En juin, les masses kényanes ont pris d’assaut le Parlement à Nairobi pour imposer le retrait d’une loi ultra-austéritaire. Cette explosion révolutionnaire a plongé le gouvernement du président William Ruto et la classe dirigeante kényane dans une profonde panique. Après avoir d’abord déchaîné une répression meurtrière (39 morts à l’heure où nous écrivons), Ruto a dû céder et retirer ce projet de loi détesté. Mais ce n’est qu’une façon de gagner du temps. La bourgeoisie et les impérialistes veulent toujours faire payer leur crise par la classe ouvrière et les pauvres du Kenya.
Le régime manœuvre
Le Kenya est profondément endetté et dépendant des institutions internationales – principalement le FMI et la Banque mondiale – pour rembourser les intérêts de sa dette. Or, ces institutions impérialistes exigent que le gouvernement kényan adopte de brutales mesures d’austérité pour les rembourser et pour garantir les profits des entreprises étrangères.
Le gouvernement Ruto a donc présenté la « loi de finances 2024 », qui prévoyait une série de lourdes taxes sur des produits de consommation courante ou de première nécessité : les couches pour bébés, le pain, l’huile végétale, les serviettes hygiéniques et même certains médicaments.
Cette loi a provoqué une colère de masse qui a pris un caractère insurrectionnel face à la répression sanglante déclenchée par le régime. Le président a donc dû reculer et retirer sa loi pour éviter que la mobilisation ne s’étende encore.
Depuis, l’ampleur du mouvement a diminué et le régime est repassé à l’offensive. Début juillet, les arrestations se sont multipliées, parfois pour des motifs parfaitement futiles. Des personnes ont même été inculpées simplement pour avoir tweeté « Ruto doit partir ».
Le gouvernement a même eu recours à des provocateurs qui ont infiltré les manifestations pour se livrer au pillage. Le comportement de la police est en soi révélateur : fin juin, elle tirait à balles réelles sur des manifestants pacifiques ; quelques jours plus tard, elle restait les bras croisés devant les actes de vandalisme perpétrés par les agents infiltrés.
La loi de finances a été officiellement retirée, mais l’austérité est toujours à l’ordre du jour. Quelques jours à peine après son retrait, la Communauté d’Afrique de l’Est (une union commerciale dominée par le Kenya) a introduit des taxes douanières qui s’appliquent précisément aux produits visés auparavant par la loi de finances !
Le président Ruto a aussi annoncé récemment toute une série de mesures d’austérité drastiques, parmi lesquelles le licenciement de 46 000 enseignants et des coupes budgétaires dans les infrastructures routières, la santé, le logement et l’aide aux petites entreprises.
Comment faire avancer la mobilisation
Les travailleurs et les jeunes révolutionnaires du Kenya font face à un ennemi tenace : la classe capitaliste. Celle-ci est soutenue par l’impérialisme occidental, a à sa disposition l’appareil répressif de l’Etat et est relativement bien consciente de ses intérêts de classe. Elle n’abandonnera pas sans combattre et utilisera tous les moyens nécessaires pour écraser la mobilisation.
Pour lui tenir tête et pouvoir repasser à l’offensive, les masses révolutionnaires du Kenya doivent rapidement tirer les leçons des premières semaines de la mobilisation.
Les manœuvres récentes du gouvernement ont été facilitées par le fait que le mouvement n’était pas organisé. Cette spontanéité a été une force dans un premier temps, mais elle peut vite devenir une faiblesse mortelle. Il faut donc créer des comités dans chaque quartier, chaque entreprise et chaque université, qui soient liés au niveau local et à l’échelle nationale. Cela permettra de structurer le mouvement et de lui donner une direction et une orientation.
La question des objectifs du mouvement doit être posée. Les éléments les plus conscients de la classe ouvrière et de la jeunesse kényane doivent expliquer aux masses que tant que la classe dirigeante restera au pouvoir, elle continuera à appliquer le seul programme conforme à ses intérêts : faire payer les travailleurs et les pauvres. Le retrait de la loi de finances ou le départ du chef de l’Etat ne suffiront donc pas à enrayer l’austérité. C’est l’ensemble du système capitaliste qui doit être balayé.
Par ailleurs, le mouvement ne pourra pas triompher s’il se cantonne à des manifestations ou des grèves ponctuelles et isolées. La classe ouvrière a le pouvoir de paralyser la société. Si elle s’arrête de travailler, plus rien n’est produit et plus rien ne tourne. Il faut mobiliser ce pouvoir en préparant un vaste mouvement de grèves reconductibles, qui pourrait paralyser le régime.
Face à la répression meurtrière déclenchée par Ruto, le mouvement doit aussi organiser sa propre défense et chercher à nouer des liens avec les soldats et les policiers du rang pour les convaincre de se ranger du côté des masses.
Si rien de cela n’est fait, les manœuvres du régime finiront par démoraliser et désorienter les masses. Seule une mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière, qui entraînerait derrière elle les masses opprimées et exploitées du Kenya, peut balayer la bourgeoisie et l’impérialisme, et mettre fin à l’austérité et à la misère.
Le 5 juillet 2024