Depuis 2006, l’Egypte est agitée par une série de grèves, de manifestations, de grèves de la faim et d’émeutes, qui vont s’amplifiant. Ces mouvements, d’abord limités au secteur public et aux entreprises d’Etat, touchent désormais le secteur privé. C’est la plus importante mobilisation des jeunes et des travailleurs égyptiens depuis 60 ans.
Au début du mouvement, l’une des principales revendications des travailleurs était l’augmentation du salaire minimum à 218 dollars (140 euros). Les grèves sont illégales, en Egypte, sauf lorsqu’elles sont organisées par la Fédération Générale des Syndicats Egyptiens, une organisation contrôlée par le gouvernement – et qui, pour cette raison, est largement discréditée auprès des travailleurs égyptiens.
Quand, en 2006, les premières grèves ont éclaté dans de nombreuses usines d’Etat de la région du delta du Nil, le gouvernement a cédé sur la plupart des revendications des grévistes. Ces concessions visaient à désamorcer un mouvement naissant qui menaçait le « bon déroulement » des projets de privatisations.
Cependant, la situation ne s’est pas apaisée. Les grèves de 2006 ne furent que le prélude à un plus vaste mouvement, qui s’est développé tout au long de l’année 2007. Les travailleurs de tous les secteurs de l’industrie et des services (hôpitaux, transports, employés du canal de Suez, etc.) sont entrés en action. Au cours des cinq premiers mois de 2007, on recensait un nouveau mouvement par jour. Tous étaient organisés par les travailleurs eux-mêmes – tandis que, partout, le syndicat officiel jouait le rôle de briseur de grèves. Les travailleurs ont notamment été accusés de mener des activités terroristes !
Le « blog » 3arabawy fait la chronique quasi-quotidienne des diverses grèves, occupations et manifestations des ouvriers égyptiens. Il fournit des informations précieuses sur l’évolution et les acteurs des innombrables luttes en Egypte et au Moyen-Orient. Les travailleurs égyptiens ont dépassé le stade des simples revendications économiques. Ils contestent ouvertement la dictature de Moubarak et du Parti National Démocratique (PND). C’est ce qui rend la situation du régime particulièrement périlleuse.
La colère des travailleurs se nourrit de la situation économique désastreuse dans laquelle est plongé le pays. La privatisation des principales entreprises nationales est à l’ordre du jour. Le régime cherche à attirer les capitaux étrangers en faisant valoir le faible niveau des salaires et des taxes. Près de 40% des Egyptiens vivent sous un seuil de pauvreté fixé à 2 dollars de revenus par jour (1,3 euro). L’inflation s’établit officiellement à 12%, mais, en réalité, elle est bien supérieure à ce taux. Pour de nombreux produits de première nécessité – pain, viande, légumes, carburant, etc. –, les hausses de prix ont atteint des taux de 30% à 50%, provoquant des émeutes au mois d’avril 2008.
Le taux de chômage officiel (9%) est également très inférieur à la réalité. La croissance économique de 7% ne profite qu’à une minorité de nantis, et accentue la polarisation entre riches et pauvres. Cette dégradation des conditions de vie est d’autant plus mal vécue que le pays est privé depuis des décennies de tout droit démocratique. Corruption, arrestations arbitraires, tortures et violences policières sont monnaie courante. Aujourd’hui, la police intervient pour briser les grèves et réprimer les manifestations.
Le régime de Moubarak est également en difficulté sur le terrain de la question palestinienne. Depuis le soi-disant retrait d’Israël de la bande de Gaza, l’Egypte joue un rôle clé dans l’organisation de l’enfermement des habitants de Gaza. Cependant, au début de l’année 2008, il n’a pas pu s’opposer au franchissement de la frontière égyptienne par des dizaines de milliers de Gazaouis à la recherche de produits de première nécessité introuvables à Gaza, suite au blocus israélien. Depuis, le blocus de Gaza a été rétabli du côté égyptien. Néanmoins la situation désespérée dans laquelle se trouvent les habitants de Gaza, avec la collaboration de la dictature égyptienne, est une préoccupation majeure de la classe ouvrière égyptienne. La jonction des luttes des ouvriers égyptiens et des populations palestiniennes fait craindre le pire à la classe dirigeante.
Aux yeux des travailleurs égyptiens, la classe dirigeante du pays est plus que jamais asservie à l’impérialisme américain, comme elle était asservie à l’impérialisme britannique avant la révolution de 1952, qui porta Nasser au pouvoir.
Les Frères Musulmans, force politique d’opposition souvent citée dans les médias, n’a que très peu d’influence dans les usines, et ne joue aucun rôle dans l’actuelle mobilisation des travailleurs égyptiens. Les dirigeants de ce parti, qui viennent des milieux d’affaires et des classes moyennes, sont hostiles à toute action organisée de la classe ouvrière. Les accusations du gouvernement sur l’implication des Frères Musulmans dans les grèves sont autant de mensonges éhontés. Le soi-disant rôle des Frères Musulmans a servi de prétexte à l’arrestation de 18 de ses membres. Bien que ce parti mène des actions de charité auprès des plus pauvres, il faut rappeler qu’il s’agit d’un parti pro-capitaliste et réactionnaire, à l’image du Hamas.
Les Frères Musulmans sont tout aussi inquiets que Moubarak des mouvements de grève, qui échappent à leur contrôle. Ils cherchent à diviser les travailleurs chrétiens et musulmans.
Ces grèves confirment que la classe ouvrière est une force majeure de la société égyptienne. Elle apprend à s’organiser indépendamment des bureaucraties du syndicat officiel et du PND. Elle trouve aujourd’hui un écho favorable hors des frontières du pays. Néanmoins, il est vital qu’émergent d’authentiques organisations syndicales et politiques d’ouvriers et de jeunes, afin que la chute du PND se solde par la conquête du pouvoir par les travailleurs – et non par un autre parti pro-capitaliste. La victoire des travailleurs égyptiens ouvrirait d’énormes perspectives pour les travailleurs du Moyen-Orient et du monde arabe.