La société japonaise connaît une crise profonde. Après des décennies de stagnation économique, les élites politiques tentent désespérément de relancer l'économie, tout en cherchant à attiser le nationalisme antichinois afin de consolider ses soutiens. Malgré tout, l’actuel mouvement de masse contre la réécriture de la « clause pacifiste » de la constitution est symptomatique du fait que ce système a atteint ses limites.
Le régime d’après-guerre au Japon s’effrite sous le coup des réductions d’impôts pour les entreprises, de leur augmentation, à l’inverse, pour les travailleurs, et la fin du standard des emplois à vie. La remilitarisation n’est qu’un autre élément témoignant de la fin du système de l’après-guerre. Le taux de participation aux élections est tombé de 69 à 53 %, ce qui est un symptôme flagrant de la désillusion des masses vis-à-vis de la politique bourgeoise. Dans le même temps, le parti communiste a doublé ses scores, passant à 13 % l’an dernier, soit 2 millions de votes supplémentaires. Ceci prépare le terrain pour des convulsions révolutionnaires au Japon, le mouvement contre le changement de la clause pacifiste n’en étant que le début.
« Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.
« Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'Etat ne sera pas reconnu. » — Article 9 de la Constitution japonaise.
Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, les Japonais ont été contraints au pacifisme, un revolver sur la tempe. Les Etats-Unis voulaient éliminer la menace d’une force militaire indépendante dans le Pacifique ; ils ont donc saisi cette occasion pour démanteler l’armée nippone et inscrire la renonciation à l’emploi de la force dans la Constitution japonaise. Ils ont néanmoins rapidement regretté cette manœuvre. Le pacifisme a gagné un fort soutien au sein de la population japonaise, qui y voyait un moyen de rediriger les dépenses militaires vers des tâches socialement plus utiles. Pendant ce temps, la situation de guerre froide obligea les forces américaines à assurer elles-mêmes les coûts de la défense du Japon.
Tandis que les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale s’estompaient, la nécessité de contrecarrer l’influence de la Chine et de l’Union soviétique dans la région devenait de plus en plus pressante. A partir du moment où les avantages potentiels d’une armée japonaise apparurent évidents, les classes dirigeantes du Japon et des Etats-Unis cherchèrent un moyen de remilitariser l’Etat japonais. Mais ce projet n'a pas été sans susciter d'opposition. Si le Japon a de facto une armée, sous la forme de forces « d’autodéfense », depuis 1954, il n’a été capable de participer aux missions de « maintien de la paix » de l’ONU qu’à partir de 1992, et ne participe à leur soutien logistique que depuis 2004. Tout ceci alors que l’impérialisme américain est en déclin et que la compétition avec l'impérialisme chinois pour l'influence régionale devient de plus en plus importante. Les USA ont aujourd’hui besoin de l’aide japonaise pour contenir l’expansion de la Chine, tandis que la bourgeoisie nippone ne considère plus que les USA soient capables de défendre ses intérêts.
En dépit de cette militarisation rampante et des efforts en ce sens du premier ministre Shinzo Abe, l’Article 9 n’est pas prêt d’être révisé. Le prolétariat japonais tient à défendre ce qu’il voit comme la « Constitution pacifiste » du Japon. Cette lutte a ravivé les souvenirs de la lutte de 1960 contre le « traité de sécurité», qui cédait des territoires japonais pour l’implantation de bases militaires états-uniennes.
Les Japonais ne sont pas enclins à se lancer dans des expéditions impérialistes pour le compte de la bourgeoisie japonaise et de ses alliés américains. Les aventures impérialistes japonaises du passé ont été désastreuses, avec 3 millions de morts durant la Seconde Guerre mondiale et des atrocités de masses commises en Chine et en Corée. De plus, le programme de réarmement ne coûterait pas moins de 240 milliards de dollars, et ce, alors que le gouvernement applique par ailleurs une politique d’austérité drastique dans les services publics.
Pour contourner l’opposition grandissante, Abe a lancé une campagne pour réinterpréter la Constitution afin d’y introduire l’idée d’une soi-disant « autodéfense collective ». Celle-ci autoriserait les forces d’autodéfense japonaises à participer aux opérations pour « défendre » ses alliés — au lieu de s’en tenir à la protection du territoire japonais — et autoriserait la vente d’armes à des puissances étrangères. Ces mesures sont particulièrement impopulaires au Japon et la plupart des experts les qualifient de fondamentalement anticonstitutionnelles. Mais dans le contexte d’une économie stagnante et d'accroissement du mécontentement social, la perspective de ventes d’armes particulièrement lucratives a pour conséquence que le droit élémentaire du peuple japonais de décider s’il veut ou non modifier sa constitution a été jeté aux orties.
Le pacifisme du Japon était le produit du rapport de force existant après la Seconde Guerre mondiale, avec la révolution chinoise et la montée en puissance de l’Union Soviétique. La classe dirigeante japonaise n’a pas soudainement changé d’avis à propos du pacifisme. Les guerres et la militarisation ne sont pas causées par des politiciens sournois n’aspirant pas suffisamment à la paix, elles sont le fruit des contradictions réelles du développement économique et social. Les manœuvres d’Abe sont simplement l’expression des besoins actuels de l'impérialisme japonais. Le militarisme et l’impérialisme ne peuvent être séparés du système capitaliste. Ils proviennent de celui-ci et ne pourront être éradiqués définitivement que lorsque le capitalisme lui-même sera aboli : pour mettre fin aux guerres, nous devons mettre fin au capitalisme ! Ce mouvement montre les premières fissures du régime et prépare la voie à une lutte non seulement contre l’impérialisme, mais contre le capitalisme lui-même dans un des bastions clés du système actuel.