Quelque 500 000 touristes étaient attendus pour la Coupe du monde de la FIFA, au Brésil. Mais dans un pays où le football suscite une immense ferveur populaire, l’humeur des masses n’était pas vraiment à la célébration, mais à la révolte. Le souhait de Michel Platini – que les grèves et manifestations s’arrêtent pendant la compétition – est resté un vœu pieux.
Depuis un an, le pays est secoué par des manifestations d’ampleur inégalée depuis la chute de la dictature militaire en 1985. Initiée par le mouvement pour des transports gratuits, l’année dernière, à São Paulo puis dans les plus grandes villes du pays, la protestation mobilise aujourd’hui des pans entiers de la société, tels les opérateurs du métro, les conducteurs de bus, les enseignants ou les policiers, mais aussi les autochtones et les habitants des favelas. En comparant les manifestations actuelles à celles de l’été 2013, la différence majeure est l’entrée dans la lutte de la classe ouvrière.
L’organisation de la « Copa » et des Jeux olympiques de Rio de 2016 sont clairement dans la ligne de mire des manifestants. Les slogans anti-FIFA fusent, dénonçant les coûts astronomiques des installations, l’ingérence de la FIFA dans la politique intérieure et les conditions de travail déplorables des ouvriers affectés sur les chantiers, qui ont provoqué des accidents mortels.
Il ne fait aucun doute que la FIFA est une organisation de gangsters. Son siège social se situe à Zurich, ce qui lui permet de profiter de la souplesse de l’administration helvétique en matière de fiscalité. Il doit s’agir de la seule organisation « à but non lucratif » dans le monde qui dispose d’un « fonds de réserve » de plus de 1,5 milliard de dollars. Aussi, elle n’hésite pas à faire pression sur les pays pour qu’ils « adaptent » leur législation à ses besoins. Dans le cas du Brésil, il s’agissait notamment de contenter un des sponsors, Budweiser, distributeur de bières. Le Brésil a interdit depuis plusieurs années la consommation d’alcool dans l’enceinte des stades, son abus ayant occasionné par le passé de nombreux accidents, dont certains furent mortels. Mais ceci ne faisait pas les affaires de Budweiser. Aussi la FIFA a-t-elle usé de toute son influence pour lever cette interdiction. Et elle est parvenue à ses fins. La santé publique attendra.
Le fait est que, contrairement à ce qui avait été annoncé initialement, l’État a dû mettre la main à la poche pour financer les constructions des installations. Le coût total, estimé initialement à 1,6 milliard de dollars, a explosé pour atteindre 14 milliards, ce qui fait de cette Coupe la plus chère de toute l’histoire : deux fois plus chère que celle organisée en Allemagne, qui arrive en deuxième position. Le poids de ces 14 milliards n’est pas le même en période de prospérité économique qu’en période de crise. Et c’est là tout le fond de l’affaire. Ces dépenses arrivent au moment où le gouvernement mène des coupes dans les budgets publics, notamment dans l’éducation, et ce, dans une période de net ralentissement de l’économique brésilienne : moins de 2 % de croissance en 2013, pour une moyenne de 5 % les années précédentes.
Ainsi, analyser les manifestations et les grèves uniquement sous le prisme d’une opposition à l’organisation de la Coupe du monde serait une erreur. Celle-ci a révélé au grand jour le changement de la conjoncture économique et la politique pro-capitaliste menée par le gouvernement. Elle a servi de catalyseur à la colère des masses.
Le Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir est historiquement lié à la classe ouvrière. Lula, son leader historique, jouit d’un grand prestige auprès des travailleurs, notamment pour son rôle dans la lutte contre la dictature. Cependant, la répression brutale des manifestations et les politiques d’austérité ont complètement miné la popularité de Dilma – qui a succédé à Lula – et du PT, dont les sondages sont au plus bas à l’approche des élections d’octobre prochain.
Le Brésil est une poudrière sociale. On peut affirmer, sans trop s’avancer, que les manifestations continueront après la fin de la Coupe du monde. L’entrée des syndicats dans la lutte aux côtés de la jeunesse et des travailleurs mobilisés donnerait un puissant élan au mouvement, ouvrant la voie à une crise révolutionnaire – laquelle aurait un impact majeur sur tout le continent latino-américain.