Trump "Etat profond"

Karl Marx soulignait que « le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ». C’est toujours aussi vrai. Ceci dit, la classe dirigeante n’est pas homogène. Bien sûr, ses intérêts généraux sont diamétralement opposés à ceux des travailleurs, mais elle n’en demeure pas moins composée de différentes factions.

Tels des cochons autour d’une auge, les capitalistes s’entendent à peu près lorsqu’il y a assez de profits pour tous, sur fond de stabilité politique et sociale. Mais en temps de crise, ce ne sont plus que grognements, bousculades et morsures : les différentes factions du patronat s’affrontent pour savoir comment faire face aux périls qui les menacent.

Depuis les années 1930, l’appareil d’Etat américain a connu une expansion proportionnelle au développement de son impérialisme. De nouvelles agences fédérales ont été créées pour défendre les intérêts de la bourgeoisie. Au passage, elle a concédé quelques réformes sociales très limitées pour « acheter la paix sociale ». Par exemple, l’USAID, que les dirigeants réformistes et libéraux présentent aujourd’hui comme une œuvre de charité, a été créé durant la Guerre froide pour défendre les intérêts de l’impérialisme américain, fomenter des coups d’Etat, espionner et infiltrer des régimes hostiles, corrompre des journalistes et des syndicalistes, etc.

Cet appareil d’Etat surdimensionné est totalement inadapté à la situation actuelle de l’impérialisme américain. Les attaques de Trump contre ce qu’il appelle « l’Etat profond » (le « Deep State ») découlent d’une implacable nécessité économique et géopolitique. Les Etats-Unis n’ont plus les moyens de dominer le monde entier sans partage, comme c’était le cas dans la foulée de la chute de l’URSS et du bloc de l’Est. En conséquence, une fraction de la classe dirigeante – incarnée par Trump – veut faire des économies pour concentrer le maximum de ressources de l’impérialisme américain contre son principal rival : l’impérialisme chinois.

Démagogie

Après des décennies de trahisons et de mensonges, les libéraux et les conservateurs traditionnels sont profondément discrédités dans la masse de la population américaine. En l’absence d’une alternative de gauche sérieuse et clairement identifiée, la démagogie trumpiste a réussi à gagner le soutien d’une petite majorité d’Américains.

Donald Trump, Elon Musk et leurs séides réactionnaires s’attaquent brutalement à l’establishment de Washington et aux agences fédérales, qu’ils accusent d’être sous le contrôle de « marxistes woke ». C’est évidemment absurde, mais l’essentiel est ailleurs : Trump et consorts tentent de sauver le capitalisme américain des problèmes qu’il a lui-même créés – et de la colère croissante des masses, qu’ils cherchent à canaliser au moyen d’une démagogie « populiste » et « anti-système ».

« Fascisme » ?

Malgré les bêlements paniqués des libéraux et des réformistes, le retour de Trump au pouvoir ne marque pas l’avènement d’un régime « fasciste ». Dans l’Italie des années 1920 et l’Allemagne des années 1930, les fascistes s’appuyaient sur une masse de paramilitaires petits-bourgeois pour imposer un régime de terreur et détruire l’ensemble des organisations de la classe ouvrière.

Aujourd’hui, l’équilibre des forces sociales est favorable à la classe ouvrière américaine, de sorte que l’instauration d’un régime fasciste, aux Etats-Unis, est exclu à court et moyen termes. Trump n’écrase pas les dirigeants syndicaux sous la botte du fascisme ; il tente de gagner leur soutien en leur promettant un retour au « bon vieux temps ». Alors que Hitler et Mussolini avaient éliminé physiquement toute opposition, y compris celle qui émanait de la bourgeoisie, l’establishment libéral américain est toujours bien vivace et résiste de toutes ses forces aux attaques de Trump.

Ce conflit entre deux ailes de la classe dirigeante vient ajouter une dose supplémentaire d’instabilité dans une situation déjà très volatile. Au lieu d’aboutir à un nouvel équilibre, ce conflit pourrait aggraver la crise et nourrir la colère croissante de la classe ouvrière.

D’un point de vue communiste, le critère pour juger de tout phénomène politique et social est simple : nous soutenons tout ce qui accroît l’unité, la confiance et la conscience de la classe ouvrière internationale ; nous nous opposons à tout ce qui les affaiblit. Dès lors, nous ne soutenons aucun camp dans le combat qui oppose Trump à d’autres factions – également réactionnaires – de la classe dirigeante américaine.

Cela ne signifie pas que nous sommes indifférents aux coupes budgétaires et aux licenciements massifs. Trump prétend qu’il s’attaque à la « bureaucratie », mais la majorité des fonctionnaires licenciés sont des travailleurs ordinaires des services sociaux. Comme toujours, nous nous tenons du côté des travailleurs. Nous nous opposons à Trump, mais nous le faisons en défendant l’indépendance politique de la classe ouvrière et en soulignant la nécessité d’une révolution socialiste. Nous ne nous opposons pas seulement à l’« Etat profond » de l’establishment libéral, mais à l’Etat bourgeois dans son ensemble. Nous luttons pour un gouvernement des travailleurs, qui pourra déraciner l’appareil de la domination capitaliste et mettre fin à la société de classes sur laquelle il repose.