptant de collaborer avec les autorités. Pendant les enquêtes, les policiers pourraient aussi profiter d’un « dossier coffre », qui les autoriserait à dresser des procès-verbaux sans devoir les communiquer à l’accusé et son avocat. Cela permettrait aux policiers de cacher les méthodes illégales utilisées lors d’une enquête. Les enquêteurs seraient également autorisés à activer à distance des téléphones et objets connectés. Ils pourraient même pratiquer la « surveillance algorithmique » des réseaux sociaux et pirater le réseau d’un opérateur pour récupérer les données de connexion d’un individu (adresses IP, numéros appelés, géolocalisation, etc.).

De l’aveu même de ses créateurs, cette loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic » est largement inspirée de la politique mise en œuvre en Italie pour lutter contre la Mafia. Or cette politique, adoptée dans les années 1980, n’a pas empêché le développement du crime organisé dans la péninsule. Par exemple, depuis les années 1990, la mafia calabraise (la 'Ndrangheta) a développé des réseaux de trafic de drogue reliant l’Amérique du Sud à l’ensemble du continent européen.

La responsabilité de la bourgeoisie

Ne reculant devant aucune formule absurde pour justifier les mesures répressives contenues dans la loi narcotrafic, Retailleau a déclaré à l’intention des consommateurs : « fumer un joint, c’est avoir du sang sur les mains ». En réalité, c’est la bourgeoisie et son appareil d’Etat qui ont « du sang sur les mains » – concernant la drogue comme tout le reste.

Si la France n’est pas le Mexique, il existe néanmoins une réelle porosité entre les réseaux criminels et l’Etat bourgeois. Ce phénomène touche tous les niveaux de l’appareil politique de la bourgeoisie. Il est notoire que des ministres de l’Intérieur, comme Charles Pasqua, entretenaient des liens avec des truands et des « affairistes » troubles. L’ancien patron des stups, François Thierry, a supervisé pendant des années l’importation d’une bonne partie du cannabis consommé en France, en lien avec l’un de ses « indics », cependant que le policier Michel Neyret, ancien numéro 2 de la police judiciaire de Lyon, a été condamné en 2016 pour ses liens avec le grand banditisme et le trafic de drogue.

Au début des années 2010, l’affaire de la « BAC Nord » de Marseille avait mis en lumière les pratiques illégales de nombreuses unités de police, qui rackettent parfois les trafiquants de drogue et, en échange, ferment les yeux, voire les aident à lutter contre la concurrence. Les liens notoires qui se créent entre la police et les réseaux criminels sont favorisés par l’opacité qui entoure les méthodes d’enquêtes, mais aussi par la mansuétude de la justice bourgeoise quand il s’agit de réprimer les « écarts » des policiers : François Thierry a finalement été acquitté ; Michel Neyret n’a été condamné qu’à deux ans et demi de liberté surveillée ; quant aux policiers de la BAC Nord, ils ont été soit relaxés, soit condamnés à des peines de prison avec sursis.

Le fait est que la bourgeoisie n’a aucun intérêt à mettre fin au narcotrafic, car elle en profite de bien des manières. Une fois blanchi dans les paradis fiscaux européens (Suisse, Pays-Bas, Chypre, Malte, etc.), l’argent de la drogue afflue vers les réseaux financiers « légaux » des grandes banques, pour lesquelles il constitue une source de profits non négligeable.

En fournissant une échappatoire à la misère et au chômage, surtout dans les quartiers les plus pauvres, le trafic de drogue permet aussi à la classe dirigeante d’acheter la paix sociale. En France, le narcotrafic fait vivre directement ou indirectement 240 000 personnes.

A plusieurs reprises, le trafic de drogue a été très directement utilisé par la classe dirigeante et les impérialistes. C’est le trafic d’opium organisé par l’Etat français, en Indochine, qui a alimenté pendant des décennies les réseaux criminels corses et marseillais. Ceux-ci ont ensuite donné naissance à la fameuse « French connection ». Dans les années 1970 et 1980, pendant que les présidents américains Nixon, puis Reagan, proclamaient la « guerre contre la drogue », la CIA collaborait avec les barons de la drogue sud-américains pour financer divers mouvements anticommunistes. Cette collaboration a d’ailleurs joué un rôle central dans l’apparition du crack dans les quartiers pauvres des grandes villes américaines.

Légalisation ?

A gauche, de nombreuses organisations – dont la France insoumise – revendiquent la légalisation des « drogues douces ». Elles affirment que ce serait un moyen efficace de lutter contre le trafic et la consommation de stupéfiants. Certaines organisations, comme Révolution Permanente, ajoutent que cela éliminerait l’un des prétextes utilisés pour justifier les violences policières dans les banlieues.

En réalité, aucun de ces arguments ne tient debout. Dans les pays où le cannabis est légal, la police trouve aisément d’autres prétextes pour brutaliser les immigrés et les pauvres. De manière générale, la légalisation n’est pas une solution. L’expérience de plusieurs pays – l’Uruguay, le Canada, les Pays-Bas et plusieurs Etats américains – montre que la consommation de cannabis a tendance à augmenter avec la légalisation. Quant au trafic, il ne cesse pas : simplement, la concurrence entre le marché illégal et le marché légal tend à faire baisser les prix, ce qui stimule d’autant la consommation.

La légalisation permet d’assécher en partie le marché noir, mais celui-ci n’étant soumis à aucune taxe, il reste très concurrentiel. Au Canada, 50 % de la vente de cannabis se fait toujours illégalement, dans la rue. Par ailleurs, pour compenser la perte de profits liée au cannabis, les réseaux criminels se tournent vers d’autres trafics, parfois encore plus dangereux : drogues dures, armes, prostitution, etc.

Le Parti Communiste Révolutionnaire ne défend donc pas la légalisation du cannabis (ou de tout autre stupéfiant), car une telle mesure ne changerait rien de fondamental aux problèmes que posent le trafic et la consommation de drogues. Cependant, nous sommes fermement opposés à toutes les mesures répressives contre les consommateurs. Cette répression n’a aucun impact positif sur la consommation, dissuade les consommateurs de demander de l’aide et sert de prétexte aux exactions de la police. La France est le pays le plus répressif d’Europe dans ce domaine, mais c’est aussi le premier pays consommateur de cannabis sur le continent, avec 900 000 usagers quotidiens.

Le rôle du mouvement ouvrier

Le narcotrafic représente une menace permanente pour les travailleurs et les habitants des quartiers pauvres. En juillet dernier, à Nice, sept personnes sont mortes dans l’incendie de leur immeuble par des trafiquants. Face à cela, le mouvement ouvrier ne peut pas compter sur les institutions et la police de la bourgeoisie. Il doit prendre lui-même le problème à bras-le-corps et s’inspirer des meilleures traditions du mouvement révolutionnaire. Par exemple, dans les Etats-Unis des années 1960 et 1970, le Black Panther Party a combattu la consommation et le trafic de drogue, qu’il dénonçait à juste titre comme une arme utilisée par la classe dirigeante pour démoraliser et corrompre la classe ouvrière. Ses militants menaient des opérations contre les trafiquants et animaient des campagnes politiques contre la drogue. C’est la voie à suivre.

Le fléau de la drogue est aussi lié à la destruction systématique des services publics, qui rend plus difficile l’accès à des parcours de désintoxication et à la privatisation du secteur de la santé. Outre-Atlantique, la crise des opioïdes provoquée par les géants du secteur pharmaceutique – et qui fait des dizaines de milliers de victimes, chaque année – est une nouvelle preuve que les patrons du secteur ne sont pas motivés par la santé publique, mais uniquement par leurs profits.

Le mouvement ouvrier doit donc lutter pour des investissements massifs dans la prévention, des recrutements massifs de personnels de santé, ainsi que pour l’ouverture de centres de désintoxication adaptés à tous les profils de toxicomanes. Il doit aussi mettre à l’ordre du jour la nationalisation des cliniques et hôpitaux privés, ainsi que de l’industrie pharmaceutique, sous le contrôle démocratique des travailleurs. Cela permettra notamment de produire en quantité suffisante des traitements gratuits contre l’addiction ou, au moins, contre ses pires effets.

De manière générale, il ne sera pas possible d’en finir avec le fléau de la drogue – mais aussi avec l’alcoolisme, qui en France fait 50 000 victimes par an – sur la base du capitalisme. Non seulement la bourgeoisie a besoin de ces fléaux et les alimente de diverses manières, mais ils sont inhérents à un système qui inflige d’innombrables souffrances physiques et psychiques à la masse de la population. Pour les déraciner définitivement, il faudra renverser le capitalisme lui-même et en finir avec toutes les formes d’exploitation, de misère et d’oppression.