Le test nucléaire nord-coréen, en octobre dernier, a provoqué un énorme tollé dans la « communauté internationale », et en particulier aux Etats-Unis.
Immédiatement, les marchés boursiers ont été secoués et le prix du pétrole a cessé de baisser. L’ONU vient de voter un embargo contre l’exportation de matériel nucléaire à destination de la Corée du Nord. Mais George Bush voudrait aller plus loin et durcir les sanctions économiques contre ce pays, qui est déjà au bord de la faillite.
Le test nucléaire coréen est essentiellement un moyen, pour la caste bureaucratique qui dirige la Corée du Nord, d’exercer une pression diplomatique sur l’Occident et le Japon. Surtout, le but est d’écarter toute possibilité d’agression militaire américaine. Après tout, quelle conclusion les dirigeants nord-coréens sont-ils supposés tirer de l’invasion de l’Irak ? Malgré les mensonges et la propagande de Bush, l’Irak a été bombardé et envahi précisément parce qu’il n’avait pas d’armes de destruction massive. Par conséquent, l’un des moyens d’échapper au sort que l’impérialisme a réservé à l’Irak, c’est d’avoir de telles armes. Telle est la conclusion logique à laquelle sont parvenus les dirigeants nord-coréens — mais aussi iraniens.
Un Etat ouvrier déformé
Les marxistes n’ont jamais considéré la Corée du Nord comme un authentique régime socialiste. Dès la naissance de ce régime, à la fin des années 40, il s’agissait d’une horrible caricature de socialisme, à l’instar des dictatures staliniennes que furent l’URSS et la Chine de Mao. Pour reprendre la formule qu’utilisait Trotsky pour caractériser l’Union Soviétique, la Corée du Nord est apparue sur la scène de l’histoire comme un « Etat ouvrier déformé » : les moyens de production y ont été nationalisés, mais l’Etat et l’économie échappaient complètement au contrôle de la classe ouvrière et de la paysannerie. Tout le pouvoir était concentré entre les mains d’une bureaucratie totalitaire et privilégiée.
La guerre de Corée
En 1945, l’armée d’occupation japonaise a été boutée hors de Corée, que le Japon avait annexée en 1910. Après le départ des troupes japonaises, la péninsule fut partagée par les deux grandes puissances mondiales qui ont émergé de la seconde guerre mondiale : l’Union Soviétique a occupé le nord du pays et les Etats-Unis le sud. En 1946, Kim Il-Sung, le père de Kim Jong-Il, fut placé par les Soviétiques à la tête de la Corée du Nord, qui deviendra en 1948 la République Populaire Démocratique de Corée.
Kim Il-Sung tenta de réunifier la Corée en se basant sur les mouvements révolutionnaires dans le Sud. Mais après l’échec de l’insurrection d’octobre 1948, dans le Sud, le gouvernement pro-américain de Syngman Rhee réussit à stabiliser la situation. Les Etats-Unis commencèrent alors à retirer la plupart de leurs forces. Cependant, le statu quo ne dura pas longtemps. En 1950, le Nord attaqua le Sud et l’armée d’anciens résistants de Kim vint facilement à bout des forces du Sud, prenant le contrôle de la capitale, Séoul. En réaction, les Etats-Unis, sous le couvert de l’ONU, contre-attaquèrent massivement et réussirent à repousser les forces « communistes ». Cette percée des impérialistes poussa le régime de Mao à envahir la Corée, en octobre 1951. Les Américains et leurs alliés subirent une série de défaites écrasantes. La guerre de Corée s’acheva, en 1953, avec l’établissement de la frontière actuelle entre les deux Corée.
L’abolition du capitalisme
Dès sa naissance, la Corée du Nord prit pour modèle la Russie stalinienne. Le pouvoir était concentré entre les mains du Parti des Travailleurs Coréens, qui était en réalité le parti de la bureaucratie. Une économie planifiée fut mise en place — ce qui fut un développement indiscutablement progressiste. En 1946, 70 % de l’industrie nord-coréenne fut nationalisée, puis 90 % en 1949. Les grands propriétaires terriens furent expropriés et la terre fut distribuée aux paysans pauvres, avant d’être intégralement collectivisée. Grâce à des investissements massifs dans l’industrie et l’introduction de machines agricoles modernes, l’économie nord-coréenne bénéficia de taux de croissance impressionnants au cours des années 50 et 60, et ce malgré les dévastations de la guerre et les gaspillages énormes engendrés par la gestion bureaucratique.
Cependant, à partir des années 70, le poids de la bureaucratie, l’absence de participation démocratique dans la planification et l’impossibilité de construire « le socialisme dans un seul pays », commencèrent à peser sur l’économie nord-coréenne. Elle entra dans une phase de déclin lent mais régulier, et qui continue à ce jour. En particulier, la politique réactionnaire de « l’autarcie » eut des conséquences désastreuses. Comment la petite Corée du Nord aurait-elle pu s’extraire de l’économie mondiale, quand l’histoire a montré que la Chine et la Russie ne le pouvaient pas ?
La tentation chinoise
Les masses nord-coréennes souffrent terriblement. Cela fait longtemps, désormais, que la bureaucratie n’est plus capable de développer les forces productives. A cela s’ajoute les pressions de l’impérialisme. Dans ce contexte, le développement prodigieux du capitalisme chinois exerce une puissante attraction sur de nombreux dirigeants nord-coréens. Il est clair que la bureaucratie nord-coréenne — uniquement préoccupée par le maintien de ses privilèges — s’oriente dans la même direction : la restauration « graduelle » et « pacifique » du capitalisme. Tout comme leurs homologues chinois, les dirigeants nord-coréens ont tiré les leçons de l’effondrement brutal des régimes en URSS et dans le bloc de l’Est. Kim Jong-Il ne veut pas finir comme le dictateur Roumain Ceausescu — jugé et exécuté par ses propres officiers.
Bien que le processus n’en soit qu’à ses débuts, des mesures ont déjà été prises. En 2002, le gouvernement a crée une « zone franche » à Sinuiju, à la frontière avec la Chine. En juillet de la même année, le système de rationnement et de distribution qui fournissait de électricité et de la nourriture gratuite aux travailleurs a été supprimé. Dans le même temps, le contrôle des prix a été « libéralisé », les entreprises privées ont obtenu une plus grande marge de manœuvre, et les propriétaires terriens ont été encouragés à « faire des profits ». Par mille canaux, lentement mais sûrement, le secteur privé s’infiltre dans l’économie nord-coréenne. Bien plus que le récent test nucléaire, cette évolution marque une étape importante dans l’histoire du pays.
La perspective socialiste
Malgré le caractère monstrueusement bureaucratique du régime nord-coréen, les marxistes sont fermement opposés au démantèlement de l’économie planifiée. Nous ne savons pas si le régime parviendra à contrôler le développement de ses réformes capitalistes « à la chinoise ». Mais une chose est sûre : l’amélioration des conditions de vie des masses nord-coréennes n’est pas au programme. En Chine, la restauration du capitalisme s’est accompagnée d’un extraordinaire développement des inégalités et de l’exploitation. Il n’y a pas d’autre issue, pour le peuple nord-coréen, que le renversement de la bureaucratie et l’instauration d’un régime de démocratie ouvrière, dans lequel l’économie et l’Etat seront sous le contrôle direct des travailleurs.
Nous sommes pour une réunification des deux Corée. Mais pour nous, la question des bases économiques de cette réunification n’est pas secondaire. Les marxistes sont pour une réunification du pays sur la base d’une économie socialiste, ce qui passe à la fois par le maintien de l’économie nationalisée dans le nord et le renversement du capitalisme dans le sud. C’est le seule façon acceptable, d’un point de vue communiste, de mettre fin à la division tragique de la péninsule coréenne.