Dans un article publié le 1er septembre, le Journal du Dimanche vantait le « succès de Giorgia Meloni pour endiguer l’immigration irrégulière ». L’hebdomadaire bourgeois rapportait les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur italien : 40 000 migrants seraient arrivés illégalement dans la péninsule entre janvier et août 2024, contre 113 000 sur la même période en 2023.
Décret meurtrier
Ce « succès » est dû en grande part au décret « Piantedosi ». Promulgué par Meloni en 2022, ce texte limite drastiquement l’action des ONG qui aident les migrants en mer Méditerranée. Les navires humanitaires qui portent secours aux embarcations de fortune n’ont plus le droit d’aider plusieurs groupes de migrants durant un seul voyage et doivent se rendre, après chaque opération de sauvetage, dans un port désigné par les autorités italiennes.
Ces escales imposées se trouvent souvent dans des ports du nord du pays, alors que les sauvetages ont lieu au sud. Cela signifie que les migrants rescapés doivent subir plusieurs jours de voyage supplémentaires, alors qu’ils sont déjà en grande détresse physique. Si les navires ne parviennent pas à rejoindre le port dans les délais fixés par les autorités italiennes, comme c’est arrivé à un navire à court de carburant de l’ONG Sea Watch, ils doivent s’acquitter d’une lourde amende (jusqu’à 10 000 €) et peuvent être immobilisés par la police. Les navires peuvent alors rester à quai des dizaines de jours, pendant lesquels des migrants continuent de périr dans les eaux de la Méditerranée.
Une sénatrice du parti de Meloni, Simona Petrucci, prétend que ce décret aurait permis de « préserver des milliers de vies humaines » en dissuadant des migrants de tenter de gagner l’Italie. Cette hypocrisie est révoltante. En réalité, les mesures du gouvernement italien ne découragent pas l’immigration, elles la rendent seulement plus meurtrière. D’après l’ONG Sea Watch, le nombre mensuel moyen de morts et de disparus en Méditerranée est passé de 162 entre 2020 et 2022 à 218 entre 2022 et 2024.
Contrairement à ce que prétendent les politiciens et les journalistes réactionnaires, si des dizaines de milliers de personnes quittent leurs pays pour tenter de rallier l’Europe, au péril de leur vie, c’est avant tout pour fuir les guerres, les famines, et les catastrophes écologiques qui se multiplient avec le dérèglement climatique. Tous ces phénomènes sont des conséquences du capitalisme et de l’impérialisme. Ils rendent la vie chaque jour plus insupportable pour les travailleurs d’Afrique et du Moyen-Orient. C’est cela qui explique que beaucoup finissent par se résoudre à l’exil, aussi dangereux soit-il, et tentent la traversée de la Méditerranée.
Hypocrisie diplomatique
Dans un surprenant accès d’humanité, Meloni déclarait en juillet 2023 qu’« il est de notre devoir, bien sûr, de prendre soin de nos Etats, mais aussi de nous préoccuper du sort de ces personnes ». Elle a ainsi promis de s’attaquer aux causes des migrations, à travers des partenariats avec plusieurs pays africains pour instaurer un « nouveau modèle de coopération » entre l’Italie et l’Afrique. Mais cette coopération n’a en réalité rien d’« humanitaire ».
Deux accords ont été conclus avec la Libye et la Tunisie. En échange d’importants investissements gaziers (8 milliards d’euros via l’entreprise Eni), le gouvernement de Tripoli a accepté de renforcer les contrôles contre les migrants. Depuis début 2024, plus de 14 000 personnes ont été interceptées et arrêtées par les garde-côtes libyens. De nombreuses ONG ont souligné les traitements abominables auxquelles les soumettent ensuite les autorités libyennes : viols, tortures, et parfois même esclavage. De son côté, la police tunisienne a pris l’habitude d’abandonner les migrants dans le désert sans eau, ni nourriture. En échange de ces « soins », le gouvernement tunisien a reçu de Rome des prêts et des promesses de coopération économique.
Si Meloni se félicite de ces succès, ses voisins européens sont moins contents. En novembre 2022, Gérald Darmanin reprochait par exemple à l’Italie de refuser d’accueillir un navire de l’ONG SOS Méditerranée. Non pas que le ministre français ait été préoccupé du sort des migrants… Il reprochait surtout à l’Italie de ne pas assurer son rôle de « garde-frontière » de l’Union européenne et de repousser les migrants vers les autres pays de l’UE.
Puisque l’accès à l’Italie est devenu plus difficile, les passeurs et les migrants se rabattent sur d’autres pays. Les arrivées en Espagne ont ainsi augmenté de plus de 124 % depuis l’année dernière. D’après l’ONG Caminando Frontera, entre janvier et mai 2024, c’est près de 5000 personnes qui seraient mortes en essayant de gagner l’Espagne.
Face aux vagues d’exils causées par leurs propres politiques impérialistes en Afrique et à l’échelle mondiale, les classes dirigeantes européennes pratiquent la règle du « chacun pour soi » et abandonnent les migrants à leurs souffrances et à la mort.