En avril et mai derniers, la Colombie a été secouée par un puissant mouvement de contestation, y compris une grève générale au potentiel clairement révolutionnaire. L’étincelle qui a mis le feu aux poudres a été la « loi sur les taxes », proposée par le gouvernement du président Duque.
Cette loi regroupait plusieurs mesures d’austérité, pour faire peser le coût économique de la pandémie sur les épaules des travailleurs. A première vue, le fait que cette mesure ait déclenché un mouvement d’une telle ampleur peut apparaître surprenant. Après tout, ce n’était pas la première mesure d’austérité imposée par ce gouvernement ou par ses prédécesseurs. Mais on retrouve le même processus dans nombre de mobilisations de ces dernières années : au Soudan, au Chili, en Equateur ou même en France, avec les Gilets Jaunes, ce sont des mesures semblables aux précédentes qui, soudainement, déclenchent des mouvements de masse.
Ces mesures d’austérité jouent le rôle de catalyseurs. Pendant des années, la colère et la frustration se sont accumulées dans la conscience des masses, qui ont été obligées de payer le prix de la crise financière de 2008. Le chômage et la misère ont augmenté. Dans le même temps, à l’autre pôle de la société, une minorité de profiteurs offrait le spectacle abject d’une gabegie d’argent, accumulé en des quantités pharaoniques. Cette situation a fait s’accumuler les matériaux inflammables dans la conscience de millions de travailleurs. Il ne manquait qu’une étincelle. En Colombie, ce fut la « loi sur les taxes ».
Répression et manœuvres de division
Cette mobilisation a pris par surprise la bourgeoisie colombienne et le gouvernement Duque. Il a réagi par une répression impitoyable. Le 13 mai, l’ONG Temblores dénombrait 963 arrestations arbitraires, 548 disparitions forcées, 12 agressions sexuelles et 47 meurtres commis par les forces de l’ordre. Les chiffres réels sont sans doute plus élevés. Lorsque la police ne suffisait pas à réprimer le mouvement, la bourgeoisie a mobilisé les paramilitaires liés au narcotrafic, révélant du même coup les liens inextricables unissant la bourgeoisie colombienne, l’Etat et les narcotrafiquants.
Cependant, cette répression n’est pas parvenue à étouffer le mouvement. Au contraire, elle l’a stimulé. Des soldats sont même passés du côté des manifestants. Dans un cas au moins, ils se sont interposés entre des manifestants et des policiers en civil qui tendaient une embuscade. Ces éléments étaient des indices clairs du potentiel révolutionnaire de la situation.
Le gouvernement sur la défensive
Début mai, Duque a finalement dû abandonner son projet de loi sur les taxes. Le ministre des Finances a été contraint de démissionner. Mais cette tentative de calmer le mouvement par un recul provisoire a fait long feu. La mobilisation ne s’est pas interrompue. Au contraire.
Le gouvernement Duque avait d’autres cordes à son arc, bien sûr, et notamment la passivité des organisations de la gauche réformiste. Celles-ci se sont tenues à l’écart du mouvement et se sont même abstenues de critiquer la « loi sur les taxes », que certains dirigeants « de gauche » n’excluaient pas de voter. Quant aux organisations syndicales, celles qui étaient à l’origine de la mobilisation ont cédé aux appels du gouvernement et de la bourgeoisie. Elles ont accepté de participer, le 10 mai, à des négociations visant à mettre fin au mouvement par un accord de compromis. Si la pression des comités de grève les a fait reculer, pour l’instant, et a permis la poursuite des grèves, il est clair que le mouvement ne pourra pas continuer indéfiniment dans les mêmes conditions.
L’organisation du mouvement
Pour ne pas refluer, la mobilisation doit se doter d’une organisation et de perspectives lui permettant d’obtenir la chute de Duque et de la narco-bourgeoisie colombienne. Les conseils populaires et les comités de grèves qui se sont formés doivent se coordonner à l’échelle nationale. Une conférence nationale des délégués de ces comités pourrait être l’embryon d’un véritable pouvoir des travailleurs, c’est-à-dire d’un pouvoir alternatif à l’Etat de la bourgeoisie.
Parallèlement, la violence de la police et des paramilitaires montre qu’il faut organiser l’autodéfense du mouvement de façon systématique. Un appel clair et net à la désertion et à la fraternisation avec les manifestants doit être lancé aux soldats et aux policiers. Ceux-ci risquent gros s’ils désobéissent. Pour les gagner en masse à la mobilisation, celle-ci doit montrer qu’elle est prête à aller jusqu’au bout, y compris jusqu’à prendre le pouvoir. C’est la seule façon de briser l’appareil d’Etat colombien.
Enfin, le mouvement aurait besoin d’un parti qui puisse tirer les leçons des mobilisations précédentes et proposer des tactiques et des mots d’ordre pour avancer vers la victoire. C’est à cette tâche primordiale que s’attelle la Tendance Marxiste Internationale, en Colombie comme à l’échelle mondiale.