Ali Algul - CGT Commerce

Ali Algul est délégué central CGT du personnel de Carrefour, élu à la commission exécutive de l’Union départementale du Val-de-Marne (94) et à la Commission exécutive de la fédération CGT du Commerce, des Services et de la Distribution


Quelle est la situation actuelle chez Carrefour ?

La direction de Carrefour a drastiquement réduit ses investissements dans les magasins. En 2022, le PDG Alexandre Bompard a lancé un plan d’économies de 4 milliards d’euros sur quatre ans. Derrière ce chiffre se cachent des baisses de salaires, une dégradation des conditions de travail et des suppressions de postes.

Faute d’investissements, les magasins se détériorent. Carrefour se débarrasse de ses sites les moins rentables en les transférant en « location-gérance », un système où un entrepreneur indépendant gère le magasin et verse une redevance au groupe. Officiellement, cela permettrait de préserver les emplois. En réalité, c’est tout le contraire. Les salariés qui basculent en location-gérance perdent les protections de la convention collective Carrefour, subissent une détérioration de leurs conditions de travail, et nombreux sont ceux qui finissent par démissionner.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : un an après le passage en location-gérance, les effectifs chutent en moyenne de 30 %, entre démissions et non-remplacement des départs à la retraite. C’est un vaste plan de licenciements déguisé. Pour ceux qui restent, la situation est terrible. De nombreux travailleurs de plus de 50 ans, conscients des difficultés à retrouver un emploi, restent en poste malgré des conditions de travail très dégradées.

Dans le même temps, la direction engraisse les actionnaires. Les dividendes proviennent de l’exploitation des travailleurs, mais aussi de la financiarisation du groupe : spéculation boursière, redevances de location-gérance, cessions d’activités à l’étranger. En 2023, la vente des magasins de Taïwan a permis de gonfler les dividendes. Par ailleurs, Carrefour rachète d’autres enseignes comme Cora, qui détenait 2,5 % du marché français de la grande distribution. Cela peut sembler contradictoire – vendre d’un côté, acheter de l’autre –, mais c’est pour attirer les actionnaires : Carrefour donne une impression de solidité en acquérant des parts de marché.

Le groupe manipule aussi le prix de ses actions. L’an dernier, il a redistribué directement 600 millions d’euros d’actions en dividendes ; cette année, il a racheté 700 millions d’euros d’actions, puis les a… détruites ! Ce mécanisme fait monter la valeur des actions restantes, afin d’enrichir davantage les actionnaires. Le seul objectif d’Alexandre Bompard est d’augmenter les profits à court terme. Mais à long terme, tout cela affaiblit Carrefour, qui pourrait finir aussi par être racheté.

Quelles sont les perspectives de lutte contre cette casse sociale ?

Nous avons mené des actions dans plusieurs villes – Lyon, Paris, Bourges, Orange – avec des blocages de magasins. Mais ces mobilisations restent insuffisantes pour faire reculer la direction. Au sein de la coordination CGT Carrefour, nous n’avons pas la capacité de mobiliser assez largement pour stopper ce processus.

La direction confédérale de la CGT a la responsabilité d’organiser des grèves reconductibles dans plusieurs secteurs de l’économie. C’est à elle de donner l’impulsion. Elle explique qu’il y a des centaines de plans sociaux qui menacent 300 000 emplois. C’est vrai, mais dans ce cas il faut proposer un plan de lutte concret. Constater sans agir est irresponsable.

Les travailleurs concernés se battent dans leurs entreprises, mais sans convergence des luttes, ces combats restent isolés. Il faut que la direction confédérale de la CGT élabore un plan de lutte clair sur la base d’un calendrier précis. Au lieu de cela, elle s’aligne sur les syndicats les plus modérés et négocie avec le gouvernement au lieu de construire le rapport de force. C’est une stratégie néfaste pour notre mouvement.

C’est pour cela qu’en amont du congrès de la CGT de 2023, une alliance s’était formée, notamment entre les Unions départementales du Val-de-Marne, des Bouches-du-Rhône et du Nord, ainsi qu’avec certaines fédérations comme la FNIC (industries chimiques) et l’Energie. Nous défendions une stratégie de lutte en opposition à la ligne de la direction confédérale. Pendant le congrès, le bilan de la direction sortante a été rejeté, et Sophie Binet est sortie du chapeau. Aujourd’hui, nous sommes encore dans l’observation pour savoir si on va repartir au combat contre la direction.

Le PCR lutte pour la nationalisation, sous le contrôle des salariés, de la grande distribution et des principaux leviers de l’économie. Qu’en penses-tu ?

Il faut lutter pour toutes les améliorations possibles. Par exemple, une revendication pertinente serait la création d’un statut unique des travailleurs du Commerce, afin que ceux qui passent en location-gérance ne soient pas pénalisés. Mais oui, je partage votre objectif : la socialisation des moyens de production et la planification économique pour répondre aux besoins de la population.

Lors du congrès fédéral, j’ai cité Marx en soulignant que la CGT doit porter un projet de renversement du capitalisme, qui est un système à bout de souffle. Aujourd’hui, cette vision d’une société alternative, socialiste, est encore trop absente dans nos organisations syndicales. Pourtant, c’est bien dans cette direction que nous devons aller.