Le 10 novembre à 16h50, le président bolivien Evo Morales a annoncé sa démission. Ce fut le dernier acte d’un coup d’Etat qui se préparait depuis un certain temps.
Le 8 novembre s’est déclarée une mutinerie de la police anti-émeute de Cochabamba. Le lendemain, la mutinerie avait gagné huit des neuf départements du pays. Les policiers refusaient de quitter leurs commissariats et d’intervenir dans les rues. Immédiatement, l’armée a déclaré qu’elle ne « descendrait pas dans les rues ». A cette heure, elle n’appelait pas encore Evo Morales à la démission, mais elle indiquait clairement qu’elle ne le défendrait pas. Le gouvernement avait perdu le contrôle des forces de répression de l’Etat.
Le 10 novembre, à 2 heures du matin, l’Organisation des Etats Américains (OEA) a publié une déclaration préliminaire de la commission chargée de vérifier les résultats des élections du 20 octobre dernier. La publication des résultats officiels de cet audit était prévue pour le 12 novembre. La déclaration préliminaire affirmait que la commission ne pouvait « pas valider les résultats des élections ». Elle « recommandait » que de nouvelles élections soient organisées et qu’un nouveau comité électoral s’en charge. C’était un coup sévère contre Evo Morales, qui avait insisté – contre l’opposition, qui réclamait un second tour ou sa démission – pour que tout le monde attende et respecte les résultats de l’audit de l’OEA.
Une victoire de la réaction
A 7 heures du matin, Evo Morales a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé l’annulation des élections du 20 octobre et l’organisation de nouvelles élections, afin de « pacifier le pays ». Le secrétaire général de l’OEA, Almagro, a souligné que Morales devait rester au pouvoir, en attendant, et finir son mandat. L’impérialiste Almagro voulait un transfert de pouvoir « ordonné », de façon à ne pas laisser planer l’idée qu’il est acceptable de renverser un gouvernement par des mobilisations de masse. Dans les faits, à cette heure, Morales tentait de s’appuyer sur l’OEA.
Bien sûr, l’opposition de droite, dirigée par Camacho, chef du « Comité civique » de Santa Cruz et représentant de l’oligarchie réactionnaire locale, a rejeté la proposition de Morales. La réaction se sentait en position de force grâce aux mobilisations importantes dans les rues, à la présence de gangs fascistes bien organisés, au soutien de larges sections de la police et à la bénédiction des sommets de l’armée. Elle a demandé la démission de Morales ; elle était prête à l’obtenir pour tous les moyens possibles. Elle savait comment parvenir à ses fins et a procédé étape par étape. A l’inverse, le gouvernement vacillait, hésitait, faisait des concessions – et s’emmêlait dans ses propres nœuds légaux et constitutionnels.
Carlos Mesa, le candidat de l’opposition aux élections du 20 octobre, qui représente une aile plus « modérée » de l’opposition bourgeoise, a également rejeté la proposition d’organiser de nouvelles élections et a appelé Morales à la démission. Entre Mesa et Camacho, il n’y a qu’une différence de méthode. Mesa voulait un coup d’Etat « ordonné et constitutionnel », sous son contrôle ; Camacho voulait une rupture nette – sous le sien.
En début d’après-midi, l’armée n’obéissait plus aux ordres de Morales. Puis elle a publié une déclaration demandant la démission de Morales. Le coup d’Etat était parachevé. A 16h50, Morales annonçait sa démission. Son entourage gouvernemental a fait de même dans la journée. Certains dirigeants du MAS (le parti de Morales) ont démissionné sous la menace, leurs maisons ayant été incendiées et leurs familles menacées ou kidnappées.
Une politique de concessions fatale
Il faut comprendre comment on en est arrivé là. Lors des élections de 2014, Morales avait réuni 63 % des voix ; le 20 octobre dernier, il en a réuni 47 %. Soyons clairs : l’érosion de sa base dans la classe ouvrière et la paysannerie est le résultat d’une politique de collaboration de classe et de concessions aux capitalistes, aux multinationales et aux grands propriétaires terriens.
Donnons quelques exemples. Morales avait passé un accord avec les capitalistes de l’agro-business de Santa Cruz, leur faisant toutes sortes de concessions : levée de l’interdiction des OGM, autorisation de poursuivre la déforestation, accords avec la Chine sur l’exportation de viandes, etc. Morales était tellement sûr de son fait que lors d’un meeting de campagne à Santa Cruz, il a félicité « les businessmen de Santa Cruz (…), qui proposent toujours des solutions pour toute la Bolivie », et s’est aussi félicité de l’accord avec la Chine sur l’exportation de viandes, de soja et de quinoa.
A Potosí, la mobilisation de masse contre Morales n’avait pas la même composition sociale que le mouvement réactionnaire de Santa Cruz. Elle était plus populaire. Et il y a des raisons à cela. Une mine de lithium de la région a été cédée par le gouvernement à une multinationale allemande, ACI Systems, et ce pour 70 ans. ACI Systems a pris le contrôle des organes dirigeants de l’entreprise. Beaucoup de travailleurs de Potosí étaient en colère contre le gouvernement, qui se déclare « anti-impérialiste », mais cède les ressources naturelles du pays à des multinationales étrangères – sans grand bénéfice pour la population locale. Bien avant les élections du 20 octobre, l’opposition à ce contrat avait suscité des mobilisations anti-gouvernementales massives. Le 9 novembre, acculé, Morales a annoncé l’annulation du contrat. Mais c’était trop peu, trop tard.
Comme si cela ne suffisait pas, Morales a accordé l’investiture au poste de Sénateur de Potosí à Orlando Careaga, grand propriétaire minier et ancien politicien de droite. Il avait fait partie du gouvernement de droite renversé par un mouvement révolutionnaire des paysans et des travailleurs, en 2003. Son investiture a suscité la colère des militants du MAS et d’autres mouvements sociaux, au niveau local.
A Chuquisaca, la candidate du MAS, Martha Noya Laguna, était aussi une ancienne politicienne de droite. Tout ceci a contribué à miner la base sociale du MAS, tout en alimentant contre lui un mouvement de masse – et ce dans des départements qui, par le passé, soutenaient fermement Morales.
Renouer avec les traditions révolutionnaires !
La victoire de la réaction, en Bolivie, aura un impact au-delà des frontières du pays. L’opposition réactionnaire, au Venezuela, s’en trouve déjà enhardie. En Bolivie, il y a une lutte ouverte entre deux fractions de la classe dirigeante. Camacho et l’oligarchie de Santa Cruz veulent une rupture nette, l’arrestation des officiels du MAS, un gouvernement de transition auquel participeraient la police et l’armée, puis des élections dont les conditions leur seraient favorables. De son côté, Mesa réclame frénétiquement une « continuité constitutionnelle ». Il demande que l’actuel Parlement organise les prochaines élections. Quelle que soit l’issue de cette lutte, la droite a pris le pouvoir en Bolivie et formera le prochain gouvernement – qui voudra se légitimer par des élections, à un certain stade. Ce gouvernement lancera une vague d’offensives contre les travailleurs, les paysans et les indigènes. Il cherchera à détruire ce qu’il reste des conquêtes sociales des 14 dernières années.
Les travailleurs et les paysans de Bolivie devront organiser la riposte. Pour ce faire, ils devront tirer les leçons du gouvernement Morales. C’est la politique de concessions aux capitalistes et aux multinationales (notamment de l’agrobusiness) qui a miné la base de soutien du gouvernement, ouvrant la voie à un coup d’Etat. Tout en empochant les concessions, les capitalistes n’ont jamais renoncé à renverser ce gouvernement dirigé par un syndicaliste indigène, arrivé au pouvoir grâce aux soulèvements révolutionnaires de 2003 et 2005. Ils ont juste attendu le bon moment pour passer à l’action. C’est chose faite. Le renversement de Morales est une nouvelle illustration de la faillite des méthodes réformistes.
La conclusion est claire : le seul moyen de définitivement consolider les conquêtes des travailleurs et des paysans, c’est la mobilisation révolutionnaire des masses opprimées en vue de briser le pouvoir économique de l’oligarchie et de l’impérialisme. Seule l’expropriation, sous le contrôle des travailleurs, des moyens de production, de la terre et des ressources naturelles, permettra de planifier l’économie dans l’intérêt de la majorité de la population. Les travailleurs et paysans boliviens ont de grandes traditions révolutionnaires. Ils doivent renouer avec ces traditions, renouer avec l’esprit et le programme des Thèses de Pulacayo, adoptées par le syndicat des mineurs en 1946 – et qui déclaraient : « le prolétariat des pays sous-développés est forcé de combiner les tâches bourgeoises-démocratiques avec la lutte pour le socialisme. »