L’année 2006 fut riche en développements dans la lutte opposant les travailleurs latino-américains aux différentes oligarchies qui les exploitent – ainsi qu’aux impérialismes occidentaux. La profonde volonté de mettre un terme aux misères engendrées par le capitalisme s’est exprimée, du Chili au Mexique, à travers des mouvements révolutionnaires ou par l’élection de candidats de gauche. Au cours des derniers mois de l’année 2006, trois élections ont été remportées par les candidats des classes populaires : en Equateur, au Venezuela et au Nicaragua.
Equateur : le retour de la gauche
Avec 58 % des voix, Rafael Correa a largement remporté les élections présidentielles du 26 novembre 2006, en Equayeur, face au candidat de droite Alvaro Noboa, qui n’est autre que l’homme le plus riche du pays. Ces élections se tenaient au terme d’une décennie de grande instabilité politique et sociale, dans le pays. Crises gouvernementales, grèves générales et crises révolutionnaires se sont succédées, reflétant la faillite du capitalisme équatorien.
Dans ses déclarations, Correa a affirmé son attachement aux traditions révolutionnaires latino-américaines, ainsi que son amitié avec le président Hugo Chavez. Néanmoins, la droite conserve la majorité au Congrès, levier au moyen duquel elle entend faire échec au programme de Correa. Pour mener à bien une politique sociale, Correa devra donc s’appuyer sur les masses et briser la résistance du Congrès. En retour, Correa ne bénéficiera du soutien des masses que s’il est fidèle à ses promesses de changer radicalement la situation économique et sociale, dans le pays. Les travailleurs équatoriens ont encore en mémoire les promesses non tenues de Lucio Gutierriez, entre 2002 et 2005, et sa capitulation face à l’impérialisme américain, qui avait permis à la droite de revenir au pouvoir. Mais cela n’aura été qu’un intermède, l’oligarchie équatorienne étant incapable d’apporter une quelconque amélioration aux conditions de vie de la grande majorité des Equatoriens. Le taux de chômage se situe officiellement à 40% de la population active.
En Equateur, comme au Venezuela et en Bolivie, les hydrocarbures sont un des axes principaux de la lutte contre l’impérialisme et l’oligarchie locale. Correa s’est engagé à renégocier les contrats des sociétés pétrolières étrangères et à réintégrer l’Equateur dans l’OPEP. Il s’est également engagé à ne pas signer le traité de libre-échange avec les Etats-Unis. Enfin, il a promis de chasser l’armée américaine de la base de Manta.
En dernière analyse, si Correa se range du côté des travailleurs et des paysans, il se heurtera aux capitalistes et au FMI, et une situation semblable à celle du Venezuela pourrait se développer. Par contre, s’il plie sous les pressions impérialistes et se range du côté de la classe dirigeante et de Washington, il se heurtera rapidement aux travailleurs et aux paysans qui l’ont élu, et connaîtra finalement le même sort que Lucio Gutierrez. Il n’y a pas de marge de manœuvre pour une « troisième voie ».
Chavez en appelle au socialisme
Avec plus de 60 % des suffrages, Hugo Chavez a remporté, le 3 décembre 2006, une écrasante victoire. La participation massive – 70% des inscrits – atteste de la popularité d’Hugo Chavez et de la conscience qu’avaient les masses des enjeux de cette élection. Dans un discours suivant l’annonce de sa victoire, Chavez l’a présentée comme « le point de départ d’une nouvelle ère, d’un élargissement et d’une expansion de la révolution bolivarienne, de la démocratie révolutionnaire, de la voie vénézuélienne vers le socialisme ».
Plus tard, le 15 décembre, au cours d’un meeting, Chavez a fustigé l’aile droite du mouvement bolivarien, qui en appelle à la conciliation avec l’opposition de droite. Dans son discours, Chavez a de nouveau soulevé la question du socialisme, et appelé les Vénézuéliens à construire leur propre modèle de socialisme. Il a expliqué la nécessité de socialiser l’ensemble des terres et de l’appareil productif. Par ailleurs, Chavez en appelle à la fondation d’un nouveau parti, le Parti Socialiste Unifié du Venezuela. Cette initiative vise à donner un souffle nouveau à la révolution bolivarienne, dont les sommets sont rongés par la bureaucratie, la corruption et le carriérisme. C’est un appel direct aux militants de base pour qu’ils interviennent plus activement dans le processus révolutionnaire – à l’image des soviets des premières heures de la révolution russe. Chavez a dit que ce nouveau parti devrait être fondamentalement démocratique, sa direction émanant de la base. En définitive, Chavez a révélé la profonde contradiction entre, d’un côté, la direction réformiste des diverses organisations et partis « bolivariens », et, de l’autre, la masse des militants qui aspire à un changement radical.
Nicaragua : Ortega malgré tout
Daniel Ortega a remporté les élections présidentielles du 5 novembre dernier, au Nicaragua, avec 38% des voix. Chavez et Castro ont immédiatement salué la victoire de celui qui a dirigé le Nicaragua de 1979 à 1990, après avoir renversé la dictature pro-américaine de Somoza. Ortega a bénéficié de la division de la droite, qui reflète la profonde crise du capitalisme, dans ce pays.
Le Nicaragua est le second pays le plus pauvre du continent, après Haïti. 80% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Le chômage ou le sous-emploi frappent 50% de la population. Sur 5,7 millions d’habitants, un million est analphabète. Le poids de la dette extérieure – 463 dollars par habitant – sape toute possibilité d’amélioration des conditions de vie de la majorité sur la base du capitalisme. Les diktats du FMI et de la banque mondiale, qui imposent des coupes dans les dépenses sociales, ont été scrupuleusement appliqués par les prédécesseurs d’Ortega.
L’explication du score relativement faible d’Ortega – qui a obtenu moins de voix que les partis de droite réunis – est à rechercher dans son programme. Le leader sandiniste qui, jusqu’à son échec aux élections de 1990, fut la bête noire des Etats-Unis, a largement viré à droite. Aucune nationalisation n’est envisagée. Peu après sa victoire du 5 novembre, Ortega s’est empressé de déclarer qu’il respecterait la libre-entreprise et le traité de libre-échange avec les Etats-Unis. La Vice-présidence du pays a été confiée à un affairiste, qui est aussi un ancien dirigeant des « contras », ces milices contre-révolutionnaires financées par les Etats Unis qui, dans les années 80, luttaient contre les sandinistes. Ortega a promis de laisser les investisseurs étrangers agir librement dans le pays.
Pourtant, Ortega continue d’incarner la révolution qui a mis fin à la dictature de Somoza, en 79. Et c’est à ce titre que la masse des déshérités place en lui ses espoirs, malgré le vide de son programme. Ortega sera sous la pression de ces millions de pauvres nicaraguayens qui attendent de lui qu’il agisse « comme Chavez ». Ainsi, ce n’est pas tellement Ortega qui effraye les impérialistes américains, mais les masses qui l’ont porté au pouvoir et qui feront pression pour qu’il prenne des mesures décisives contre l’oligarchie.
La contradiction entre les aspirations révolutionnaires des travailleurs et le caractère réformiste de leur direction est une réalité qui s’observe, à des degrés divers, dans tous les pays latino-américains où la gauche a pris le pouvoir, ces dernières années. Au Venezuela, Chavez s’efforce de résoudre cette contradiction et en appelle à la mobilisation du peuple révolutionnaire contre la bureaucratie réformiste. Il vient également d’annoncer de nouvelles nationalisations. De fait, le maintien du capitalisme est, dans tout le continent, un obstacle à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs.